12 11 15 – Les principales dynamiques en vue de l’élection présidentielle de 2016 en RDC. Par Manya Riche,consultante indépendante

La dynamique Kabila
 
En apparence, tout laisse à penser que le régime de Joseph Kabila contrôle les‎ instruments du pouvoir : institutions, appareil sécuritaire, appareil judiciaire, etc. On observe cependant une frustration grandissante au sein de la majorité présidentielle, et celle-ci s’est manifestée avec l’apparition de la plateforme du G7. Dans l’ombre, quelques figures éminentes de la majorité, y compris du PPRD, commencent à leur tour à réclamer le respect des délais constitutionnels et s’interrogent sur la désignation du dauphin de Joseph Kabila. Ce dernier continue de maintenir une ambiguïté quant à son avenir politique. Il fait généralement très peu confiance à son entourage et ne semble pas encore enclin à promouvoir l’une des figures imminentes de sa majorité politique. Tout laisse à penser que Joseph Kabila espère trouver la « perle rare » qui partagerait sa vision et pourrait le remplacer tout en demeurant sous son influence. Avant d’identifier la personne idoine, Joseph Kabila n’aura sans doute pas d’autre choix que de mettre en œuvre une stratégie qui lui permettrait de s’accrocher le plus longtemps possible au pouvoir. Son attitude semble en effet indiquer qu’il tentera de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, et ce, même si un changement de la constitution ne semble plus être la priorité.
L’hypothèse d’un maintien au pouvoir de Joseph Kabila après 2016 est assez largement soutenue au sein de la majorité présidentielle. Un des raisons principales de ce soutien est que, dans sa configuration actuelle, la majorité présidentielle s’est davantage construite sur des alliances opportunistes plutôt que sur des valeurs et des programmes partagés. Les tenants d’un maintien au pouvoir de Joseph Kabila le présente comme le candidat de la stabilité, il est surtout celui qui leur permettrait de conserver leurs privilèges.

Joseph Kabila tente également d’obtenir le soutien de ses pairs dans la sous-région (l’Angola, le Congo-Brazzaville, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie, le Kenya ou encore l’Afrique du Sud), et ce, au nom de la stabilité régionale et de la solidarité entre chefs d’États. Ces derniers, bien qu’ayant exprimés à certaines occasions une certaine lassitude vis-à-vis de Joseph Kabila, pourraient être tentés de lui prêter une oreille attentive, d’autant plus que plusieurs d’entre eux sont ou seront susceptibles de se retrouver dans une situation similaire (c’est notamment le cas de Denis Sassou N’guesso et de Paul Kagamé).

Il semblerait également que Joseph Kabila tente de se rapprocher de la Russie et de la Chine en espérant les convaincre de jouer la carte de la non-ingérence si une résolution devait être votée au Conseil de sécurité de l’ONU contre un éventuel troisième mandat ou un report des élections. Il a récemment effectué un voyage en Chine qui a été largement médiatisé par les chaines nationales congolaises qui présentaient la Chine comme le grand ami de la RDC et du président Kabila. Quant au rapprochement avec la Russie, Joseph Kabila vient de nommer un diplomate chevronné au poste d’ambassadeur à Moscou en la personne de Valentin Matungul. L’analyste Jean-Jacques Wondo indique également que la RDC achète régulièrement de l’équipement militaire russe et que des instructeurs russes formeraient la garde présidentielle (la GR)[1].
Par ailleurs, la présidente du Libéria Ellen Johnson Sirleaf, est une personnalité qui a joué un rôle significatif dans le processus de pacification de la RDC. Elle serait une alliée moins affichée de Joseph Kabila mais avec qui il aurait gardé des relations privilégiées.

Cependant, le peu de soutien dont Kabila semble bénéficier de la part des partenaires dits traditionnels pourrait peser contre lui, en particulier si son maintien au pouvoir s’accompagnait d’une détérioration du climat sécuritaire dans le pays.

