06 08 14 IRIN NAIROBI – Entretien avec Mary Robinson, envoyée spéciale sortante pour la région des Grands Lacs

L'envoyé spécial a pour
mission de négocier avec les dirigeants de la région, souvent très méfiants les
uns des autres, et de trouver le moyen de construire une paix durable dans
l'est de la RDC. Pendant le mandat de Mme Robinson, l'ancien groupe rebelle M23
a rendu les armes et négocié un accord de paix avec le gouvernement, et
d'autres groupes armés ont suivi l'exemple. Les gouvernements se sont également
entendus sur un Plan d'action régional en janvier 2014, par lequel ils se sont
engagés à respecter la souveraineté nationale, à cesser d'apporter leur soutien
aux groupes armés et à créer de meilleurs mécanismes de justice.
Mais
les violences se poursuivent dans bon nombre de régions de la RDC, et les défis
restent nombreux, à commencer par la gestion du retour des quelque 365 000
réfugiés de RDC et des 2,6 millions de personnes déplacées à l'intérieur de
leur propre pays (PDIP).

Mi-juin, le Secrétaire
général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, a nommé Mme Robinson au poste
d'envoyée spéciale pour le changement climatique. Elle quittera ses fonctions
d'envoyée spéciale pour les Grands Lacs après avoir soumis son rapport final au
Conseil de sécurité le 7 août. Saïd Djinnit, l'ancien Commissaire de l'Union
africaine pour la paix et la sécurité, prendra sa relève.




IRIN
est revenu avec elle sur son mandat d'envoyée spéciale.




Comment
développer plus avant les acquis de votre mandat d'envoyée spéciale ?




Mary
Robinson
: Je pensais être là
pour de longs mois encore. J'ai conscience que nous avons accompli de gros
progrès et que l'on est en présence d'une certaine dynamique. Je crois qu'il
serait essentiel de consolider et de revigorer cette dynamique. Avec un peu de
chance, mon successeur apportera une nouvelle énergie et une nouvelle vision
pour y parvenir.




Je
vais tâcher d'exposer au Conseil de sécurité les progrès que l'on doit selon
moi à l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération : le fait
qu'il y ait des structures en place que j'estime importantes, telles que le
Plan d'action sur lequel les chefs de gouvernement se sont entendus en janvier
de cette année ; le fait qu'il existe un mécanisme de suivi national en RDC –
ces deux structures doivent bien fonctionner, et trouver l'équilibre dans leur
collaboration ; le fait qu'il y ait une équipe d'envoyés spéciaux qui
collaborent très étroitement, dont Saïd Djinnit fera partie à l'avenir ; et le
fait que la société civile et que les femmes et la jeunesse veuillent
s'impliquer. Je crois que c'est ce qui fait la différence.




Dans
les accords ratifiés par le passé, la société civile n'avait pas le sentiment
de pouvoir dialoguer avec les dirigeants ou de pouvoir leur réclamer des
comptes, mais avec le plan d'action pour les dirigeants, elle est désormais en
mesure de le faire.




Existe-t-il
une réelle volonté de donner suite à ces accords ?




MR : Je souhaiterais que ça puisse être encore plus sûr,
mais je crois que nous avons mis en place de bonnes structures pour l'avenir,
et surtout qu'il existe une volonté politique dans la région – j'en suis
convaincue – parmi les dirigeants de la région, en particulier à la présidence
actuelle de la Conférence de la région des Grands Lacs, le président M. Dos
Santos. Il l'a clairement exprimé et l'a répété, il souhaite que son mandat de
président voie le retrait de toutes les forces négatives de l'Est de la RDC. Et
c'est assez spécifique. Nous avons accompli des progrès avec le M23, l'ADF, et
maintenant les FDLR se sont engagées à se rendre volontairement. Si elles ne le
font pas, elles s'exposent à une action militaire.

Je
pense qu'il est très important que le Conseil de sécurité surveille cette
région de très près ; que la société civile réclame des comptes aux
gouvernements. Lorsque la société civile exige aux gouvernements de tenir leurs
promesses, ça peut faire la différence.




Qu'en est-il des pays les plus stables de la
région ?




