04 / 11/15 Le Phare – «Le bureau et la plénière de la CENI sont exposés au risque d’embrasement électoral»

 
Le mois
d’octobre 2015 a apporté son lot d’inquiétudes pour la tenue d’élections
apaisées, crédibles et transparentes en République Démocratique du Congo. On a
enregistré deux grandes démissions au bureau de la Commission Électorale
Nationale Indépendante (CENI). Il s’agit de celles du président, l’Abbé
Malumalu, et de son vice-président, André Mpungwe Songo.
 
  Ces
départs remettent en cause l’organisation de onze scrutins dans les délais
prévus au calendrier global publié le 12 février 2015 par la CENI. Devant cette
situation, l’opinion s’interroge sur le respect de la Constitution, qui est la
loi fondamentale du pays.
 
 Etant
donné la multitude des questions qui restent encore sans réponses, la rédaction
du journal Le Phare s’est adressé à Gérard Bisambu, expert en «matières
électorales» de la Société Civile, assistant à l’Université de Kinshasa et à
l’Institut National des Arts, master en Anthropologie et en Philosophie,
Secrétaire Exécutif du Réseau d’Education Civique au Congo (RECIC) et
Coordonateur de la Commission Education Civique et Observation Electorale
(EDUCIEL). Voici, ci-dessous, l’essentiel de l’entretien.
 
Le Phare : Que pensez-vous des
démissions en cascade enregistrées au sein de la Commission Électorale
Nationale Indépendante ?
 
Gérard Bisambu : La vague des démissions à laquelle l’on assiste à la Commission
Électorale Nationale Indépendante nous renvoie à une thèse. La Ceni en tant

qu’organe est emprisonnée par des politiques, tant de la majorité que de
l’opposition, avec comme conséquence de provoquer l’impasse du processus
électoral. Ceci revient à dire qu’il y a là deux quêtes contradictoires. La
première, c’est l’expression de l’indépendance et de l’autonomie heureusement
tant exigée par l’opinion nationale, par les organes existants de la Ceni.

 
 La
deuxième quête est celle de la caporalisation et de la politisation à outrance
de la centrale électorale par des politiques, poussés par la passion effrénée
de se pérenniser au pouvoir. Ceci peut être lu à travers de récents
antagonismes, visibles ou non visibles, qu’on a eu à constater dans les
rapports institutionnels entre le gouvernement et la Ceni, notamment au sujet
du financement du processus électoral, pour lequel ils se sont jeté
réciproquement des pierres.
 
 A
cet effet, le rapport d’activités de la Ceni publié en juin 2015, que
malheureusement l’Assemblée Nationale n’a jamais soumis au débat des députés
nationaux en vue de lever des options et recommandations appropriées, se trouve
à la base des désaccords entre les deux
institutions sus-évoquées. L’on analyserait en profondeur les informations de ce rapport sur des questions relatives
aux finances, à la logistique, à la réalisation des opérations électorales, à
l’éducation civique électorale pour se convaincre du désastre démocratique que
court la nation congolaise.
 
 Le
second fait ayant constitué la pomme de discorde entre les deux institutions
est, à n’en point douter, l’Arrêt de la Cour Constitutionnelle sur la gestion
des nouvelles provinces, dont la Ceni était ou est la principale demanderesse
mais interprétée à défaut par le gouvernement.
 
Le Phare : Est-ce que ces
démissions sont légales ?
 
G.B : Il est important de souligner à la connaissance et la consciente
de l’opinion publique ainsi que de tous les acteurs clés du processus électoral
que ces démissions violent l’article 22 de la loi organique portant
organisation et fonctionnement de la Ceni, qui stipule : «Dans
l’accomplissement de leur mission, les membres de la Ceni :
 
1. ne sollicitent ni ne reçoivent
d’instructions d’aucune autorité extérieure ;
 
2. jouissent de la totale
indépendance par rapport aux forces politiques qui les ont désignés».
 
Au vu de cet article, contraindre
un membre à la démission est une grave violation, autrement dit, c’est une
violation fragrante mais surtout une confiscation du pouvoir ou des attributs
de légitimité émanant des membres des composantes qui les ont désignés, tant il
est indéniable que ces derniers le faisaient au nom de la population.
 
Le Phare : La démission du
vice-président, 21 jours après celle de son président, a-t-elle de l’incidence
sur le processus électoral ?
 
GB : La démission du vice-président de la Ceni, associée à celle de
son président, est un coup très dur pour l’ensemble de l’organe de gestion
électorale, en ceci qu’elle déstructure le système politique, technique et
administratif d’organisation des élections mis en place sur base d’une vision
cohérente et logique ainsi que de la finalité de la crédibilité de la justice
et de la pacificité des élections.
 
 Il
va découler de cela que l’arsenal politique et administratif de la Ceni sera
quasi affecté, par exemple en intégrant de nouveaux éléments porteurs de cahier
de charges coloré à la guise de leurs désignateurs, lesquels ne sera pas
nécessairement en faveur des élections crédibles, respectueuses de la
Constitution.
 
