Kabila s’en va et Africom arrive au Congo-Kinshasa !

Le soulèvement populaire des 19, 20 et 21 janvier 2015 a suivi un mot d’ordre : ‘’Kabila
dégage’’. Il s’est localisé dans les rues et a pu atteindre certains lieux
comme les universités et les instituts supérieurs. Il s’est intensifié pendant
trois jours et les populations congolaises abandonnées par un certain nombre de
politiciens ayant lancé l’appel à protester contre une loi électorale scélérate
ont pu recourir à ‘’la débrouillardise politique’’ pour tenir tête à la police
politique de ‘’la kabilie’’.

Ce soulèvement populaire présente là quelques caractéristiques d’une émeute
immédiate. Celle-ci obéit entre autres à un mot d’ordre, est intense et
localisable.  Cette émeute immédiate aurait pu se transformer en émeute
historique si elle avait par exemple abouti à la réalisation de son mot d’ordre ;
si Kabila avait effectivement dégagé. Et si l’occupation des lieux avait duré
jusqu’à ce que cet objectif soit atteint. Son intensification aurait permis que
plusieurs strates de la population se mobilisent et se retrouvent dans la rue
et dans les autres lieux occupés pour s’encourager à aller vers la mise en
pratique du mot d’ordre. En effet, « l’émeute historique tient des
semaines ou des mois. 
[1]»  A quel moment son seuil est-il
franchi ? Alain Badiou répond : « localisation établie, longue
durée, possible, intensité de la présence compacte, foule multiforme valant
pour le peuple entier.
[2] » Il explicite :
« L’émeute devient historique quand sa localisation cesse d’être
restreinte, mais fonde dans l’espace occupé la promesse d’une temporalité neuve
et à longue portée ; quand sa composition cesse d’être uniforme, mais
dessine peu à peu une représentation en mosaïque unifié de tout le
peuple : quand enfin aux grognements négatifs de la révolte pure succède
l’affirmation d’une demande commune, dont la satisfaction donne un premier sens
au mot « victoire ». 
[3]»

Au Congo-Kinshasa, le mot d’ordre des masses populaires, ‘’Kabila dégage’’,
a éclipsé celui des politiciens au cours du soulèvement populaire. Et ceux-ci
ont pu désorienter les masses en criant ‘’victoire’’ après le retrait de
l’article 8 de la loi électorale décriée. Il y a lieu de dire que l’une des
raisons pour lesquelles l’émeute immédiate des 19,29 et 21 janvier 2015 ne
s’est pas transformée en une émeute historique est cette divergence. Il y a une
autre raison : la récupération politicienne du ‘’soulèvement’’. Au cri
‘’Kabila dégage’’,  un bon nombre de politiciens a substitué : ‘’Ne
touche pas à ma loi électorale’’ ; au nom de la démocratie bourgeoise.

Que signifie cette récupération politicienne ? Elle dit, entre autres,
en filigrane, que le processus politique congolais est téléguidé de
l’extérieur. Un échange avec l’un des politiciens les plus  en vue 
au cours de ce soulèvement confirme notre propos. Pendant que le nombre de
morts causé par la police politique de ‘’la kabilie’’ augmentait, il nous
confie son inquiétude : « Ils nous ont dit que si vous mettez la
population dans la rue et qu’on en tue un peu, nous allons intervenir. Nous en
sommes déjà à 28. Quelle comptabilité macabre attendent-ils pour finalement
intervenir ? »   ‘’Ils nous ont dit’’. .. Qui
sont-ils ? Sont-ce les mêmes partenaires extérieurs dont que Paul Kagame
fustigeait la duplicité après la mise en circulation du documentaire intitulé ‘’Rwand’s
untold story’’ ? Kagame s’en était, en effet pris à la BBC avant de
s’entendre dire par les gouvernants britanniques qu’il devait respecter la
liberté d’expression. Voici fut sa réaction devant le parlement rwandais :
 « Ils vous caressent dans le sens du poil, vous
chantent des louanges et le lendemain, ils vous traitent de criminel. 
[4]»

‘’Ils nous ont
dit’’ ; ‘’Ils vous caressent dans le sens du poil’’. Qui sont-ils ?
Ne sont-ce pas ceux qui ont  dit un jour de Paul Kagame qu’il était ‘’Our
kind of guy’’ 
[5]? Ne sont-ce pas les mêmes qui, dans leur ‘’stratégie
du chaos constructeur’’ sont en train de souffler le chaud et le froid au
Congo-Kinshasa ? Présentement, ils ont exigé un calendrier électoral
global tout en cherchant à installer Africom au pays de Lumumba avec la complicité 
tacite ou avouée d’une bonne partie de la classe politique congolaise prise en
otage par un débat interminable sur ‘’les élections-pièges-à-con’’ et décidée à
servir l’ordre  néolibéral mortifère. Une classe politique capable
d’envoyer  ses compatriotes à la mort pour obéir aux  diktats 
des ‘’partenaires extérieurs’’. Une classe politique  envoûtée par ‘’la
sorcellerie capitaliste’’ ayant mangé son cœur  et son esprit.

Cette classe
politique exige le départ de Joseph Kabila auprès des maîtres auxquels elle
obéit au doigt et à l’œil au point de tomber dans le servilisme.

