Kagame, Kabila, la classe politique et les forces sociales congolaises Quand la bataille des idées semble passer au second plan au Congo-Kinshasa Par Jean-Pierre Mbelu, analyste géopolitique
Après la mise sur la place publique du documentaire de la BBC commentant une macabre supercherie[1], plusieurs réactions ont été enregistrées. L'un des proches de Kagame intervenant dans ce documentaire, le Dr Théogène Rudasingwa[2], s'en est pris aux détracteurs de la BBC et a lancé un appel à un débat public sur ''le génocide rwandais''. Kagame a aussi réagi. Tout en fustigeant la duplicité de ses ''partenaires'', il a dit entre autres ceci : « Ils vous caressent dans le sens du poil, vous chantent des louanges et le lendemain, ils vous traitent de criminel. »
Cette ''confession'' de Paul Kagame ne peut être comprise que si elle est replacée dans l'approche que la longue tradition de la politique étrangère US a des dictateurs qu'elle fabrique. Déjà en 1939, le président Roosevelt, parlant du dictateur nicaraguayen Samoza, disait : « Samoza est sans doute un fils de pute mais c'est notre fils de pute. [3]» Longtemps après Roosevelt, en 1995, un haut responsable de l'administration Clinton qualifie un autre dictateur, le président indonésien Suharto, de ''our kind of guy''. Ce Suharto, dans son avidité et sa brutalité, avait, à son passif, deux génocides. A son ''actif'', il avait réussi à ouvrir son pays aux investissements occidentaux et plus particulièrement américains. Forts de la constance de ce paradigme dans la politique étrangère US, Edward S. Herman et David Peterson en sont arrivés, dans un article très bien documenté, à conclure que Paul Kagame est lui aussi ''our king of guy''. « Manifestement, écrivent-ils, le président rwandais Paul Kagame est lui aussi ''our King onf guy'' : également auteur d'un double génocide, à l'instar de Suharto. Kagame a débarrassé le Rwanda de toute menace sociale et démocratique avant de l'aligner fermement sur l'Occident, livrant lui aussi le pays aux investisseurs étrangers. Plus tard, et pour plus de profits encore, Kagame a facilité le pillage des ressources du Zaïre voisin et ouvert des opportunités d'investissement pour ses propres associés et les investisseurs nord-américains ou européens, dans cet immense réservoir de ressources minières d'Afrique rebaptisé République Démocratique du Congo (…). [4]»
Le documentaire de la BBC susmentionné aide à comprendre, après plusieurs livres bien documentés sur la question, que Kagame a été ''utilisé'' dans une guerre ayant pour objectif majeur l'accaparement des richesses du sol et du sous-sol Congolais par les USA et la Grande-Bretagne. Pour dire les choses autrement, Kagame tout comme Museveni et Kabila (Mzee ou Joseph) ont été utilisé comme des proxies dans une guerre de basse intensité menée par ''l'impérialisme dominant'' contre le Congo-Kinshasa.
Et pendant que cette guerre atteignait son objectif, ''les partenaires'' de Kagame le caressaient dans le sens de ses poils et le couvraient de louanges. Hélas ! C'était sans compter avec leur mode opératoire ou ''leur nature profonde'' de caméléons et d'impérialistes. En principe, estime un géopoliticien russe à qui l'histoire est en train de donner raison, « l'Occident, en particulier les Anglo-Saxons, ne garantissent jamais rien à personne et encore moins à quelqu'un qui a trahi son pays et son peuple. Les anciens aimaient à dire : « Roma traditoribus non premia » (Rome ne paie pas les traîtres). A vrai dire, ils les payaient bien, mais seulement jusqu'à un certain moment. Ensuite, on prend des chemins différents. [5]» Telle est la leçon qu'après plusieurs ''traîtres'' de la cause des pays du Sud, Kagame serait en train d'apprendre à ses dépens tout en avouant subrepticement qu'il a été utilisé par ''ses partenaires'' dont il est question dans la documentaire de la BBC.
