Après le documentaire de la BBC, lire le témoignage de Christopher Black

Les acteurs apparents de la guerre de basse intensité et de prédation menée contre la sous-région des Grands Lacs  africains  poursuivent leur reproduction de l’histoire  de cette partie de l’Afrique telle qu’elle est contée par certains médias dominants. Le cas le plus flagrant est celui des acteurs apparents congolais cravatés qui, au nom de leur refus du devoir citoyen et patriotique de la réécriture congolaise de l’histoire de ces deux dernières décennies, sont en train de pousser les masses populaires à s’engager dans un processus  politique mensonger  où l’AFDL a plongé le pays depuis les années 1996-1997. Ils  disent carrément ceci : ‘’On ne réécrit pas l’histoire’’. ‘’On’’ c’est qui ?  Eux ou tous les Congolais ?
Ils disent cela sans préciser qui a écrit l’histoire qu’ils refusent de réécrire. 
En refusant de participer à la réécriture de l’histoire telle qu’elle a été recommandée par l’un des Pères fondateurs de l’indépendance du Congo-Kinshasa, ils donnent l’impression de vouloir demeurer à jamais ‘’des nègres de service’’ des ‘’vainqueurs’’ orientant l’écriture officielle de l’histoire universelle suivant qu’elle sert ou pas leurs intérêts.
Ces compatriotes choisissent de renoncer à la pensée entendue comme ‘’sport de combat’’. Ils veulent perpétuer la mémoire amnésique du pouvoir des acteurs  pléniers de la guerre de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa afin d’en partager les miettes. Oui. Ils veulent participer à l’incendie de la mémoire congolaise. Pourquoi ? Ils ont accepté de s’insérer dans un processus dont ils ne maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants. Accueillant les proxies et les mercenaires engagés dans une guerre anglo-saxonne pour la conquête du Congo-Kinshasa, ils ont applaudi à ‘’la libération’’ de ce pays par certains de ses fils engagés comme ‘’clowns’’ dans un processus dont ils ignoraient tout de la durée.
Ayant réussi à se tailler une place dans ce processus, ils refusent de le relire.
 Cela, au moment où, sous d’autres cieux  ‘’l’histoire écrite par les vainqueurs’’[1] est de plus en plus remise en question dans la mesure où elle cache les intérêts qu’elle sert, les moyens auxquels les acteurs pléniers recourent pour la produire et les institutions dont ils se servent pour l’imposer comme lieu du décervelage et de l’abrutissement des masses  impuissantées.
Dieu merci ! Sous d’autres cieux, des citoyens épris de paix, de justice et de respect de la dignité humaine poursuivent leur lutte pour que toute la vérité puisse être faite sur la tragédie vécue par l’Afrique des Grands Lacs depuis les années 1990. Quelques (jours ou) mois seulement après la mise sur la place publique du documentaire intitulé ‘’Rwanda’s  untold story’’ par la BBC et longtemps après la publication du livre de Florence Hartmann intitulé ‘’Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale’’[2], un Canadien, un avocat de la défense au Tribunal Pénal pour le Rwanda, Christopher Black, vient de publier un témoignage[3]accablant sur l’implication des acteurs pléniers dans la guerre de basse intensité et de prédation menée contre les Grands Lacs africains en général et le Congo-Kinshasa en particulier. Ce témoignage confirme, avec un peu plus de  détails, les thèses de Florence Hartmann. Il indique  comment le TPIR a été instrumentalisé par ces acteurs et leurs services de sécurité ; il montre comment  des témoignages sur ‘’le génocide rwandais’’ ont été arrachés à coup de menaces de mort et de guerre psychologique. Il met en exergue la pression extérieure face à laquelle certains accusés, témoins ou avocats de la défense ont dû être confrontés, l’implication de l’ONU dans ce jeu mensonger et mortifère, etc.  La lecture de ce témoignage au sujet de l’ONU rappelle les remarques de Frantz Fanon sur les erreurs commises par Lumumba en appelant cet organisme international à la rescousse du Congo en 1960. Frantz Fanon disait : ‘’Il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité, l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force échoue. Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont les moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance des peuples, de  cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère.[4]’’
Le texte de Christopher Black  vient confirmer l’une des thèses du documentaire de la BBC selon laquelle le Congo-Kinshasa était l’objectif final de cette guerre menée par les anglo-saxons par des proxies interposés. Les Hutus (et les autres Bantous) ont été pris dans le piège d’un plan concocté depuis probablement les années 1990. A ce propos Christopher Black note : « In 2008, I found hidden in prosecution files a letter from Paul Kagame, dated August,1994, in which he refers to his and President Museveni ‘’plan for Zaïre’’ in which he stated that the Hutus are in the way  on that plan but that, which the help of the Americans, British and Belgians, the plan would go ahead.’’ Et il ajoute :  “ I raised this letter in court the next day as  it indicated that the war in Rwanda was just the first phase for the great war in Congo that was planned probably as for back as 1990.”
