30 07 15 – Le Congo-Kinshasa et la perpétuelle question d’amnésie. ‘’Joseph Kabila’’ partira ou partira pas Par Mbelu Babanya Kabudi, analyste

Dans son dernier article
publié sur Congoindependant, Mufoncol Tshiyoyo pose une question : ‘’8.000.000
de morts en RD Congo depuis 1996 et à ce jour, mais comment serait-on à ce
nombre en RD Congo ? »
[1]  Cet article n’a connu qu’un seul (intelligent)
commentaire (jusqu’au moment où nous terminions le nôtre.)

Comment expliquer
cela ?  Congoindependant est-il de moins en moins fréquenté dans sa
rubrique ‘’Opinion & débat’’ ? Le sujet abordé  a-t-il commencé à
manquer de l’intérêt dans le chef des  compatriotes ? Cela serait
grave. Quels autres sujets auraient pris le dessus ? Le voyage de Barack
Obama en Afrique ? Le découpage territorial ? Les élections ?
Que représentent les élections dans un contexte de ‘’guerre
perpétuelle’’ ? Simplement un piège-à-cons servant à la
neutralisation  du suffrage universel par ‘’les nouveaux cercles du
pouvoir’’.

Comment aurons-nous fait pour
oublier, si vite, nos 8.000.000 de morts ? Est-ce possible d’oublier si
rapidement ‘’le génocide congolais’’ ? Pourtant, sous d’autres cieux,
cette question n’est pas encore oubliée. Récemment, un petit livre
d’entretiens  y est revenu en désignant ‘’le réel adversaire’’
[2]. Qu’est-ce qui justifierait la disqualification de cette question par
plusieurs compatriotes congolais ?  Il est possible que la perte de
mémoire par lobotomisation et décervelage  empêche plusieurs d’entre nous
d’apprendre de l’histoire. Oui, plusieurs d’entre souffrent d’amnésie. D’où le
manque de constance et de persévérance dans la réponse à certaines questions
cruciales que pose le Congo-Kinshasa.

Lumumba est assassiné. Ses
assassins disent comment ils ont procédé et leurs complices finissent par
avouer leur participation à ce meurtre odieux. Officiellement, l’Etat (os)
congolais n’engage aucune poursuite judiciaire à leur endroit en marge de
celle  initiée par la famille biologique de notre Père Fondateur.

 Huit millions de Congolais(es)
sont ‘’génocidé(es). Une tentative  pour déférer en justice les proxys
impliqués dans ce ‘’génocide’’ devant la Cour Internationale de Justice est
vite cassée. Celle qui aboutit plus ou moins contre l’Ouganda n’est pas suivie
d’effet : l’argent  de réparation n’est pas versé jusqu’à ce jour.
Aucune instance internationale ne s’en préoccupe.

Relisons un peu l’histoire. La
guerre raciste menée contre le Congo-Kinshasa dans les années
 1990 a été soutenue par
les anglo-saxons et plusieurs entreprises multinationales travaillant main dans
la main avec le FMI et la Banque mondiale. « Des sociétés relativement
modestes, comme  AMF, qualifiées de « juniors » sur la place de
Toronto et  qui accepteraient de traiter avec les « rebelles »,
n’étaient en réalité que des « poissons-pilotes » qui se proposaient,
après la fin de la guerre, de revendre leurs avoirs aux transnationales. Ces
derniers, avant de s’engager, exigeaient en effet que soit rétablie une
certaine stabilité politique, et surtout que le nouveau régime (de Mzee Kabila)
ait renoué avec les deux huissiers du grand capital, le FMI et le Banque
mondiale. »
[3]  Le lien entre  les ‘’juniors’’, les
transnationales et les huissiers du grand capital est indispensable à la
compréhension de la suite des évènements au Congo-Kinshasa.
Pourquoi ?  

Depuis les années 1990 (même
un peu plus tôt)
[4],  les entreprises transnationales (et
transcontinentales) ont usurpé le pouvoir politique et économique presque
partout en Occident en collaboration avec les banques et les Institutions Financières
Internationales (IFI). Ils ont ainsi constitué ce que John Parkins nomme dans
son magnifique ouvrage
[5] ‘’la
corporatocratie’’ guidées par certains services secrets de ‘’la Sainte
Alliance’’.  Celle-ci utilise plusieurs responsables politiques,  que
nous applaudissons sur la place publique, comme des ‘’garçons de course’’, des
‘’bana bitinda’’ comme on dirait à Kinshasa. Souvent, ces ‘’bana bitinda’’ sont
des acteurs politiques apparents et non pléniers. Souvent, les luttes
politiques sont menées contre eux sans qu’un réel désir de la déstructuration
systémique de l’idéologie et des intérêts  qu’ils servent soit manifeste.