 Sur
le plan technique, ces démissions et d’autres qui pourraient s’en suivre
consacrent un retard du calendrier électoral qui a, du reste, l’obligation de
respecter le délai constitutionnel. Nous sommes en passe d’un « verrouillage
électoral » dont l’objectif est de faire cadeau aux leaders dits providentiels.
 
Le Phare : Est-ce qu’on doit
s’attendre à de nouvelles démissions au sein du bureau ?
 
G.B : Il serait pour nous irresponsable de répondre à souhait par
l’affirmative à cette question, dès lors que toutes ces démissions n’arrangent
nullement le succès du processus électoral.
 
 Mais,
il est important d’interpeller les acteurs clés au processus et la population
congolaise à être éveillés à cette débâcle administrative dans la gestion du
processus. Car, les signaux indiquent clairement que les deux organes de la
Ceni (la plénière et le bureau) sont exposés au risque d’embrasement.
 
 La
maladie se propagerait même vers la composante de l’opposition politique qui
pourrait imposer sa volonté à ses délégués. Cela suppose la détermination des
politiques à prendre en otage l’organe de gestion électorale. C’est autant dire
ici leur intention première de faire déposséder la société civile de cette
institution citoyenne.
 
 Le
pire des cas serait si l’on devra être amené à recomposer toute l’équipe ou à
reformer la loi organique. Ce qui ouvrirait totalement la voie au dépassement
du délai constitutionnel.
 
Le Phare : Quelle est la main
noire qui serait derrière toutes ces démissions intempestives?
 
GB : La main noire de toutes ces démissions est à attribuer à l’enjeu
principal de l’alternance politique pacifique au 20 décembre 2016. Et, l’enjeu des enjeux est l’enjeu économique
quant à l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. C’est-à-dire que la
configuration magique de la gestion de la centrale électorale constitue le
principal stratagème de réponse à cette préoccupation ultime. Car, les fins
politiques ne savent-ils pas que la solution à une quête de pouvoir peut être
la provocation d’une crise politique ou sociale ?
 
Le Phare : Les membres de la Ceni
sont-ils réellement indépendants ?
 
GB : Il serait aberrant pour quiconque se dit bien informé de
s’interroger sur l’indépendance des membres de la Ceni alors que celle-ci a un
fondement juridique bien connu, notamment l’article 22 de la loi organique
susmentionné. 
 
 Sauf
si l’on veut que ceux-ci répondent de la volonté de quelques individus qui
s’octroient abusivement la souveraineté au nom d’une population de leur propre
fabrique. La situation actuelle tend à confirmer le contraire de l’exigible.
 
Le Phare : Les élections
auront-elles lieu ou pas ?
 
GB : L’avenir des élections en RDC est fonction de l’éveil, de l’expression et de la

mobilisation citoyenne. Il est important de noter que si le peuple congolais ne
se mobilise pas techniquement et même financièrement, ses élections ne seront
guère une réalité. Car, faut-il le signaler, le budget 2016 fait une
programmation hypothétique du financement des élections : 537,8 milliards de
Franc Congolais, encore qu’en terme de prévision et non des recettes
disponibles.

 
Pourquoi ne pas penser dès à
présent à une mobilisation citoyenne pour le financement des élections ? La
Communauté Internationale, elle, se montre très hésitante à libérer les fonds,
sous prétexte du conditionnement d’un calendrier actualisé, alors qu’il y a des
opérations préélectorales qui nécessitent des financements inconditionnels.
 
 Il
convient que chaque congolais intériorise le fait que les élections doivent
impérativement se tenir conformément aux exigences constitutionnelles. Ceci
reste notre leitmotiv.
 
Le Phare : Que conseillerez-vous
aux parties prenantes au processus électoral pour une solution durable à cette
crise qui frappe la Ceni ?
 
GB : Nous conseillerons ce qui suit :
 
– Le strict respect de l’indépendance
des membres des organes de la Ceni, conformément aux prescrits de la loi
organique portant organisation et fonctionnement de la Ceni;
 
– Le renoncement à la suite des
démissions planifiées des membres de la Ceni ;
 
– La conciliation des vues des acteurs
politiques en faveur de la relance du processus électoral ;
 
– La convocation imminente du Dialogue National pour un compromis autour
de l’organisation des élections crédibles et pacifiques ;
 
– Subséquemment, la publication
d’un calendrier électoral consensuel ;
 
– Au président de la République,
la préservation des acquis démocratiques et de la sacralité constitutionnelle,
conformément aux engagements pris devant le peuple congolais lors de sa
prestation de serment, le 20 décembre 2011 ;
 
 A
la société civile et la population congolaise, en particulier à sa jeunesse, la
mobilisation de ses énergies citoyennes pour sauver les élections. 
 

 

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