Et pendant que cette guerre atteignait son objectif, ''les partenaires'' de Kagame le caressaient dans le sens de ses poils et le couvraient de louanges. Hélas ! C'était sans compter avec leur mode opératoire ou ''leur nature profonde'' de caméléons et d'impérialistes. En principe, estime un géopoliticien russe à qui l'histoire est en train de donner raison, « l'Occident, en particulier les Anglo-Saxons, ne garantissent jamais rien à personne et encore moins à quelqu'un qui a trahi son pays et son peuple. Les anciens aimaient à dire : « Roma traditoribus non premia » (Rome ne paie pas les traîtres). A vrai dire, ils les payaient bien, mais seulement jusqu'à un certain moment. Ensuite, on prend des chemins différents. [5]» Telle est la leçon qu'après plusieurs ''traîtres'' de la cause des pays du Sud, Kagame serait en train d'apprendre à ses dépens tout en avouant subrepticement qu'il a été utilisé par ''ses partenaires'' dont il est question dans la documentaire de la BBC.
En principe, cet aveu devrait, enfin, impulser une autre lecture (et écriture) et de l'histoire du Rwanda et de celle de la RDC. Au sujet du Rwanda, Boniface Musavuli effectue un pas dans ce sens en proposant une réécriture de l'histoire du génocide rwandais[6] ; un travail auquel s'adonnent déjà ''des intellectuels subversifs rwandais, africains et occidentaux'' souvent accusés de ''négationnistes'' et ''révisionnistes'' par le 1% de ''petites mains'' du réseau transnational de prédation qui continue à caresser Kagame dans le sens de ses poils. Au sujet du Congo, plusieurs ouvrages et rapports ont été écrits dans ce sens.
Cependant, la pratique politique ne semble pas se laisser gagner par ''le nouveau paradigme'' inspiré par la réécriture de l'histoire congolaise de ces deux dernières décennies. Explicitons. Lire des documents et suivre un documentaire soutenant la thèse (confirmée par les faits et les crimes commis) que la guerre menée contre le Congo-Kinshasa était celle des USA et de la Grande-Bretagne pour faire main basse sur ses ressources minières stratégiques ; et que Kagame et ses alliés ont été utilisés comme des proxies dans cette guerre, cela devrait conduire à traiter ces derniers pour ce qu'ils sont réellement ; c'est-à-dire des ''traitres de la cause des peuples de l'Afrique des Grands Lacs''. Au Congo-Kinshasa, par exemple, presque tous les acteurs sociopolitiques savent que Joseph Kabila est arrivé au pays dans la compagnie de James Kabarebe[7], l'ex-chef d'état major général de l'armée congolaise et actuel Ministre de lé défense au Rwanda. Et voulant lever un pan de voile sur ''le mystère Joseph'', Sassou Nguesso confie ceci à Pierre Péan en 2008 : « Venu de nulle part, en quinze jours il a eu des honneurs de Paris, Bruxelles, Londres et Washington… Joseph est un cheval de Troie du président rwandais. Officiellement, pendant la journée, il s'oppose à Paul Kagame, mais, la nuit tombée, il marche avec lui… Or, en Afrique, c'est la nuit que les choses importantes se passent… »[8]
Une bonne frange de la population congolaise mobilisée par certains partis politiques au cours de la campagne électorale de 2011 a donné l'impression d'avoir compris le rôle joué par Joseph Kabila au Congo-Kinshasa quand, au cours d'un meeting, elle a chanté : « Oh ya Tshitshi eee zongisa ye na Rwanda. » Pour elle, l'enjeu majeur de l'élection de 2011 n'était pas celle de légitimer X ou Y candidat en dehors de ''Ya Tshitshi''. Celui-ci ayant déjà gagné cette légitimité dans leurs cœurs et leurs esprits, il lui appartenait plus que de matérialiser cela afin de permettre au ''raïs'' de retourner au Rwanda. Elle était loin de se douter que ''Ya Tshitshi'' n'était pas opposé au ''raïs'' ; mais plutôt aux ''partenaires de Paul Kagame'' qui, comme en 1960 face à Lumumba, avaient décidé de confisquer l'indépendance et la souveraineté du Congo-Kinshasa. Le texte d'Arnaud Zatjman intitulé ''il est minuit moins une à Kinshasa'' et traitant de l'issue de la mascarade électorale de novembre et décembre 2011 est d'une très grande clarté sur cette question[9].
