06 07 15 "Joseph Kabila sera le dernier président de la RDC" Par Albert Kisonga, ancien ambassadeur de la RDC en Belgique, Benelux et UE
Depuis,
il semble qu'une certaine effervescence sécuritaire ait été
observée, attestée par le déploiement des éléments de la Garde
Républicaine à Kinshasa. Cette unité, réputée être sous le
commandement direct du Chef de l'Etat, constitue la division de choc
de l'armée congolaise.
Si
la déclaration de M. Museveni se vérifie, elle confirmerait, en
fait, la persistance des intentions de balkanisation du Congo en
faveur du Rwanda et de l'Ouganda, pour laquelle milite notamment
l'ancien envoyé spécial du gouvernement américain dans Les Grands
Lacs, M. Russ Feingold. L'intéressé a démissionné de ses
fonctions pour se lancer dans une campagne électorale pour tenter de
retrouver son siège de sénateur aux Etats Unis. M. Feingold s'était
fortement impliqué dans la politique congolaise en répétant à
plusieurs reprises la volonté américaine de voir le Président
Kabila passer les manettes à la fin de son deuxième mandat.
Pourtant,
le Chef de l'Etat congolais avait maintes fois affirmé par le passé
son intention de respecter la Constitution, laquelle limite justement
son mandat à deux termes successifs. De ce point de vue, le soupçon
que ses adversaires font peser sur lui ne repose pas sur un
fondement objectif. A moins qu'il ne s'agisse d'une confusion entre
l'intention clairement exprimée et assumée de l'actuelle majorité
de garder le pouvoir en gagnant les élections, d'une part, et de
l'autre, l'hypothèse d'un troisième mandant du Chef de l'Etat.
Toutefois, le contexte régional, marqué par l'échéance
constitutionnelle des mandats de la plupart des Présidents des pays
voisins, incite à s'interroger. Les Présidents du
Congo-Brazzaville, de l'Ouganda et du Rwanda ne font pas mystère de
l'intention de faire modifier la Constitution pour garder le pouvoir.
Concernant spécifiquement le Président Museveni, en fonction depuis
29 ans grâce à plusieurs modifications constitutionnelles, son
intention de rester en place ne fait pas l'ombre du moindre doute.
Pour sa part, le Congo-Brazzaville ne s'attend à aucune surprise, le
PCT, le parti gouvernemental et majoritaire, ayant tranché la
question : le Président demeurera en fonction. Les partisans du
Président Paul Kagame, pour leur part, font état d'une pétition
"signée par 2 millions" de Rwandais pour que leur champion
accomplisse un troisième mandat. La seule exception prévisible est
celle de la Tanzanie, où la succession pacifique et démocratique
des Présidents est dans les mœurs. Hormis la mutinerie en janvier
1964 des King Riffle's (les armées autochtones) dans les trois pays
de l'ex-East African Community (Tanzanie, Kenya et Ouganda), les
militaires n'ont jamais interféré dans les affaires politiques en
Tanzanie. Sauf surprise, le Président Jakaya Kikwete, 63 ans, cédera
le pouvoir en octobre prochain.
En
Angola, le Président Dos Santos, aux affaires depuis 1979, n'entend
guère s'effacer.
Un
autre élément à prendre en considération : la culture. Les
dirigeants africains proviennent d'une culture dans laquelle
l'alternance au sommet n'est pas prévue. Il suffit, pour cela,
d'observer la gestion des partis politiques au Congo. Aucun Président
de parti n'a jamais envisagé tant soit peu de remettre en jeu son
mandat. Les partis qu'ils dirigent sont quasiment leurs "propriétés
privées", au point que même en prison à l'étranger, M. Jean
Pierre continue de diriger le MLC. Ils y a des Présidents de parti
étiquetés "progressistes" qui dirigent depuis plus de….50
ans. Qu'on le déplore ou qu'on l'accepte, toute analyse qui ne
prendrait pas en compte ce facteur aboutirait à une conclusion
erronée. Pour quelles raisons serait-on fondé de croire qu'un
politicien au pouvoir serait différent d'un politicien dans
l'opposition?
