Interview de Jean-Sébastien Desbordes, l’un des auteurs du film « Larmes de guerre »

Que retenez-vous de votre enquête intitulée “Larmes de
guerre” ? 

Je retiens avant tout la jeunesse de ces femmes violées au
Congo. Je m’attendais à rencontrer des femmes de 25 ans. J’ai vu des gamines de
17, 18, 19 ans. Elles sont encore enfants. Il y a des jeunes filles comme
Aline, 17 ans, qui a l’air d’en avoir 12. Aline est petite, rachitique. Comment
imaginer qu’elle a 17 ans. Au Congo, les groupes armés terrorisent les enfants
des campagnes et des villes. Et cette situation s’aggrave. Les femmes violées
sont de plus en plus jeunes. Là-bas, environ 200 femmes se rendent à l’hôpital
après avoir été violée. Ces femmes ne se plaignent jamais. Elles arrivent à se
relever, à plaisanter, à sourire. Au Congo, et il faut bien comprendre cela,
les femmes sont les forces vives de la société. Elles tiennent la maison,
s’occupent des enfants. En les détruisant, leurs agresseurs ne se contentent
pas de les mutiler pour qu’elles n’aient plus d’enfants. Ils détruisent aussi
toute une société. 

Pourquoi avoir suivi, plus particulièrement, l’histoire
d’Aline ? 

Aline, c’est un exemple concret de cette violence. On
voulait plus que des témoignages, on voulait montrer ce qui se passe
réellement. On a suivi l’évolution d’Aline, pour savoir si elle allait s’en
sortir. On voulait faire connaître son histoire aux téléspectateurs. Montrer
les choses, c’est aussi transmettre un message. 

Avez-vous éprouvé des difficultés à faire parler ces femmes
torturées, violées ?  

Non. Nos questions étaient frontales, leurs réponses
naturelles. L’hôpital nous a communiqué les noms de femmes d’accord pour
s’exprimer devant la caméra. Comme nous étions deux hommes, Matthieu Martin et
moi, on s’attendait à un exercice difficile. Mais elles n’ont pas été
perturbées. Ces femmes sont vraiment très très fortes. Leur témoignage sont tellement
forts… Pour la première fois de ma carrière, j’ai fait des cauchemars sur l’un
de mes reportages. 

Qui est Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien à l’hôpital
de Panzi, et fil rouge du reportage ? 

Depuis 2010, je m’intéresse à la situation au Congo. Le
docteur Mukwege, je le connaissais de nom. Il a remporté de nombreux prix
internationaux comme celui des droits de l’homme des Nations Unies. Il était
aussi en lice, en 2013, pour le Prix Nobel de la Paix. Quand je l’ai
contacté, il était tout à fait d’accord pour témoigner. Mais il a fallu
s’adapter à ses disponibilités. Pas simple. En 2012, il a en effet été victime
d’une tentative d’assassinat et est alors parti à Bruxelles. 

Les femmes se rendent-elles spontanément dans son hôpital ? 

Certaines viennent de très loin pour rencontrer Denis
Mukwege et les médecins de l’hôpital Panzi. Parfois, elles mettent plusieurs
jours à venir, à pied ou en train. Elles sont alors prises en charge par
l’hôpital, qui leur apporte une aide physique, sociale, psychologique,
logistique et même juridique en les aidant à porter plainte contre leur
agresseur. Mais la majorité des femmes victimes de viol au Congo ne se rendent
pas à l’hôpital. C’est pour cette raison que des équipes médicales se déplacent
dans des camps de réfugiés.

Ces femmes violées sont rejetées par leur famille, leur
mari, leur père.

Soit ces jeunes filles se retrouvent à la rue, sans rien,
soit elles retournent dans leur maison mais il faut beaucoup de temps pour que
cela redevienne comme avant. Surtout avec le père. C’est une honte intégrale.
C’est également très compliqué pour les jeunes filles qui gardent un enfant
issu d’un viol. On ne s’intéresse plus à elles. Des organismes leur apportent
du soutien, mais à 18 ans, leur vie est foutue. Et malgré tout, elles veulent
s’en sortir. 

Denis Mukwege est consterné par l’absence d’aide
internationale. Et vous?  

Le Congo est un pays très compliqué. Le Congo, c’est un peu
le Far West des minerais. Les enjeux économiques et financiers sont énormes. Ce
sont toujours ces enjeux qui l’emportent sur le reste. Au Congo, tout est
pourri. La corruption est omniprésente. Et tout le monde préfère se taire.

 Propos recueillis par Julie Lanique

 

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