Malheureusement, au vu de l'agitation actuelle d'une certaine classe politique congolaise, l'impression qui se dégage est qu'elle n'inscrit pas sa pratique politique dans la réécriture de l'histoire du Congo-Kinshasa telle qu'elle se dégage des documentaires et des ouvrages bien sourcés sur la guerre de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 90.
Cette pratique est prisonnière d'un faux et mensonger processus dit de libération du Congo-Kinshasa par l'AFDL et les autres mercenaires de ''l'impérialisme intelligent''. Cette classe politique demande présentement, en se servant d'un Accord supervisé par ''les grandes puissances'' à Addis Abeba, un dialogue avec ''le raïs''. Elle souhaite que ce dialogue soit mené sous l'égide par l'ONU. Cela veut dire entre autres ceci : ''Nous, classe politique congolaise, nous refusons de croire que Joseph Kabila et les autres proxies US ont participé à la guerre de prédation et d'occupation du Congo-Kinshasa. Tous les documentaires et les livres produits sur cette question ne comptent pas pour nous. Nous voulons dialoguer avec ''le raïs'' sous la supervision d'une organisation toujours déjà au service des ''grandes puissances'' ayant utilisé Kagame et ''le raïs'' comme proxies. Nous sommes des ''républicains de pacotille''. » Elle fait comme si elle refuse de comprendre que la guerre menée contre le Congo-Kinshasa et qui l'a réduit à l'état d'un Etat raté participe des guerres secrètes de la politique et de la justice internationales''[10] au cours desquelles l'ONU est du côté des pyromanes.
Il nous semble qu'il y a ici plusieurs problèmes sérieux qui interpellent :
1. un refus pour cette classe sociopolitique de gagner ''la bataille des idées'' en se documentant et en se laissant instruire ;
2. un amateurisme politique qui se contente de l'offre géopolitique des ''grandes puissances'' à travers les organismes internationaux qu'ils dominent ;
3. une complaisance dans le statu quo créé par la guerre de basse intensité et de prédation impulsé par ''l'impérialisme intelligent'' ; c'est-à-dire une renonciation à la politique et une acceptation de ''l'esclavage volontaire'' donnant accès aux postes ministériels ''compradores''. (A suivre)
1. un refus pour cette classe sociopolitique de gagner ''la bataille des idées'' en se documentant et en se laissant instruire ;
2. un amateurisme politique qui se contente de l'offre géopolitique des ''grandes puissances'' à travers les organismes internationaux qu'ils dominent ;
3. une complaisance dans le statu quo créé par la guerre de basse intensité et de prédation impulsé par ''l'impérialisme intelligent'' ; c'est-à-dire une renonciation à la politique et une acceptation de ''l'esclavage volontaire'' donnant accès aux postes ministériels ''compradores''. (A suivre)
Bruxelles, jeudi 23 Octobre 2014
Mbelu Babanya Kabudi
[1] http://www.vigile.net/La- BBC-confirme-la-macabre
[2] http://glpost.com/dr- theogene-rudasingwas-personal- open-letter-bbcs-tony-hall/
[3] http://french.ruvr.ru/ 2014_10_20/Les-Etats-Unis- nous-soutiendrons-si- necessaire-le-dictateur-7362/
[4] http://www.voltairenet. org/article167964.html
[5] http://www.legrandsoir. info/frappe-contre-la-syrie- cible-la-russie.html
[6] http://www.ingeta.com/ reecrire-lhistoire-du- genocide-rwandais/
[7] Lire C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003, p. 132-133.
[8] P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 531-532.
[9] http://www.lalibre.be/ debats/opinions/il-est-moins- une-a-kinshasa- 51b8e0b5e4b0de6db9c48067
[10] Lire F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale, Paris, Flammarion, 2007.
[2] http://glpost.com/dr-
[3] http://french.ruvr.ru/
[4] http://www.voltairenet.
[5] http://www.legrandsoir.
[6] http://www.ingeta.com/
[7] Lire C. BRAECKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard, 2003, p. 132-133.
[8] P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 531-532.
[9] http://www.lalibre.be/
[10] Lire F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale, Paris, Flammarion, 2007.