Prenons le cas de ‘’Joseph
Kabila’’.  Comment vient-il ‘’aux affaires’’ en RDC ? A travers la
guerre de l’AFDL et dans les parages de James Kabarebe. C’est-à-dire  dans
les parages des proxys des anglo-saxons.  Ces proxys ont fait la guerre en
ayant les américains à leurs côtés. Et ceux-ci ont été aidés par les militaires
français.

Dans son article sus
mentionné, Mufoncol Tshiyoyo  écrit ce qui suit : « 
Et dans son livre Le
Retour du Mwami, Bernard Debré parle de corps des militaires américains décédés
en RD-Congo et extirpés vers l’extérieur par des militaires français et ce à la
demande des USA. Je cite : « (…) pendant la guerre (de l’AFDL en 1996), des
militaires américains seront tués. Leurs corps seront rapatriés discrètement
grâce au concours des troupes françaises stationnées dans la région » (Debré,
1998 :162). » 

Il est intéressant de lire John Perkins pour savoir quand les Américains
décident d’envoyer leurs enfants mourir au front. Souvent, c’est quand ils
estiment que  les pressions de leurs ‘’tueurs à gage’’, les IFI ont été
inefficaces et que l’enjeu vaut la peine que le sang coule.

Et quel est l’enjeu ici ? L’imposition du marché néolibéral au cœur 
de l’Afrique en détricotant l’Etat.

Quand Mzee Kabila essaie, après avoir malheureusement introduit ‘’le loup
dans la bergerie’’, d’appliquer ‘’l’économie dirigiste à la Mao’’, il est
assassiné le 16 janvier 2001. ‘’Joseph Kabila’’ , ‘’Cheval de Troie’’ de Kagame
[6] accède aux affaires de l’Etat-os dans ce contexte mortifère. Il devra
déréguler, libéraliser et privatiser l’économie congolaise sous la supervision
des ‘’huissiers du grand capital,  le FMI et la Banque mondiale’’. 
Tel est le contexte dans lequel les terres congolaises ont été désertées par
les Congolais(es) et vendues comme ‘’carrés miniers ou pétroliers’’. Tel est le
contexte dans lequel ‘’le code minier’’ a été dicté par la Banque mondiale et
le Congo-Kinshasa forcé à payer une dette odieuse en devenant ‘’un pays pauvre
très endetté’’. Rappelons que ‘’Joseph Kabila’’ n’est pas venu  aux
affaires par les élections. Il n’en a jamais gagné. Contrairement à ce que  propagent ‘’les médiats dominants’’ ayant
réussi à décerveler plusieurs d’entre nous.  Un livre est très explicite à
ce sujet : « Europe, crimes et censures au Congo. Les documents qui
accusent. »
[7] Il est imposé  de l’extérieur, avec des complicités internes, dans un
contexte de pillages, de corruption et de criminalité au cœur  de
l’Afrique.

‘’Joseph Kabila’’ continue-t-il à favoriser la mainmise des
transcontinentales et des ‘’huissiers du grand capital’’ sur le
Congo-Kinshasa ? Oui. Plusieurs projets
[8] qu’ils inaugurent sont financés par eux. Il faut donc dire que, dans une
large mesure, ‘’Joseph Kabila’’ a été un ‘’bon élève’’ de la
‘’corporatocratie’’ en présidant à la vente des terres et des forêts
congolaises et en travaillant pour  une croissance non-inclusive pour les
populations congolaises. Cela avec la complicité des Congolais(es) faisant partie
de ‘’la kabilie’’ ;  l’apathie collective aidant.

Venu donc de nulle part, il a réussi à servi la ‘’corporatocratie’’ au
mépris des Congolais(es). Les discours ‘’souverainistes’’ que ‘’la kabilie’’
tient souvent sont un mensonge et une hypocrisie. Il n’y a pas de souveraineté
là où ‘’l’Etat raté et manqué’’ dépend économiquement  et sécuritairement,
pour une bonne part de son budget, de l’argent du ‘’grand capital’’. (Les
BRICS  et l’OCS sont en train de devenir réellement souverains en créant
leur Banque, leur Fonds monétaire et leurs services de sécurité.)