Et  Kabila
peut ou ne pas s’en aller, ce n’est pas cela qui importe aux ‘’maîtres du
monde’’. Ils veulent voir Africom  prétend s’installer au Congo-Kinshasa
et en Afrique. Le motif qu’ils évoquent, celui de travailler à la
réconciliation de l’armée avec la population civile, est farfelu. C’est
attrape-nigauds. Un pur mensonge !

Y a-t-il une armée
au Congo-Kinshasa ? Non. Il y a une police politique dominée par des
criminels issus de la guerre de prédation et de basse intensité menée par
l’Etat profond anglo-saxon contre la région des Grands Lacs africains depuis
les années 90. Plusieurs de ces criminels et affairistes sont passés des 
milices ougandaises et rwandaises pour s’infiltrer massivement au
Congo-Kinshasa. Africom ne vient donc pas au Congo-Kinshasa pour un travail
éthique de réconciliation. Ce travail lui sert de prétexte pour parachever
l’occupation du Congo et de l’Afrique. « Donc, si vous voulez savoir où se
dérouleront les prochains épisodes de la fameuse « guerre contre le
terrorisme », écrivait Michel Collon en 2011, cherchez sur la carte le
pétrole, l’uranium et le coltan, et vous avez trouvé. 
[6]»  D’où l’importance de connaître l’  « objectif réel
d’Africom : «stabiliser » la dépendance de l’Afrique, l’empêcher de
s’émanciper, l’empêcher de devenir un acteur indépendant qui pourrait s’allier
à la Chine et à l’Amérique latine; Africom constitue une arme essentielle
dans les plans de domination mondiale des  Etats-Unis. Ceux-ci veulent
pouvoir s’appuyer sur l’Afrique et les matières premières sous contrôle
exclusif dans la grande bataille qui s’est déclenchée pour le contrôle de
l’Asie  et pour le contrôle de ses routes maritimes. 
[7]» En dehors de cet objectif, il y a un autre : la dépopulation du
tiers-monde prônée par Henry Kissinger. Pour lui comme pour plusieurs
théoriciens de la politique anglo-saxonne, il y a des ‘’êtres humains qui ne
pourront être utilisés’’ ; le profit l’emporte sur leur vie. « En 1989
une étude Mémorandum-200, œuvre du conseiller à la sécurité nationale
américaine Henry Kissinger datant de
 1974, a été rendue
publique. L’étude était consacrée à l’augmentation de la population dans le
monde et aux conséquences que celle-ci pourrait avoir pour la sécurité des
Etats-Unis et des intérêts américains dans le monde. En guise de solution le
Mémorandum-200 proposait de réduire la population des pays en
développement ; ce qui permettrait aux Etats-Unis d’accéder aux ressources
naturelles de ces derniers. 
[8]» Tout est fait en fonction de l’accès aux 
ressources du sol et du sous-sol sur fond du recours au principe de la seule
force.

Dans ce contexte,
l’appel aux élections libres, transparentes et démocratiques au Congo-Kinshasa
est un leurre ; un appât.  Si l’Etat profond anglo-saxon croyait aux
élections, il ne s’allierait pas aux européens pour chasser du pouvoir un
président ukrainien élu au suffrage universel. Il ne s’arrangerait pas pour
faire ‘’un coup d’Etat permanent au Venezuela’’. Non. Il n’y croit pas. Il
croit en sa capacité de maîtriser ‘’un chaos constructeur’’ d’un nouveau
désordre mondial.

Comprendre cela
n’est pas très facile dans la mesure où sa redistribution de rôles rend
l’action déstabilisatrice qu’il mène en filigrane quasi illisible. Il opère à
partir de l’ombre. Il séduit par son argent et sa rhétorique hypocrite. Quand
il dit ‘’élections libres, transparentes et démocratiques’’, il dit ‘’choix de
ses caniches pour perpétuer le pillage  et le contrôle des matières
premières stratégiques et la guerre de tous contre tous lui permettant de
diviser pour régner’’.

Kabila peut s’en
aller ou pas ; Africom va s’installer. Le Congo-Kinshasa ne sera pas sorti
de l’auberge. A moins que ses dignes fils et filles pensent sérieusement
l’après Kabila et s’initient aux stratégies différentes de celles que plusieurs
de leurs compatriotes (aux affaires) reproduisent depuis l’indépendance jusqu’à
ce jour. Ce n’est pas à force de répéter les mêmes recettes ayant indiqué leurs
limites que le Congo-Kinshasa deviendra réellement souverain. Un changement de
paradigme nous semble indispensable. Si le soulèvement de Kinshasa s’était
transformé par exemple en émeute historique, lui rester fidèle aurait exigé
des  patriotes gérant la transition de promouvoir le principe égalité et
en  mettant de l’ordre dans le mouvement politique qui en serait issu afin
que les masses populaires deviennent dorénavant les démiurges de leur propre
destinée.

 

 

Mbelu Babanya
Kabudi

 

 




[1] A. BADIOU, Le réveil de l’histoire. Circonstances, 6,Paris, Lignes, 2011, p. 56.

[2] Ibidem.

[3] Ibidem, p. 57.

[4] http://www.france-rwanda.info/2014/10/kagame-le-temps-de-l-abandonnisme.html

[5] http://www.voltairenet.org/article167964.html

[6] M. COLLON, Libye, Otan et médiamensonges. Manuel de
contre-propagande
, Bruxelles,
Investig’Action, 2011, p51.

[7] Ibidem, p.51-52.

[8] Les
Etats-Unis stérilisent la population des pays en développement

 

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