Vers une implosion de l'Afrique des Grands Lacs ? par Albert KISONGA MAZAKALA

 

Depuis, il semble qu'une certaine
effervescence sécuritaire ait été observée, attestée par le déploiement
des éléments de la Garde Républicaine à Kinshasa. Cette unité, réputée
être sous le commandement direct du Chef de l'État, constitue la
division de choc de l'armée congolaise.

 
Si la déclaration de MUSEVENI se
vérifie, elle confirmerait, en fait, la persistance des intentions de
balkanisation du Congo en faveur du Rwanda et de l'Ouganda, pour
laquelle milite notamment l'ancien envoyé spécial du gouvernement
américain dans Les Grands Lacs, Russ FEINGOLD. L'intéressé a démissionné
de ses fonctions pour se lancer dans une campagne électorale pour
tenter de retrouver son siège de sénateur aux États-Unis. FEINGOLD
s'était fortement impliqué dans la politique congolaise en répétant à
plusieurs reprises la volonté américaine de voir le Président KABILA
passer les manettes à la fin de son deuxième mandat. 
 
Pourtant, le Chef de l'État congolais
avait maintes fois affirmé par le passé son intention de respecter la
Constitution, laquelle limite justement son mandat à deux termes
successifs. De ce point de vue, le soupçon  que ses adversaires font
peser sur lui ne repose pas sur un fondement objectif. À moins qu'il ne
s'agisse d'une confusion entre l'intention clairement exprimée et
assumée de l'actuelle majorité de garder le pouvoir en gagnant les
élections, d'une part, et de l'autre, l'hypothèse d'un troisième mandat
du Chef de l'État. Toutefois, le contexte régional, marqué par
l'échéance constitutionnelle des mandats de la plupart des Présidents
des pays voisins, incite à s'interroger. Les Présidents du
Congo-Brazzaville, de l'Ouganda et du Rwanda ne font pas mystère de
l'intention de faire modifier la Constitution pour garder le pouvoir.
Concernant spécifiquement le Président MUSEVENI, en fonction depuis 29
ans grâce à plusieurs modifications constitutionnelles, son intention de
rester en place ne fait pas l'ombre du moindre doute. Pour sa part, le
Congo-Brazzaville ne s'attend à aucune surprise, le PCT, le parti
gouvernemental et majoritaire, ayant tranché la question : le Président
demeurera en fonction. Les partisans du Président Paul KAGAME, pour leur
part, font état d'une pétition "signée par 2 millions" de Rwandais pour
que leur champion accomplisse un troisième mandat. La seule exception
prévisible est celle de la Tanzanie, où la succession pacifique et
démocratique des Présidents est dans les mœurs. Hormis la mutinerie en
janvier 1964 des Tanganyika Rifles (les armées autochtones)
dans les trois pays de l'ex-East African Community (Tanzanie, Kenya et
Ouganda), les militaires n'ont jamais interféré dans les affaires
politiques en Tanzanie. Sauf surprise, le Président JAKAYA KIKWETE, 63
ans, cédera le pouvoir en octobre prochain.  
 
En Angola, le Président DOS SANTOS, aux affaires depuis 1979, n'entend guère s'effacer.
 
Un autre élément à prendre en
considération : la culture. Les dirigeants africains proviennent d'une
culture dans laquelle l'alternance au sommet n'est pas prévue. Il
suffit, pour cela, d'observer la gestion des partis politiques au Congo.
Aucun Président de parti n'a jamais envisagé tant soit peu de remettre
en jeu son mandat. Les partis qu'ils dirigent sont quasiment leurs
"propriétés privées", au point que même en prison à l'étranger,
Jean-Pierre BEMBA continue de diriger le MLC. Il y a des Présidents de
parti étiquetés "progressistes" qui dirigent depuis plus de….50 ans.
Qu'on le déplore ou qu'on l'accepte, toute analyse qui ne prendrait pas
en compte ce facteur aboutirait à une conclusion erronée. Pour quelles
raisons serait-on fondé de croire qu'un politicien au pouvoir serait
différent d'un politicien dans l'opposition ?
 
