Du génocide rwandais au millions de morts du Congo : manipulations et responsabilités occidentales Par Luc Michel – Karel Huybrechts pour EODE think tank
LUE MISE EN CAUSE DANS UNE PERSPECTIVE GLOBALE
Peu de journalistes, encore moins dhistoriens ont analysé le génocide rwandais dans la perspective géopolitique globale de la déstabilisation de la région des Grands Lacs et de sa recolonisation rampante.
Mettre en rapport le génocide rwandais – élément déclencheur qui a permis larrivée au pouvoir de Kagame -, la crise du Congo, le régime Kabila, la crise de la région des grand lacs, et le régime Kagame qui en est lacteur majeur, avec ses complicités dans lUE et en Occident : cest ce que fait le livre de Charles Onana, journaliste dinvestigation franco-camerounais. Dont nous partageons les analyses.
« Je ne comprenais pas pourquoi lEurope, qui prône la défense des droits humains et de la démocratie, saccommode tant du trucage des élections au Rwanda et en RDC et de la violation des droits de la personne dans ces deux pays, dit-il. Je métonnais aussi du silence persistant en Europe sur le harcèlement des militants des droits humains et leur assassinat tant au Rwanda quen RDC. Jai donc décidé denquêter dans « larrière-cuisine » de la diplomatie européenne ».
A partir des notes internes du Conseil de lEurope, des rapports restreints de la Commission Européenne et des confidences de diplomates et de hauts fonctionnaires européens, Charles Onana dans son livre EUROPE, CRIMES ET CENSURE AU CONGO (Editions Duboiris)
(1) apporte de nombreuses preuves sur la bienveillance des institutions européennes à légard du régime de Paul Kagame dans ses actions criminelles en RDCongo.
Dans ce livre riche en révélations et documents inédits, on découvre notamment :
· Comment Joseph Kabila a été imposé à la tête de la République Démocratique du Congo (RDC) en 2006 par George Bush et de Jacques Chirac au moyen délections truquées et financées par lUnion Européenne (UE) ;
· que la condition exigée à Joseph Kabila pour rester au pouvoir était quil se taise sur les incursions rwandaises à lEst de la RDC et sur les atrocités commises par les hommes de Kagame ;
· que malgré la multiplication des rapports internes attestant clairement de la présence des soldats rwandais à lEst de la RDC, lUE nie officiellement linvasion du Congo par le Rwanda et censure tout discours mettant en cause Paul Kagame et ses hommes ;
· que lUnion Européenne a dépensé plusieurs millions d euros pour bâtir une armée congolaise avec des truands, des violeurs et des criminels contre lHumanité, malgré les inquiétudes de certains hauts fonctionnaires sur ce « brassage » périlleux.
Au terme de cette enquête délicate et dérangeante, qui nous mène des bureaux feutrés de Bruxelles, où lon étouffe surtout les scrupules, aux dangereuses forêts de lEst du Congo peuplées de réfugiés, de tortionnaires, denfants-soldats et de chercheurs de coltan, en passant par les salles de réunion de lONU, on mesure à quel point lécart est grand entre les valeurs proclamées par lUnion Européenne et la réalité de ses interventions sur le terrain. Un tableau terrifiant qui met à mal le prestige des institutions européennes, qui pose questions sur lidéologie de lUE et qui peut légitimement inquiéter le contribuable européen quant au bien-fondé et aux véritables objectifs de la diplomatie de Bruxelles en Afrique et au Congo.
Photo: D.R.
« LUNION EUROPEENNE CENSURE LIMPLICATION DU RWANDA DANS LA CRISE CONGOLAISE »
Lors dune interview exclusive accordée à JamboNews à Bruxelles (2), Charles Onana, avait répondu aux questions autour de son livre consacré à la RDC et au Rwanda. Il a notamment évoqué le rôle du Rwanda dans la crise congolaise ainsi que le silence de lUnion européenne au vu de tous les épisodes tragiques observés en République démocratique du Congo depuis le début des hostilités en 1996.
