05 05 15 – Le Congo-Kinshasa, la guerre perpétuelle et la question géographique du ‘’Grand Rift’’ par Mbelu Babanya Kabudi, analyste géopolitique

La guerre 
perpétuelle imposée à la sous-région des Grands Lacs a des fondements racistes
de conquête des terres, de contrôle des mers et des airs. Elle  est mieux
comprise  à la relecture des têtes pensantes anglo-saxonnes de la trempe
de Mackinder et de  ses ‘’disciples’’ tels que Brzezinski et George
Friedman. 

L’Etat profond
anglo-saxon tient à demeurer un empire  comme le furent la Rome antique et
l’empire britannique. Il travaille à son expansion en utilisant plusieurs
prétextes et subterfuges.  Son expansion géographique est fondée sur le
recours à la force brute et non aux principes de démocratie, de dialogue et des
droits de l’homme.

Dans la poursuite
de cette expansion géographique, cet Etat profond travaille sur des documents
archivés sur le temps long.

Rappelons qu’il a lié
sa vie et sa survie de l’empire à la conquête de l’Eurasie en ayant l’Amérique
Latine comme ‘’arrière-cours’’. Pendant longtemps, la Chine a accueilli sur son
sol ses entreprises multinationales délocalisées et leur a permis de faire des
bénéfices énormes en utilisant une main-d’œuvre moins chère.  Et pendant
ce temps, il contrôlait plusieurs pays africains au travers des programmes
d’ajustement structurel imposés par le Fonds monétaire international et la
Banque mondiale. 

Après la chute du
mur de Berlin (1989) et la dislocation de l’URSS en 1991, l’empire anglo-saxon
a crié à la fin de l’histoire et au triomphe  du néolibéralisme. Il venait
d’atteindre l’un des objectifs poursuivi depuis la première guerre
mondiale : tenir l’URSS et l’Allemagne désunies pour mieux poursuivre son
expansion.

Mais, la montée en
puissance de la Chine, le retour de la Russie sur l’échiquier mondial et la
lente et sûre émancipation des pays latinos  de  la globalisation
néolibérale sont, depuis quelques décennies, des facteurs qui semblent
torpiller les desseins de l’empire anglo-saxon. Sa guerre perpétuelle menée
contre ‘’le terrorisme’’  est  dorénavant utilisé comme stratégie
pour conquérir d’autres espaces vitaux  en restant fidèle à son obsession
pour le contrôle des terres, des mers et des airs.

En Afrique,  il est
intéressé par le Grand Rift. Qu’est-ce qu’est cela ?
  C’est une zone
géographique africaine.  « La région en question, (…) comprend non
seulement l’Ouganda, où un vaste champ de pétrole a été découvert récemment,
mais aussi des terrains miniers parmi les plus riches de la planète – y compris
en République démocratique du Congo, en République centrafricaine et dans la
république soutenue par les États-Unis au Soudan du Sud. La région se situe
dans cet extraordinaire conjoncture géographique appelée vallée du Grand Rift
(Great Rift Belt), qui s’étend au nord depuis la Syrie à travers le Soudan,
l’Erythrée et la Mer Rouge pour pénétrer profondément dans le sud de l’Afrique
en traversant l’Est du Congo, l’Ouganda, le Kenya, l’Éthiopie, la Somalie et
jusqu’au Mozambique. 
[1]»

Géographiquement, la partie orientale du Congo-Kinshasa se trouve dans le
Grand Rift. Les géologues attestent que cette région est immensément riche en
pétrole, en gaz et en autres ressources stratégiques indispensable au ‘’Grand
jeu US’’ et insuffisamment inexplorées. La stratégie du ‘’chaos constructeur’’
entretenu dans cette région est indispensable à ce ‘’jeu’’. « Les
troubles politiques chroniques de la région et les tensions entretenues par l’AFRICOM
– qui arrangent les majors pétrolières occidentales qui cherchent à maintenir
des prix du pétrole ridiculement élevés en contrôlant l’offre – font obstacle
au développement de ce pétrole. Tandis que l’Afrique de l’ouest et le Maghreb
ont connu des dizaines de milliers de forages pétroliers pendant les dernières
décennies, l’Afrique de l’est et l’Afrique centrale, y compris le Darfour et le
sud Soudan, le Tchad et la République centrafricaine, sont quasiment terra
incognita en termes de forage. 
[2]» 

La décision prise par l’entreprise britannique Soco d’exploiter le pétrole
du parc de Virunga, ce patrimoine classé de l’humanité, est à situer dans ce
contexte de l’exploration et de l’exploitation du ‘’Grand Rift’’.