La dynamique Katumbi
 
Une dynamique semble s’articuler en faveur de Moïse Katumbi‎ via la nouvelle plateforme G7[2]. Ce groupe de sept partis a été le premier à franchir la ligne rouge, en exprimant publiquement leur opposition au maintien de Kabila après 2016 et en appelant de leurs vœux l’alternance politique. En dehors du respect de la Constitution, qui semble être la seule revendication commune, ce groupe semble s’être agrégé sur une base davantage opportuniste qu’idéologique. La prise de distance de cette plateforme G7 vis-à-vis de la majorité présidentielle semble aussi la conséquence d’une frustration grandissante des partis de la MP. Certains d’entre eux ont en effet constaté une diminution des attributions de postes gouvernementaux ou institutionnels alors que la part de représentants du PPRD s’accroit. Aussi, il n’est pas exclu que certains partis soient tentés de quitter eux-aussi la MP dans un même élan opportuniste.
Au sein du G7, Moïse Katumbi est considéré comme le plus influent car il est fortuné et dispose d’un réseau important dans le pays et à l’étranger. Il serait capable de financer une campagne présidentielle à lui seul, ainsi que des partis politiques en vue des élections législatives. Il est considéré comme charismatique, parfois populiste et bénéficie d’une grande popularité grâce à son équipe de football, le Tout Puissant Mazembe, qu’il a réussi à hisser au rang des grands clubs africains. Il est cependant suspecté de s’être fortement enrichi en tant que gouverneur de la province du Katanga. Certains lui reprochent aussi de privilégier les projets aux impacts visibles tels que les routes ou les ponts mais qui n’auraient qu’un effet limité sur la réduction de pauvreté. Ses principaux détracteurs estiment que Moïse Katumbi pourrait, en tant que président du pays, perpétuer le système de prédation tant décrié en RDC. On peut en tout cas affirmer qu’en dehors du Katanga, il connaît assez peu le Congo et ne semble pas développer beaucoup d’affinités pour la partie ouest du pays. De même, les enjeux sécuritaires au Kivu, pourtant cruciaux pour la stabilité et le développement de la RDC, ne sont pas des dossiers que maîtrise pleinement Moïse Katumbi.

Certains leaders du clan katangais, notamment Albert Yuma, auraient cherché à rapprocher Joseph Kabila et Moïse Katumbi avant la démission de celui-ci du poste de gouverneur du Katanga. Ce rapprochement serait promu au nom de la cohésion de la famille politique et on peut noter que Moïse Katumbi tente pour l’instant d’éviter une confrontation directe avec Joseph Kabila. Pourtant, les relations personnelles entre les deux hommes se sont fortement détériorées au cours des dernières années et ils se méfient aujourd’hui beaucoup l’un de l’autre. Le gouvernement par le biais de son porte-parole, Lambert Mende, a fait des allusions sur le fait que Moïse Katumbi pourrait tôt ou tard être traduit devant la justice pour malversation financière. On peut suggérer que même si les faits s’avéraient établis, cela risquerait de passer pour un règlement de compte politique. Dans les cercles du pouvoir, le nom du milliardaire israélien Dan Gertler, un proche du président Kabila, est également évoqué comme un acteur qui a œuvré pour le rapprochement entre les deux hommes.

La dynamique Kamerhe
 
Parmi les candidats jugés présidentiables, Vital Kamerhe est l’un de ceux qui a la plus grande expérience et qui maîtrise le mieux les enjeux régionaux. Il a été très proche de Joseph Kabila et fut un des hommes forts du pouvoir notamment en tant qu’ancien secrétaire général du parti présidentiel, le PPRD, et président de l’Assemblée nationale. Il eut pour mission d’implanter le PPRD sur l’ensemble du territoire, ce qui lui a permis de se constituer un réseau non négligeable. Il a basculé dans l’opposition en 2009 suite à des divergences de fond avec Joseph Kabila au Parlement, notamment sur le dossier des « contrats chinois » entre des entreprises chinoises et l’état congolais dans des termes jugés peu avantageux pour la partie congolaise. Il présenta sa démission suite à sa désapprobation de l’entrée, sans l’accord préalable du parlement, de bataillons rwandais au Nord Kivu (province frontalière au Rwanda) dans le cadre de l’opération conjointe Umoja wetu. Vital Kamerhe a ensuite créé son propre parti, l’UNC, en 2010 et est arrivé troisième aux présidentielles de 2011. Face à Etienne Tshisekedi qui semble « à bout de souffle » et Jean Pierre Bemba toujours détenu à la CPI, Vital Kamerhe peut compter sur le soutien d’une bonne partie de l’opposition. Une de ses faiblesses est son passé politique qui le marque comme candidat issu du « système Kabila ».  Il faut toutefois noter que cette ancienne proximité entre Vital Kamerhe et Joseph Kabila peut également être pour lui une force et une opportunité. Il pourrait en effet apparaître comme un élément capable de faire le lien entre pouvoir et opposition en se présentant comme l’homme du consensus, susceptible de donner le plus de garanties aux divers acteurs. Un autre avantage du candidat Kamerhe est sa connaissance des 4 langues nationales. En revanche, contrairement à Joseph Kabila et à Moïse Katumbi, Vital Kamerhe n’a pas la capacité financière d’assurer à lui tout seul une campagne présidentielle.
Certaines figures politiques de la majorité présidentielle, notamment Tambwe Mwamba, aujourd’hui ministre de la Justice, Kantintima Basengezi, ancien ministre de l’agriculture, les chefs coutumiers Mwami Ndeze, Mwami Kabare, et le Mwanti Yav (Grand Chef Rund originaire du Katanga), ou encore l’actuel gouverneur de la province de Kinshasa, André Kimbuta, ont tenté de rapprocher Joseph Kabila et Vital Kamerhe au nom de leurs relations passées. Si des tentatives de rapprochement sont effectivement entreprises, rien ne permet de dire qu’elles aboutiront aujourd’hui tant l’animosité entre les deux hommes semble vive.