Pour
revenir au titre de cet article, il y a donc lieu de penser que
l'existence du Congo peut être menacée dans un futur proche. Cette
menace de démembrement était connue de tous les observateurs.
Toutefois, elle fut formulée par les Américains dans le cadre de
leur politique de "nouveau leadership" en Afrique dans les
années 80, à un moment où les USA étaient redevenus la seule
grande puissance, l'URSS s'étant considérablement affaiblie. La
situation a notablement évolué depuis lors, principalement avec
l'émergence de la Chine comme puissance mondiale. La Russie, sous le
leadership de Vladimir Poutine, n'accepte plus le diktat américain.
Et puis, l'accession à la Présidence de Barack Obama, un
Afro-Américain, a rendu moins aisée la poursuite active de
l'entreprise de démembrement du Congo, sans l'avoir étouffée.
Toutefois,
les USA étant ce qu'ils sont en termes de pouvoir réel, certains
centres de décisions ont continué à appuyer le Rwanda et l'Ouganda
dans leur dessein de faire imploser le Congo afin de s'approprier ses
territoires de l'Est. La preuve en est justement la persistance des
déclarations de M. Russ Feingold sur la nécessité de réviser les
frontières.
Qu'à
cela ne tienne, l'envoyé spécial américain fut activement courtisé
par les hommes politiques congolais de l'opposition, lesquels -semble
t-il- sont uniquement focalisés sur le départ de l'actuel Chef de
l'Etat à la fin de son mandat. De deux choses, l'une : soit ils ont
les raisons de ne pas croire à l'hypothèse de la balkanisation du
Congo, soit ils font preuve d'une incroyable inconscience politique.
Enfin,
il faut relever le cas spécifique du Burundi qui, pour le moment,
attire l'attention des grands médias mondiaux. Selon la définition
de Larousse, le génocide est un crime qui tend à la destruction
d'un groupe social donné, racial, ethnique ou religieux. En 1972,
200.000 Hutu exclusivement y furent massacrés. C'est exactement la
situation qui répond à la définition du crime de génocide, alors
qu'au Rwanda toute la littérature tant du pouvoir que de ses
soutiens internationaux parle du "génocide des Tutsi et des
Hutu modérés". Mais c'est la situation rwandaise qui est
reconnue comme génocide, la burundaise étant passée sur le compte
des pertes et profits.
Il
n'empêche que ce sont les jeunes rescapés de ce génocide qui, les
armes à la main, ont combattu pour obtenir le droit, grâce aux
élections, d'accéder au pouvoir au Burundi. Mais comme dans toute
situation de changement brutal, la révolution est mangeuse de ses
propres enfants. Le CNDD-FDD a éclaté en autant de factions qu'il y
a des régions ou tout simplement des ambitions personnelles. Une
chose est cependant certaine : le Président Pierre Nkurunziza jouit
d'une popularité sans pareille auprès des masses Hutu ( 85% de la
population) dans un pays qui demeure très largement rural.
Footballeur et évangéliste protestant, le Président est quasiment
invisible dans la capitale et passe l'essentiel de son temps à la
campagne. Il joue au foot avec les jeunes, construit des écoles,
répare des dispensaires, prend sur place des décisions, notamment
contre des fonctionnaires véreux dénoncés par la population,
décisions immédiatement exécutées, ce qui lui confère une
stature particulière auprès de ces populations.
Les
observateurs sont unanimes pour dire que Nkurunziza battrait
n'importe lequel de ses adversaires dans une compétition électorale
honnête et transparente. Le seul hic est cet Accord d'Arusha,
considéré comme fondateur de l'ordre constitutionnel burundais,
lequel exclut un troisième mandat présidentiel. Mais le Président
fait une autre lecture de la Constitution et la Cour
constitutionnelle, aux ordres du pouvoir dit-on, lui a donné raison.
