30 07 15 LExpress – Joseph Kabila et les libéraux belges: un naufrage politique
Le Congo offre le spectacle unique -au début du 20°siècle-
d'un pays d'outre-mer pauvre dont une partie des ressources va être mise à la
disposition d'un pays riche européen…Tel est le constat que dresse du Congo
de 1908, l'éminent professeur Stengers. La sordide affaire " Kubla "
semble suggérer que 55 ans après l'indépendance, la politique de prédation des
ressources économiques du Congo perdure au profit d'une minorité d'étrangers
avec la complicité des élites locales.
La presse belge (La Libre Belgique :11,16 mars ; Le Soir :26
février, 17mars ; Le Vif l'Express 13-19mars) s'est largement fait
l'écho d'une ténébreuse affaire de collusion entre certains milieux d'affaires
et des politiques belges et congolais sur fond de concussion, corruption et
forfaiture. Un naufrage politique ! relève un quotidien bruxellois.
Cet éditorial répond en écho à "la descente aux enfers de la politique belge en Afrique
centrale" (J. Claude Willame, Revue nouvelle, décembre 2004). Belgique -Congo : nouveau pari hasardeux? Tel est le titre
d'une tribune que j'ai signée le 29 mars 2007 (Llb) au moment où les Libéraux
se mobilisaient pour fabriquer, légitimer et faire triompher une candidature
présidentielle devant garantir et préserver les intérêts économiques,
commerciaux et industriels des groupes proches d'eux.
Depuis 1999, sous la houlette de Louis Michel, les Libéraux
francophones s'emploient à imprimer leurs marques – souvent sur fond des
rivalités au sein de leur parti – dans un ministère quasi exclusivement
attribué aux socialistes et aux socio- chrétiens depuis la Libération.
Diplomatie éthique… Tel est le slogan forgé pour vendre aux opinions
publiques belges, européennes et africaines ce qui est présenté comme un
renouveau de la politique belge au Congo ! Le parti libéral (MR) édite une
brochure -Debout Congolais ! Tout cela vous rendra le Congo ; Centre
J.Gol, mai 2007- qui amplifie cette propagande magnifiant ce qu'il considère
comme des initiatives bénéfiques pour les Congolais depuis la colonisation. En
réalité, cette éblouissante vitrine masque aussi des pratiques glauques que met
en lumière l' Affaire Kubla.
Aussi, les hauts cris que poussent certains Libéraux, ainsi
que le silence assourdissant qu'observent d'autres partis – craignant des
effets dévastateurs – ne doivent pas faire illusion. Datant de l'époque
coloniale, les collusions entre les grands groupes financiers et le pouvoir
politique ont rabougri toute politique de développement économique et ont
engendré un contrôle du champ politique après 1960 pour régenter l'émergence
d'une classe dirigeante docile. Par ailleurs, les Libéraux sont partie
-prenante de la politique coloniale et des ingérences belges au Congo depuis
1960.Le 20 août 1908 à la Chambre des Députés, le parti libéral s'est divisé
lors du vote portant sur le Traité de cession de l'EIC à la Belgique :21
députés se sont opposés à la cession ;8 l'ont approuvée et 8 autres se sont
abstenus.
Quatre ministres des colonies et un gouverneur- général sont
issus du parti libéral : Louis Franck(1918-1924) fut un des théoriciens les
plus féconds de la doctrine coloniale belge ;Edouard Pescher (1926) ;Robert
Gooding(1945-1947) il introduit l'enseignement laïc pour les enfants belges
qu'Auguste Buisseret (1954-1958) étendit aux élèves congolais. Très lié aux
milieux d'affaires, Maurice Lippens fut gouverneur- général(1921-1923).
Faillite d'une
restauration néo coloniale…
Eclatée au moment où Joseph Kabila patauge dans un cloaque
de fourberies émaillées d'intrigues les plus abjectes d'achat des consciences,
des manipulations des opinions publiques nationales et étrangères à travers des
medias serviles, la nauséabonde " affaire Kubla " consacre l'échec de
la politique initiée et mise en oeuvre depuis 1999 par Louis Michel. Il s'est
attelé à recycler dans un contexte géopolitique post-guerre froide, le
paradigme du Pacte néocolonial mis au point – gravé en Tables de Loi du Royaume
– par la cotutelle belgo- américaine à l'initiative de Paul Spaak. Celui-ci a
été en 1961 le principal artisan du rebond diplomatique belge au Congo après le
" tsunami " que fut la calamiteuse décolonisation du Congo suite à la
myopie belge.
Marquée du sceau de l'esbroufe, l'escapade en juin 2006, au
Congo de deux personnalités libérales – Didier Reynders et Armand De Decker –
réactualise le paradigme et en consolide le dogme essentiel : le leadership
politique congolais n'est légitime que s'il a reçu l'onction belgo-américaine.
Lors de cette visite, les deux ministres couvrent Joseph Kabila de somptueux
cadeaux. Quant à Louis Michel, il enjoint les Congolais de voter favorablement
pour Kabila. En 2008, un autre libéral, Karel De Gucht, – pourtant critique
vis-à-vis de Kabila – se prévaut d'un prétendu droit moral qu'aurait la
Belgique à l'égard du Congo.