A l’inverse, d’autres personnalités congolaises, notamment Pierre Lumbi, ancien conseiller spécial de Joseph Kabila sur les questions de sécurité, Olivier Kamitatu, ancien ministre du plan et co-fondateurs de la plateforme G7 ainsi que des acteurs étrangers plaident pour un rapprochement entre Moïse Katumbi et Vital Kamerhe pour assurer une alternance en 2016. Une rencontre entre les deux hommes s’est récemment tenue à Londres. Si rien n’a filtré de l’entretien, l’enjeu semble toutefois de constituer un front commun opposition-G7 contre la révision de la constitution et de favoriser les chances d’une alternance en 2016.

Les autres dynamiques
 
‎Outre ces trois grandes tendances, quelques personnalités moins organisées sur le plan politique pourraient jouer un rôle majeur au cours des prochains mois. C’est notamment le cas du Dr. Mukwege ou encore de Freddy Matungulu (ancien ministre des finances et ex fonctionnaire au FMI) qui comptent d’importants soutiens parmi la diaspora congolaise. On peut aussi mentionner que Olive Lembe, l’épouse de Joseph Kabila et Jaynet Kabila, sa sœur jumelle, semblent afficher certaines ambitions qu’elles n’ont cependant pas ouvertement déclarées.

Au sein de la majorité présidentielle, certains acteurs laissent entrevoir des ambitions politiques allant au-delà de leurs prérogatives actuelles. Nous pouvons citer parmi ceux-ci le premier ministre Matata Ponyo, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, et Evariste Boshab, actuel ministre de l’intérieur et ancien secrétaire général du PPRD. Tous se verraient incarner le rôle de dauphin de Joseph Kabila. Cependant, en dehors de leur stature institutionnelle, ils ont une assise populaire assez limitée sur le terrain.

On pourrait également voire naître certaines ambitions dans le corps judiciaire ou au sein du dispositif sécuritaire du camp Kabila, notamment parmi les policiers et les soldats (incluant la Garde Présidentielle à majorité katangaise et kivutienne) qui s’estiment sous payés.

Conclusion
 
Ces différents éléments indiquent que la reconduction de Joseph Kabila en 2016 à la tête du pays n’est pas évidente. Il fait face à des opposants très concrets. Ceux-ci s’appuient notamment sur une opinion publique qui semble globalement hostile à  son maintien au  pouvoir. Cette tendance semble se vérifier dans l’ensemble des provinces ‎et suggère que même si la classe politique parvenait à trouver un arrangement concernant un partage du pouvoir qui permettrait à Joseph Kabila de se maintenir, le pays ne serait pas à l’abri de manifestations populaires d’envergure. Par ailleurs, il ne faut pas écarter la possibilité que les étrangers paient le prix fort d’une frustration populaire. Par exemple, un certain agacement à l’égard de la communauté chinoise a pu être observée lors des événements de janvier 2015. Dans les quartiers populaires, des membres de cette communauté sont soupçonnés d’avoir des affinités avec le camp Kabila et ont vu leurs magasins saccagés. La communauté internationale, quant à elle, pourrait être accusée de passivité et de complicité si Joseph Kabila parvenait à se maintenir au delà de son dernier mandat.

 
Manya Riche a travaillé pendant plusieurs années au sein de différentes institutions congolaises relatives aux processus de paix et de démocratisation. Cette expérience lui a donné un bon aperçu des problématiques politiques au Congo et en Afrique Centrale de même qu’un accès personnel à des acteurs clés des plus hautes instances. Elle travaille à présent comme consultante indépendante, de même que comme membre coordinateur du Congo Peace Center, une ramification de la chaire Conflit et Développement de Texas A&AM University. Elle appartient également au réseau du Mc Cain Institute qui a pour mission d’identifier, de former les leaders en RDC et dans le monde; d’inciter l’engagement et l’implication des femmes en politique.

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