Ses adversaires, bénéficiant d'une massive campagne de presse à
l'échelle mondiale, ont choisi d'ignorer l'avis de la Cour
constitutionnelle. A leur secours, l'Occident. Lorsqu'il a choisi son
camp, s'agissant de l'Afrique, l'Occident ne s'embarrasse pas de
l'Etat de droit. Sous l'œil bienveillant, si pas complice, de leurs
soutiens occidentaux, les adversaires de Nkurunziza ne font pas
mystère de devoir faire parler la poudre. Les plus virulents sont
les anciens dirigeants du régime Tutsi qui n'avaient pas accepté le
pouvoir de feu Melchior Ndadaye, le premier Président
démocratiquement élu du Burundi, assassiné en 1993. Il en va de
même de celui de Pierre Nkurunziza, pourtant un métis Hutu-Tutsi.
Cependant, le type de propagande contre lui paraît si semblable à
celle du FPR contre Habyarimana, qu'on a vite fleuré anguille sous
roche. A plus forte raison que M. Paul Kagame a menacé d'intervenir
si les Tutsi étaient menacés. Nombre d'opposants à Nkurunziza se
réfugient au Rwanda où ils recevraient une formation militaire.
Comme au Rwanda naguère, certains dirigeants Hutu coalisent avec les
Tutsi pour mettre à bas Nkurunziza. Il faut espérer, contrairement
à certaines élites Hutu au Rwanda en 1994, qu'ils ont conscience
que "lorsqu'on dîne avec le diable, il faut se munir d'une
longue cuillère".
La
mémoire étant encore fraîche pour penser qu'une population
traumatisée comme celle du Burundi puisse jamais voter pour ses
bourreaux de naguère, pourquoi Pierre Nkurunziza n'a-t-il pas choisi
de désigner un autre de ses compagnons à l'élection
présidentielle, étant donné la certitude de gagner? La question
mérite d'être posée. Est-ce par simple excès d'égo personnel?
Aurait-il peur que sans lui, le pouvoir échapperait aux Hutu?
Serait-il si méprisant pour ses camarades comme Caligula qui faillit
désigner son cheval pour successeur? Seul l'avenir le dira.
Ce
qui est certain est que l'embrasement du Burundi obligerait la RDC,
même à son corps défendant, d'entrer dans la danse. Premièrement,
si un régime pro-Kagame s'installe à Bujumbura, le Congo aura
toutes les raisons de se faire des soucis. Deuxièmement, Joseph
Kabila a une dette de sang envers les Burundais, les FDD l'ayant
sorti d'une situation où il avait failli être fait prisonnier par
l'armée rwandaise à Pweto en 2001.
Concernant
la Tanzanie, il faut rappeler que ce pays avait naguère été menacé
d'être attaqué par le Burundi du Président Buyoya au motif qu'il
permettait le passage sur son territoire des guérilleros hutu. Il y
a peu, lorsque le Président Kikwete avait recommandé que
l'obligation de négocier avec ses rebelles ne concerne pas Kinshasa
seul mais également Kampala et Kigali, le Président Kagame avait
déclaré que "ses mains le démangeaient", une façon de
dire son envie de frapper la Tanzanie. Cette dernière lui conseilla
fermement de se rappeler les turpitudes d'un autre dictateur, Idi
Amin qui, ayant attaqué la Tanzanie, provoqua la riposte qui
l'envoya mourir en exil. Que ferait Dar Es Salaam en cas de
renversement par la force de Nkurunziza par les Tutsi? La région se
trouve bien au bord du précipice.
Quant
au Congo, le drame est que la situation des Grands Lacs est largement
ignorée des politiciens de Kinshasa, y compris ceux du pouvoir. Sous
ce prisme, il est facile de comprendre que le sort de la RDC se joue
sur le fil de rasoir.
Albert
Kisonga Mazakala