Fort du ferme soutien des Libéraux, Joseph Kabila refuse
catégoriquement le débat contradictoire avec Jean-Pierre Bemba, certainement
pour éviter d'être confondu avec des questions portant sur des enjeux majeurs.
Assuré de l'emporter dès le premier tour, il est révulsé par la lucidité
citoyenne des Congolais qui imposent un 2e tour. Désarçonnées, les chancelleries
occidentales dépêchent leurs ambassadeurs auprès de Jean-Pierre Bemba. C'est
alors que le 28 août 2006, l'aviation militaire de Kabila bombarde la résidence
de Bemba. Quoique " proclamé " vainqueur, Joseph Kabila fait
déclencher une sanglante opération militaire contre Bemba, les 21,22 et 23 mars
2007.
Grisé par les louanges de certains organes de presse ; ivre
de gloriole des accolades de hautes personnalités belges et françaises lors de
son investiture le 06 déc.2006; Kabila assoit et consolide un présidentialisme
fondé sur une déréliction sécuritaire qui étouffe toute initiative politique
populaire, pourchasse et assassine les défenseurs des droits de l'homme (Fl.
Chebeya) et matraque ceux des journalistes faisant preuve d'indépendance
d'esprit. La violence sociale reste le lot quotidien de l'immense majorité de
la population.
La forfaiture que constituent la révision constitutionnelle
de janvier 2011et celle — avortée – pour contourner le prescrit
constitutionnel limitant à deux le nombre de mandat présidentiel, ainsi que le
hold-up électoral de novembre 2011, n'est pas un simple incident de parcours.
Elle illustre piteusement les multiples contradictions qui ont émaillé
l'intrusion et l'ascension de Joseph Kabila dans le champ politique. L'armée
rwandaise l'a propulsé dans le champ politique et la famille libérale belge a
renforcé sa position dans l'appareil militaire et sur l'échiquier politique. En
dépit de cette caution politique et de cet appui diplomatique, les résultats
des élections de novembre 2011 restent contestés et contestables. Qu'à cela ne
tienne, Reynders et Alexandre De Croo iront bien en pèlerinage au Congo.
En outre, cette élection n'a point assaini l'espace
politique en termes d'éthique politique ; n'a pas non plus amélioré la qualité
dans la conduite des affaires de l'Etat et de la transparence dans la gestion
des ressources économiques. Force est de constater qu'en dépit d'une production
minière exceptionnelle, le Congo n'arrive pas à transformer ses ressources
minières en potentiel minier ni ses revenus pétroliers en pactole.
Par ailleurs ,sur injonction des parrains, notamment des
Libéraux, Kabila a récupéré des (néo)mobutistes africains, américains, belges,
congolais et israéliens … qui lui apprennent comment utiliser efficacement
les recettes qui ont permis à Mobutu de s'incruster au pouvoir pendant des
décennies : délirant culte de personnalité ;propagande abrutissante à travers
une presse nationale et étrangère vassalisée ; inféodation de toutes les
institutions (administratives, politiques et judiciaires) à la personne du
" Raïs " ; accès illimité aux ressources économiques du Congo pour
les groupes économiques liés aux pouvoirs qui le soutiennent ; politique
délibérée d'asservissement des intelligences universitaires ; une armée dont le
corps des officiers est constitué sur des critères ethniques et qui est
transformée en garde prétorienne et en outil de répression dressé contre les
civils ; gestion privative des ressources financières du pays pour s'attacher
une clientèle…
Quand le mur d'argent
emprisonne et pervertit le politique…
" Le travail en Afrique, l'or à Bruxelles "…
Albert, Prince héritier 1909.
Le 25 novembre 1878, entouré d'hommes d'affaires et des
banquiers, notamment Brugman, Bischoffshein et Goffin, le Roi Léopold II reçoit
au Palais royal, le journaliste Henri-Morton Stanley. De cette rencontre naquit
le CEHC, Comité d'Etudes du Haut-Congo dont le capital fut fixé à un million de
francs. Le CEHC s'assigna comme but " l'étude des possibilités de relier
le Haut et le Bas Congo par une voie de communication et d'amorcer un mouvement
commercial suffisamment important pour assurer la rentabilité d'une société de
transport ". Avant même la création de l'Etat Indépendant du Congo,
l'accent est mis sur la rentabilité financière… En 1906, le juriste Félicien
Cattier observe que " l'Etat du Congo n'est point un Etat colonisateur,
que c'est à peine un Etat : c'est une entreprise financière. Procurer au Roi
souverain(Léopold II) un maximum des ressources ,tel a été le ressort de
l'activité gouvernementale " (Etude sur la situation de l'Etat Indépendant
du Congo, p. 341). Dans un ouvrage qu'il publie en 1933 (Le Mur d'argent) l'ancien
ministre social chrétien de la défense et des colonies, Paul Crokaert fustige
l'emprise qu'exercent selon lui, les milieux financiers sur la politique belge,
particulièrement au Congo.