Pour revenir aux propos tenus par le
Président MUSEVENI, il y a donc lieu de penser que l'existence du Congo
peut être menacée dans un futur proche. Cette menace de démembrement
était connue de tous les observateurs. Toutefois, elle fut formulée par
les Américains dans le cadre de leur politique de "nouveau leadership"
en Afrique dans les années 80, à un moment où les USA étaient redevenus
la seule grande puissance, l'URSS s'étant considérablement affaiblie. La
situation a notablement évolué depuis lors, principalement avec
l'émergence de la Chine comme puissance mondiale. La Russie, sous le
leadership de Vladimir POUTINE, n'accepte plus le diktat américain. Et
puis, l'accession à la Présidence de BARACK OBAMA, un Afro-Américain, a
rendu moins aisée la poursuite active de l'entreprise de démembrement du
Congo, sans l'avoir étouffée.
 
Toutefois, les USA étant ce qu'ils
sont en termes de pouvoir réel, certains centres de décisions ont
continué à appuyer le Rwanda et l'Ouganda dans leur dessein de faire
imploser le Congo afin de s'approprier ses territoires de l'Est. La
preuve en est justement la persistance des déclarations de Russ FEINGOLD
sur la nécessité de réviser les frontières.
 
Qu'à cela ne tienne, l'envoyé spécial
américain fut activement courtisé par les hommes politiques congolais de
l'opposition, lesquels – semble-t-il – sont uniquement focalisés sur le
départ de l'actuel Chef de l'État à la fin de son mandat. De deux
choses, l'une : soit ils ont les raisons de ne pas croire à l'hypothèse
de la balkanisation du Congo, soit ils font preuve d'une incroyable
inconscience politique.
 
Enfin, il faut relever le cas
spécifique du Burundi qui, pour le moment, attire l'attention des grands
médias mondiaux. Selon la définition de Larousse, le génocide est un
crime qui tend à la destruction d'un groupe social donné, racial,
ethnique ou religieux. En 1972, 200.000 Hutu exclusivement y furent
massacrés. C'est exactement la situation qui répond à la définition du
crime de génocide, alors qu'au Rwanda toute la littérature tant du
pouvoir que de ses soutiens internationaux parle du "génocide des Tutsi
et des Hutu modérés". Mais c'est la situation rwandaise qui est reconnue
comme génocide, la burundaise étant passée sur le compte des pertes et
profits.
 
Il n'empêche que ce sont les jeunes
rescapés de ce génocide qui, les armes à la main, ont combattu pour
obtenir le droit, grâce aux élections, d'accéder au pouvoir au Burundi.
Mais comme dans toute situation de changement brutal, la révolution est
mangeuse de ses propres enfants. Le CNDD-FDD a éclaté en autant de
factions qu'il y a des régions ou tout simplement des ambitions
personnelles. Une chose est cependant certaine : le Président Pierre
NKURUNZIZA jouit d'une popularité sans pareille auprès des masses Hutu
(85% de la population) dans un pays qui demeure très largement rural.
Footballeur et évangéliste protestant, le Président est quasiment
invisible dans la capitale et passe l'essentiel de son temps à la
campagne. Il joue au foot avec les jeunes, construit des écoles, répare
des dispensaires, prend sur place des décisions, notamment contre des
fonctionnaires véreux dénoncés par la population,  décisions
immédiatement exécutées, ce qui lui confère une stature particulière
auprès de ces populations.
 