Rappelons que les héritiers de Mackinder sont, pour un certain nombre
d’entre eux, des disciples de Darwin. L’expansion de leur empire se moque des
‘’races faibles’’.   Une caméra cachée pendant le tournage du
documentaire sur le parc de Virunga a pu rendre compte des élans racistes de ce
projet. En effet, « le film d’Orlando von Einsiedel montre avec
les armes dont il dispose le vrai visage de Soco sur le terrain. Via deux
personnages, un ranger de Virunga et la journaliste française Melanie Gouby qui
utilisent une caméra cachée en itw, on découvre le vrai visage de la
corruption. Le ranger montrant comment les officiels du Congo militent pour que
Soco hérite du terrain quitte à donner des pots de vin, graisser des pattes et
soutirer des informations directement via des membres du parc naturel.
Tandis que Mélanie Gouby montre de son côté une facette qui est à mes yeux la
plus triste, celle d’un français bossant pour Soco sur le terrain et qui laisse
transpirer dans chacune de ses paroles celle d’un colonialisme à l’ancienne, un
racisme tout sauf déguisé nageant dans une volonté sans failles de faire
du profit
[3]»  L’exploitation du ‘’Grand Rift’’ est 
donc fondée sur le colonialisme à l’ancienne, sur le racisme assimilant ‘’les
nègres aux ramasseurs des miettes’’, sur la corruption des officiels congolais
et sur le profit. Elle entretient ‘’le terrorisme’’ et les guerres dites
‘’civiles’’. Elle s’inscrit dans la logique de la guerre perpétuelle de
conquête des  ‘’terra incognita’’.  Elle fondamentalement
géographique et théâtralisé politiquement. C’est beaucoup plus une question
d’expansion territoriale que de démocratie et de droits de l’homme.  La
création du marché  de l’Afrique de l’Est est au cœur de cette guerre
perpétuelle. La balkanisation et l’implosion du Congo-Kinshasa participent de
cette même guerre et de l’incorporation de sa partie orientale  à ce
marché.

Comment, dans ce contexte, opposer l’intelligence congolaise et
panafricaine à celle de ceux qui estiment que les terres qu’ils n’ont pas
explorées et exploitées sont des ‘’terres incognita’’ ? Il est important
de comprendre qu’il  y a dans cette approche  des terres une
disqualification des rationalités d’autres peuples ; celles qui ne sont
pas techniques et/ou technologiques à l’occidentale. Il y a là une négation de
l’humanité des autres. Ce déni est la source du racisme auquel conduit l’expansion
territoriale, le mépris des gens et la cupidité produite par le goût effréné du
profit.

Les élites congolaises qui se veulent organiques et structurantes doivent
commencer par maîtriser cette géographie et ses soubassements  racistes,
colonialistes et ultralibéraux  pour les partager avec les populations
paysannes vivant de la terre. Elles doivent travailler ensemble pour  une
occupation ‘’avertie’’ des villages et campagnes congolais. Elles doivent
s’habituer, ensemble, à déchiffrer la dimension géographique de la politique
étrangère de ceux qui président à la globalisation des économies du ‘’Grand
Rift’’.

L’exploration et l’exploitation du ‘’Grand Rift’’ conduisent au détricotage
de la  souveraineté des peuples qui s’y retrouvent, à la cassure des
ressorts psychologiques, spirituels et moraux de résistance contre
l’idéologique consumériste ultralibérale et à la création d’un grand marché
autorégulé géré par les 1% oligarques d’argent occidentaux et ‘’leurs nègres de
service’’ africains.  Ceux-ci, déjà corrompus et ayant vendu leurs
cœurs  et leurs esprits au profit ‘’des petites mains du capital’’, ont du
mal à inscrire la question géographique du ‘’Grand Rift’’ à l’agenda du débat
panafricain. Ils organisent leurs dialogues autour des miettes qu’ils tiennent
à se partager comme ‘’chiens de garde ‘’ du nouveau désordre mondial
ultralibéral.

Dans ce contexte, les élites organiques et structurantes doivent
travailler, à moyen terme, à la (re)naissance du patriotisme panafricain en
reconduisant les luttes d’émancipation politique que les Pères et Mères
fondateurs des indépendances (formelles) africaines ont laissé inachevées. Ce
patriotisme panafricain mis au service de l’intégration politique et économique
des pays souverains au cœur  du ‘’Grand Rift’’ devra participer de la
re-création d’un autre imaginaire (congolais et) panafricain. 

Dans cette guerre perpétuelle que l’Etat profond anglo-saxon mène au monde
entier, il y a des exemples de résistance pouvant inspirer l’élite organique et
structurante congolaise ainsi que les masses populaires devenues critiques. La
Chine ayant compris que l’ONU et ses casques bleus font le jeu de cet Etat
profond a choisi d’avoir ses propres filles et fils parmi eux. Elle les a
envoyés protéger ses intérêts et les civiles travaillant dans les compagnies
pétrolières de l’un des pays du ‘’Grand Rift’’, au Sud-Soudan
[4]. Dans un monde
globalisé et  où règne la confrontation entre les peuples et les Etats,
elle a transformé son savoir en une action protectrice de ses intérêts et
des  civiles.

Un autre exemple est celui de l’Erythrée. Ce petit pays a rompu avec ‘’les
tueurs à gage économiques’’ made in USA que sont le FMI et la Banque 
mondiale pour sauvegarder sa souveraineté économique et politique.

Ces deux exemples prouvent à suffisance que quand  des élites
organisées et agissantes résolvent la question de la direction dans leurs pays,
elles peuvent répondre intelligemment aux questions géographiques et
économiques que leur pose l’Etat profond US sans se contenter de la simple dénonciation
ou de la critique facile.

 


[1] F. W. ENGDAHL, Ouganda : les objectifs inavoués de la campagne
« Kony 2012 », dans
 Réseau Voltaire du 28 avril 2012

[2] Ibidem.

[3] http://lejournaldessorties.com/critique-virunga-orlando-von-einsiedel-critique-du-film/

[4] Pékin
déploiera 700 casques bleus au Soudan du Sud / Sputnik France – Actualités –
Prises de Position – Radio

 

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