Pour  quelle durée cette planification est-elle faite? Qui le sait ? Elle ne s’inscrit pas dans la perspective démocratique. Elle entrevoit la mainmise des entreprises anglo-saxonnes sur les territoires  et les terres ayant les matières premières stratégiques convoitées. Et en novembre 2011, une alliance public-privé a été signée à Kinshasa entre les gouvernements américain et congolais…
Revenir sur ces éléments historiques a une importance capitale pour la réécriture de l’histoire du Congo-Kinshasa, pour l’identification des acteurs pléniers et celle des acteurs apparents, pour la maîtrise de leur mode opératoire et la compréhension de leur recours permanent et facile à la mort soit pour intimider les témoins gênants, soit pour les supprimer tout simplement.
Tuer permet d’attendre les objectifs matériels qu’ils se fixent ou d’orienter l’histoire à leur guise avec les socio ou les psychopathes adhérant à leurs thèses souvent mensongères. Cela dans la mesure où la logique néolibérale ne comptabilise pas  les coûts sociaux et humains. Elle vise le profit maximal à n’importe  quel prix. Selon cette logique, la démocratie et les droits de l’homme sont des  ‘’objectifs vagues et irréels’’, des ‘’slogans idéalistes’’. Ils ne sont pas aux fondements de la logique néolibérale. Elle opère sur fond du  ‘’principe de pure force’’. Ce principe est au cœur  de toutes les guerres ‘’humanitaires’’. Celles-ci détruisent les nations et la souveraineté des peuples. En Afrique, elles servent aussi au ‘’contrôle’’  et à ‘’la régulation’’ de la population qui risque d’atteindre deux milliards d’habitants en 2050.
Dans ce contexte, réécrire histoire, c’est entretenir une mémoire vivante de lutte et de résistance et préparer le jour  les acteurs pléniers et apparents de ces guerres ‘’humanitaires’’ pourront répondre de leurs forfaits au tribunal de l’histoire. C’est aussi chercher les voix et moyens pour comprendre comment le discours sur le respect des droits de l’homme a phagocyté celui sur le droit des peuples à leur autodétermination au point de favoriser la politique de l’ingérence dans les affaires internes des pays souverains sous le faux prétexte de la défense de la démocratie et de la liberté.
Au Congo-Kinshasa, réécrire l’histoire de ces deux dernières décennies implique de rompre avec le processus enclenché par la fausse guerre de libération menée par l’AFDL sous le faux drapeau ougando-rwandais et disqualifier tous les acteurs apparents  qui y sont impliqués. Pour cause. Ce sont des élites compradores et des mercenaires. Il y a là une question sérieuse qu’une bonne partie de l’opposition congolaise et de la société civile escamote. Elle évite de l’aborder par peur, par ignorance, par complicité ou tout simplement par paresse intellectuelle. Elle vous dit : ‘’Nous n’allons pas réécrire l’histoire’’. Elle démissionne de sa responsabilité citoyenne. En principe, elle devrait s’effacer du devant de la scène publique congolaise.  Elle refuse et tient à jouer au clown applaudi par une partie de masses populaires aliénées et abruties par les spiritualités imbécilisantes et la confiscation des droits sociopolitiques, économiques et culturels par les élites compradores et les autres mercenaires.
A ce point nommé, une chose étonne : engager un débat ouvert avec  cette partie de  la classe politique et de la société civile congolaises   crée tout à coup des agitations ethniques. Il  semble être devenu difficile de rappeler à certains acteurs politiques et sociaux congolais leur connivence avec  les élites compradores et les mercenaires des pays voisins sans que l’on soit qualifié de tribaliste ou d’ethniciste.
En lisant Christopher Black après plusieurs autres critiques de la politique et la justice internationales,  une chose saute aux yeux : l’ordre politique et judiciaire mondial actuel fonctionne sur fond d’une matrice organisationnelle néolibérale mortifère.  L’Afrique et le Congo-Kinshasa ont besoin de s’engager dans une lutte acharnée pour l’avènement d’un ordre mondial multipolaire à partir d’une relecture de l’histoire conséquente. Leurs dignes filles et fils doivent y travailler sous peine de disparaître de la face de la terre. Ils ont le devoir citoyen et patriotique d’identifier et travailler en permanence avec des acteurs progressistes de ce monde multipolaire naissant  sans complaisance dans la promotion et le soutien offerts aux Etats souverains.
 
Mbelu Babanya Kabudi
 


[1] Lire H. ZINN, L’histoire écrite par les vainqueurs, dans  Le Monde diplomatique. Manière de voir, 137, Octobre-novembre, 2014, p. 6-8.
 
[2] F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique er de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007.
[4] F. FANON, Œuvres


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