Charles Onana part dune constatation simple selon laquelle lUnion européenne parle moins de limplication du Rwanda dans les conflits armés qui secouent le Congo. Tout récemment, suite aux rapports des experts de lONU accusant le Rwanda de soutenir des rebellions en RDC, Charles Onana dit avoir constaté que le discours de lUnion européenne ménageait beaucoup Kigali et lépargnait dune interpellation directe sur son rôle dans la déstabilisation de la RDC. « Cest la raison pour laquelle jai enquêté sur les processus de décision au sein de lUnion européenne. Qui influence qui et dans quel but ? » a t-il notamment déclaré.
Dans le cadre de ses investigations, Charles Onana confie avoir obtenu plusieurs documents tenus secrets des institutions européennes, documents parfois issus des rapports des envoyés spéciaux de lUnion européenne dans la région des Grands Lacs. Sans doute des pièces à conviction. « En effet, ces documents nétaient pas destinés à être rendu public. En ayant ces documents, jai pu reconstituer les pièces manquantes du puzzle. En outre, les témoignages des diplomates mont aidé », a indiqué Charles Onana. Ce dernier a également révélé léchange qui a eu lieu en 2003 entre le président de la RDC Joseph Kabila et Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de lUnion européenne.
Selon Charles Onana, Joseph Kabila avait écrit à Javier Solana pour mettre en place une police intégrée en vue dassurer la sécurité du processus électoral en RDC. Onana déplore que cette initiative ne fût guère pour lintérêt de la population congolaise. Décriant par ailleurs la passivité et lincompétence de Joseph Kabila, Charles Onana a affirmé que le président congolais est une émanation de lAFDL et du Rwanda.
KAGAME, OMBRE ET LUMIERE
Côté lumière, le président Kagame est largement crédité de la spectaculaire transformation du pays depuis 20 ans avec une incontestable réussite économique et la forte éradication de la corruption. Dévasté et traumatisé lorsque les rebelles du FPR prirent le pouvoir en 1994, mettant fin à un génocide qui venait de faire environ 800.000 morts essentiellement dans la minorité tutsi, le Rwanda a enregistré ces dernières années la croissance la plus forte d'Afrique de l'Est.
Mais détracteurs du régime et observateurs dénoncent un monopartisme de fait – bien que onze partis soient enregistrés officiellement – et l'absence de liberté d'expression.
Côté ombre, les critiques visent la démocratie de façade, mais aussi et surtout la politique extérieure du régime Kagame et ses interventions chez ses voisins. Et particulièrement le rôle du Rwanda dans la crise congolaise.
Ainsi Charles Onana met en cause à la fois linterventionnisme déstabilisateur du Rwanda dans la région des Grands Lacs et singulièrement au Congo (RDC), mais aussi son rôle comme agent des multinationales …
« LE RWANDA DE KAGAME EST DEVENU LAVOCAT DE LA RECOLONISATION DE LAFRIQUE »
Charles Onana na pas non plus eu des mots tendres envers le régime de Paul Kagame. « Kagame mène une guerre économique au Congo. Aujourdhui, on a la démonstration de cette assertion. Depuis longtemps, les gens avaient sous-estimé le rôle du Rwanda comme un sous-traitant des multinationales. Le Rwanda de Kagame est devenu lavocat de la recolonisation de lAfrique », déclare Charles Onana.
Charles Onana soutient que le Rwanda a des agents et des lobbies très actifs au sein des institutions européennes parmi lesquels, le non moins influent Louis Michel – leader libéral belge, ancien ministre et commissaire européen -, initiateur du groupe « les amis du Rwanda » au sein du parlement européen, pour vous dire le travail abattu en coulisses.