MR : Ce sont les chefs de file politiques clés ; ils
font partie de cet accord-cadre. Je vois véritablement cet accord-cadre comme
l'accord-cadre de l'espoir – pas juste de la paix, de la sécurité et de la
coopération, mais aussi du développement. Il faut que les habitants de la
région touchent dès à présent les dividendes du développement, que les minerais
soient exploités en leur nom et qu'ils en perçoivent les bénéfices.




Je pense
qu'il y a suffisamment de structures en place et de pays qui ont à coeur que
cet accord-cadre se traduise effectivement par des changements irréversibles –
par changement irréversible j'entends l'absence de retour à une domination des
groupes armés.




Je
pense assurément qu'il est important que les engagements pris par la RDC au
titre de l'Accord-cadre soient pleinement mis à effet. La réforme du secteur de
la sécurité, une autorité étatique à l'échelle nationale – ce [qui] n'est pas
encore tout à fait en place – et la décentralisation des réformes qui sont
nécessaires. Dans le même temps, j'observe énormément de progrès. Chaque fois
que je me rends là-bas, j'observe des progrès.




Le
premier ministre [de la RDC] M. Matata fait un excellent travail dans sa
juridiction et je crois qu'il est important que s'établisse un meilleur climat
de confiance entre la RDC et les pays voisins. En particulier, j'aimerais que
les relations entre la RDC et le Rwanda s'améliorent à la tête du pouvoir.




Cette région a-t-elle enregistré des progrès
réguliers ?




MR : Je pense que c'est le cas, avec quelques revers de
temps à autre. Mais le fait qu'il soit possible – s'ils jugent qu'il y a des
problèmes – de participer à un mini-sommet entre dirigeants est une bonne
chose, car cela permettra de développer la confiance à l'avenir. Ce ne sont pas
des questions faciles. J'ai un profond respect pour le fait que les personnes
qui assument la responsabilité de diriger ces pays africains doivent faire face
à des problèmes bien plus terre-à-terre, plus réels que ceux des pays
développés.




L'Accord-cadre
est désormais au coeur d'un véritable engagement politique de la part de 13
pays, car le Kenya et le Soudan l'ont rejoint en janvier, de quatre
organisations garantes – les Nations Unies, l'Union africaine, la Conférence
des Grands Lacs et la SADC [Communauté de développement d'Afrique australe] –
et des structures de suivi aux niveaux régional et national. Le Plan d'action
[…] est très transparent – tout le monde peut voir ce à quoi se sont engagés
les gouvernements et leur demander des comptes – et je pense que c'est très
important.




Quel avenir pour les réfugiés ?



MR : Mon bureau, OCHA [le bureau des Nations Unies pour
la coordination des affaires humanitaires] et le HCR [l'Agence des Nations
Unies pour les réfugiés] discutent activement, et font partie d'un groupe de
travail pour débattre de la manière dont garantir la sécurité du retour pour
les réfugiés de toutes parts. Certaines personnes qui étaient confrontées au
déplacement à l'intérieur de la RDC retournent dans certaines régions – parfois
elles ne sont pas autant en sûreté qu'elles devraient l'être alors nous devons
planifier tout cela avec énormément de précautions.




La RDC
est-elle prête pour des élections ?




MR : C'est une crainte que j'ai, dont je vais faire part
au Conseil de sécurité afin qu'il surveille de près ce qui se passe dans la
région dans les années à venir. Parce que nous avons un cycle d'élections – au
Burundi l'année prochaine, en RDC l'année d'après, au Rwanda en 2016 et
d'autres élections. Mais ces trois-là sont des périodes électorales clés.




Quels sont les principaux défis qui attendent le
prochain envoyé spécial ?




MR : Je crois qu'il existe une véritable opportunité de
revitaliser l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération avec la
Conférence des Grands Lacs et d'autres initiatives. C'est peut-être d'autant
plus nécessaire en raison du cycle électoral vers lequel nous nous dirigeons.
C'est toujours une période d'exacerbation des tensions, alors il faudra
surveiller tout ça de très près.




aps/cb-xq/ld



[FIN]



Cet
article en ligne: 
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