La veille de l'indépendance ; constitué de ses
participations dans 79 sociétés, le Portefeuille de l'Etat colonial était
évalué à 35 milliards de FB (valeur boursière). Par application du principe de
la dévolution entre Etat que défendait la Belgique, ce Portefeuille devenait
propriété du nouvel Etat congolais indépendant. Il n'en fut rien. Un tour de
passe-passe juridico-financière priva le Congo du contrôle de grandes
entreprises où il disposait d'une représentation majoritaire. Cette manoeuvre
ouvrit entre les deux Etats un lourd contentieux.
En revanche, la Belgique légua au Congo une lourde dette
contractée auprès de la Banque mondiale pour financer le Plan Décennal. Par
ailleurs, une convention conclue le 24 juin 1960 entre le Congo belge (en
réalité la Belgique) et le CSK (comité spécial du Katanga) dissout ce dernier.
Il est stupéfiant de constater que le ministre chargé des affaires financières
du Congo, Raymond Scheyven signa la convention, au nom de la colonie, et apposa
son contreseing ministériel sous le décret royal sanctionnant la dissolution.
" L'argent. Pendant quelques jours, le Roi et le gouvernement vont se
faire commerçants et rien que commerçants ".C'est en ces termes que le 30
octobre 1969, l'hebdomadaire Pourquoi Pas ? stigmatise le pompeux voyage du
Président Mobutu en Belgique.
Il importe donc que les Congolais se gardent des
imprécations vociférées sur le registre de l'émotionnel et de l'irrationnel
qui, immanquablement, apportent une caution politique aux byzantines querelles
belgo- belges, faites de conflits d'intérêts économiques ,de rivalités entre
personnalités au sein d'un même parti, de sordides marchandages pour fructifier
des rentes de situation. Une analyse critique faite sur la longue durée nous
apprend que ces querelles ont souvent rabougri les intelligences belges et
congolaises désireuses de faire prévaloir la clairvoyance, la lucidité et le
respect de l'autre dans les rapports belgo- congolais.
Ainsi le 29 août 1959, le Premier Ministre, Gaston Eyskens,
assène un violent coup de Jarnac à son ministre des colonies, monsieur Van
Hemelryck : sans l'en informer, il envoie au Congo, son directeur adjoint de
cabinet, le Compte d'Aspremont. Le 2 septembre, le ministre démissionne et il
est remplacé par Auguste de Schryver, issu comme lui du parti social chrétien.
Après la Table Ronde dont il affirme avoir été un adversaire, Monsieur Paul
Spaak – socialiste francophone – critique sévèrement les positions qu'y adopta
son collègue socialiste francophone, le professeur Henry Rolin. Les rivalités
opposant au sein du CVP, Wilfried Martens – Premier ministre – et Léo Tindemans
– ministre des affaires étrangères – ont énormément gêné ce dernier dans sa
tâche, en 1988-1989.Le 21 janvier 1923, le Gouverneur- général, Maurice Lippens
(libéral),démissionne pour s'insurger contre les immixtions dans la gestion du
Congo- belge, du Ministre des Colonies, le libéral Louis Franck. Durant la seconde
guerre mondiale, les heurts furent nombreux entre le Ministre des colonies, De
Vleeschauwer et le Gouverneur- général, Ryckmans.
Ce survol historique suggère fortement que l'histoire
coloniale- dépouillée des mythologies- des partis politiques, des syndicats,
des institutions religieuses, scolaires, financières, des groupes économiques,
de l'armée…reste à écrire. Pendant des décennies, dogmes et mythologies
sécrétés par les pouvoirs – colonial et postcoloniaux – ont obscurci
l'intelligence du politique et en ont falsifié l'histoire. Il appartient aux
intelligences belges et congolaises – libres de tout préjugé (néo) colonial –
d'élaborer des outils conceptuels pour approfondir les questionnements
épistémologiques liés à l'écriture et à l'enseignement de l'histoire coloniale
afin que nos peuples se défassent de ces mythologies pour se projeter
intelligemment vers l'avenir.
Construire une
alternance pour une réelle alternative…
Les chancelleries occidentales éprouvent d'énormes
difficultés pour dissimuler leur profond embarras car elles se rendent compte
que les Congolais, particulièrement les jeunes générations vivant en Europe et
en Amérique du nord, ont compris et l'expriment parfois avec véhémence que la
confiscation de l'expression électorale participe d'une stratégie bien rodée
pour sans cesse recycler l'odieux Pacte néocolonial noué en 1960-1961 et qui
reposait sur l'assassinat du Premier Ministre Lumumba. Depuis la Conférence
nationale souveraine, la conscience politique aigüe des Congolais a mis en
évidence l'échec des stratégies occidentales et depuis 2006 , elle a
complètement désarçonné les faiseurs de rois et leurs séides au Congo. Cet
échec illustre aussi piteusement ce que d'aucuns qualifient " d'épuisement
total du système colonial " et qu'appelle donc une réinvention du
politique pour hâter l'avènement d'une ère nouvelle.
Anicet MOBE, membre du Collectif des intellectuels congolais
" DEFIS "