Dans une autre interview au journaliste Robert KONGO (3), Onana revient sur « Le rôle de Louis Michel, ancien ministre et commissaire européen », « majeur dans cette action de lobbying. Ces dernières années, ses prises de position aussi bien au sénat belge quau sein de la commission européenne ont été déterminantes. Par exemple, il sest opposé à la proposition dun diplomate allemand qui demandait ladoption de sanctions économiques contre le Rwanda après la publication des rapports de lONU prouvant limplication des troupes rwandaises dans le pillage et la déstabilisation de la RDC. Louis Michel a considéré quenvisager des sanctions contre le Rwanda serait contre productif. Pour lui, « Kagame est un visionnaire » et son pays serait un « pôle de stabilité » dans les Grands Lacs. Louis Michel a ouvertement pris fait et cause pour le régime dictatorial de Kagame et séchine à le défendre coûte que coûte au sein des institutions de Bruxelles ».
« Les compte-rendus du sénat belge sont à ce sujet édifiant, rappelle Onana. On y découvre un Louis Michel agissant et parlant non pas comme un ministre belge mais plutôt comme « un militant rwandais » plaidant la cause de son « visionnaire » de Kigali. Il a même osé créer une association des amis du Rwanda au lendemain de la publication du rapport mapping de lONU en 2010. Il était partout, courant et transpirant pour un utopique « dialogue entre Kinshasa et Kigali ». Limpartialité de cet ancien commissaire européen na jamais été de mise dans la crise des Grands Lacs. »
POURQUOI CE ROLE HONTEUX DE LUE DANS LA REGION DES GRANDS LACS ?
Sans toutefois entrer en profondeur sur la notion de stabilité, Onana justifie le soutien indéfectible de lUnion Européenne au Rwanda par la garantie quil offre sur la stabilité de leurs intérêts dans cette région. Raison pour laquelle selon lui, lUE continue de se voiler la face sur la situation dans la région des Grands-Lacs. Malgré les violations des droits de lHomme au Rwanda, lUnion européenne continue toujours à apporter son soutien à ce régime dictatorial. Eu égard à ce qui précède, lUE ne respecte donc pas ses propres principes, a conclu Charles Onana.
Onana donne lexemple de la participation de lUE dans la répression et le truquage des élections au Congo : « le chef de la diplomatie européenne (Javier Solana) et Joseph Kabila ont eu plusieurs échanges téléphoniques et épistolaires. Le président congolais lui a adressé une requête le 20 octobre 2003, dans laquelle il demandait la création dune unité de police intégrée chargée dassurer la sécurité des institutions de la transition en RDC. Ce dispositif sera effectivement mis en place, appuyé et supervisé par EUPOL (la Mission Européenne de Police). Il aura pour objectif dassurer la sécurité des bureaux de vote, la protection des urnes et celle des membres de la commission électorale indépendante. En réalité, lunité de police intégrée a servi à empêcher toute contestation des Congolais à la suite dun scrutin qui devait donner Joseph Kabila gagnant. Celui-ci était, en effet, déjà soutenu et désigné par les Etats-Unis avant le scrutin. La demande de protection du processus électoral va également sétendre au plan militaire. Cest ainsi quen 2006, Solana écrit à Kabila pour le rassurer de la possibilité dun déploiement dune force de lUnion Européenne en RDC dans le cadre des élections. Joseph Kabila répond immédiatement dans une lettre du 19 mai 2006 par laquelle il le remercie de cette initiative. Le chef de lEtat congolais a donc pu ainsi bénéficier du soutien des Etats-Unis, des Nations Unies et de lUnion Européenne pour accéder au pouvoir. »
Des thèses dérangeantes donc sur un dossier soigneusement occulté à Bruxelles et New-York. Qui rejoint les préoccupations dEODE think tank sur le double langage des institutions européennes.
(1) Charles Onana, EUROPE, CRIMES ET CENSURE AU CONGO, Editions Duboiris, Collection : Secrets d'Etat, 2012.
(2) Propos recueillis par Mathy Mati et Charis Basoko
sur http://www.jambonews.net/
(3) Propos recueillis par Robert KONGO
sur http://www.lecongolais.cd/