Les observateurs sont unanimes pour
dire que NKURUNZIZA battrait n'importe lequel de ses adversaires dans
une compétition électorale honnête et transparente. Le seul hic est cet
Accord d'Arusha, considéré comme fondateur de l'ordre constitutionnel
burundais, lequel exclut un troisième mandat présidentiel. Mais le
Président fait une autre lecture de la Constitution et la Cour
constitutionnelle, aux ordres du pouvoir, dit-on, lui a donné raison.
Ses adversaires, bénéficiant d'une massive campagne de presse à
l'échelle mondiale, ont choisi d'ignorer l'avis de la Cour
constitutionnelle. À leur secours, l'Occident. Lorsqu'il a choisi son
camp, s'agissant de l'Afrique, l'Occident ne s'embarrasse pas de l'État
de droit. Sous l'œil bienveillant, si pas complice, de leurs soutiens
occidentaux, les adversaires de NKURUNZIZA ne font pas mystère de devoir
faire parler la poudre. Les plus virulents sont les anciens dirigeants
du régime Tutsi qui n'avaient pas accepté le pouvoir de feu Melchior
NDADAYE, le premier Président démocratiquement élu du Burundi, assassiné
en 1993. Il en va de même de celui de Pierre NKURUNZIZA, pourtant un
métis Hutu-Tutsi. Cependant, le type de propagande contre lui paraît si
semblable à celle du FPR contre HABYARIMANA, qu'on a vite fleuré
anguille sous roche. À plus forte raison que Paul KAGAME a menacé
d'intervenir si les Tutsi étaient menacés. Nombre d'opposants à
NKURUNZIZA se réfugient au Rwanda où ils recevraient une formation
militaire. Comme au Rwanda naguère, certains dirigeants Hutu coalisent
avec les Tutsi pour mettre à bas NKURUNZIZA.
 
La mémoire étant encore fraîche pour
penser qu'une population traumatisée comme celle du Burundi puisse
jamais voter pour ses bourreaux de naguère, pourquoi Pierre NKURUNZIZA
n'a-t-il pas choisi de désigner un autre de ses compagnons à l'élection
présidentielle, étant donné la certitude de gagner ? La question mérite
d'être posée. Est-ce par simple excès d'égo personnel ? Aurait-il peur
que sans lui, le pouvoir échappe aux Hutu ? Serait-il si méprisant pour
ses camarades comme CALIGULA qui faillit désigner son cheval pour
successeur ? Seul l'avenir le dira.
 
Ce qui est certain est que
l'embrasement du Burundi obligerait la RD Congo, même à son corps
défendant, d'entrer dans la danse. Premièrement, si un régime pro-KAGAME
s'installe à Bujumbura, le Congo aura toutes les raisons de se faire
des soucis. Deuxièmement, Joseph KABILA a une dette de sang envers les
Burundais, les FDD l'ayant sorti d'une situation où il avait failli être
fait prisonnier par l'armée rwandaise à Pweto en 2001.
 
Concernant la Tanzanie, il faut
rappeler que ce pays avait naguère été menacé d'être attaqué par le
Burundi du Président BUYOYA au motif qu'il permettait le passage sur son
territoire des guérilleros hutu. Il y a peu, lorsque le Président
KIKWETE avait recommandé que l'obligation de négocier avec ses rebelles
ne concerne pas Kinshasa seul mais également Kampala et Kigali, le
Président KAGAME avait déclaré que "ses mains le démangeaient", une
façon de dire son envie de frapper la Tanzanie. Cette dernière lui
conseilla fermement de se rappeler les turpitudes d'un autre dictateur,
Idi AMIN qui, ayant attaqué la Tanzanie, provoqua la riposte qui
l'envoya mourir en exil. Que ferait Dar Es Salaam en cas de renversement
par la force de NKURUNZIZA par les Tutsi ? La région se trouve bien au
bord du précipice.       
 
Quant au Congo, le drame est que la
situation des Grands Lacs est largement ignorée des politiciens de
Kinshasa, y compris ceux du pouvoir. Sous ce prisme, il est facile de
comprendre que le sort de la RD Congo se joue sur le fil de rasoir.
 
 

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