Dans un tel contexte, ‘’Joseph Kabila’’ partira ou partira pas ? Il ne
partira pas s’il n’est pas renvoyé  par  des élites organiques et
structurantes  et/ ou des masses populaires ayant maîtrisé l’enjeu 
dont il vient d’être question. L’étude et la compréhension historique de cet
enjeu par les élites et les masses populaires peuvent constituer un détonateur
au renvoi de ‘’Joseph Kabila’’.

N’étant pas venu aux affaires comme marionnette par les urnes, il éprouve
beaucoup de difficultés à partir par les urnes. Il vient de voir ce que le
Burundi a subi. Il sait que son mentor Kagame ne partira pas de lui-même en
2017.  Il sait qu’il a ‘’politisé’’ les services secrets et débauché
l’armée. Il sait qu’il peut acheter certains ‘’grands électeurs’’ pour une
bouchée de pain.  Tous ces éléments peuvent le conduire à oser le forcing
avec la complicité de la ‘’corporatocratie’’. Celle-ci n’a rien à voir avec la
démocratie et les droits de l’homme.

Elle n’a pas organisé ‘’le génocide des Congolais(es)’’ pour leur offrir
‘’la démocratie’’. Ses discours officiels sont des mensonges.

Si finalement elle décide que ‘’Joseph Kabila’’ parte, ce qu’elle aura
trouvé un autre ‘’Cheval de Troie’’ parmi ‘’les Chicago boy’s Congolais’’.
Cette affaire est grave et mérite d’être suivie de plus près.

Nous ne le dirons jamais assez. Il est plus que temps  d’opérer une
rupture au cœur de ce sous-système mortifère ; d’aller vers la
police  et les militaires patriotes afin de les associer aux luttes
d’émancipation politique en les habituant à travailler à certains programmes de
développement social avec les masses populaires. Petit à petit, ils pourraient
arriver à ne plus les prendre pour de la chair à canon au profit de la ‘’corporatocratie’’.
Souvent, ses ‘’bana bitinda’’ opposent les appauvris de  masses populaires
congolaises aux appauvris de la police et de l’armée. Les appauvris, au lieu de
coaliser pour lutter politiquement contre les ‘’bana bitinda’’, se divisent, se
tuent afin que ces derniers règnent au profit de leurs ‘’maîtres’’ en faisant
du Congo-Kinshasa ‘’une terre brûlée’’ pour ses filles et ses fils.

 


[1] http://www.congoindependant.com/article.php?articleid=10109

[2] N. CHOMSKY et A. VLTCHEK, L’Occident terroriste. D’Hiroshima à la guerre des
drones
, Montréal, Ecosociété,  2015.

[3] C. BREACKMAN, les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique
centrale, Paris, Fayard,  2003, p. 183-184.  Sur cette question, il
serait souhaitable de lire ou de relire  P. MBEKO,
 Le Canada dans les
guerres en Afrique centrale. Génocides & pillage des ressources minières du
Congo par le Rwanda interposé
, Canada, Le Nègre
éditeur, 2008. Il serait aussi intéressant de lire ou de relire  A.
DENEAULT, D. ABADIE et W. SACHER,
 Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en
Afrique
, Montréal, Ecosociété, 2008

[4] Lire N. CHOMSKY, Deux heures de lucidité. Entretiens avec De,is Robert et Weronika
Zazachowicz
,  Paris, les arènes, 2001. Lire aussi S. GEORGE, Les usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le
pouvoir
, Paris, Seuil,  2014.

[5] Lire J.PERKINS, Les confessions d’un assassin financier sur ce lien en
PDF :
 http://nicole-guihaume.com/wp-content/uploads/2015/06/John-Perkins-Les-Confessions-d-Un-Assassin-Financier.pdf

 [6] Lire la confidence de Sassou Nguesso à Pierre Péan dans Carnages. Les
guerres secrètes des grandes puissances en Afrique,
 Paris, Fayard,
2010, 531-532.

[7] C. ONANA, Europe, crimes et censures au Congo. Les documents qui
accusent
, Paris, Duboiris, 2012.

[8] L’achat des  locomotives de la SNCC inaugurées il y a deux jours à
Lubumbashi a été financé par la Banque mondiale comme l’atteste ce lien de la
radio okapi :
 Lubumbashi:
Joseph Kabila inaugure 18 nouvelles locomotives de la SNCC | Radio Okapi

 

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