05 01 16 Le Potentiel – RDC-Histoire des dialogues politiques congolais : Autopsie d’une tradition démocratique

En effet, en démocratie, où les divergences des intérêts sont reconnues et font l’objet d’équilibrages et d’arbitrages incessants, tout est matière à débat, et toute décision est le résultat d’un débat. Et ce débat peut être le fait d’un petit nombre ou d’un grand nombre, à huis-clos ou en public. Il peut être mené dans un cadre institutionnel ou non institutionnel. Il peut mobiliser les gouvernés et les gouvernants, ou se limiter à des personnalités officielles mandatées selon leurs titres et fonctions.

Dans le cas d’espèce, en ce qui concerne « la palabre congolaise », le professeur Banyaku Luape a recensé, dans sa remarquable «Lettre ouverte à Masire, 37 (trente-sept) moments de pourparlers : soit 11 en première République, 11 durant la deuxième République, et 15 entre Août 1998 et  mars 2000 ! Par contre entre l’an 2000 et 2015, on a pu compter à peine 4(quatre) moments de dialogue !

Toutefois, il faut éviter l’amalgame entre les pourparlers entre Congolais et les Sommets présidentiels ou ministériels portant sur une crise congolaise !

Nous allons donc analyser les Dialogues politiques congolais dans  le cadre d’une tradition démocratique qui trouve ses racines dans une double conquête : celle des libertés individuelles et collectives, et celle de l’instauration d’un Etat républicain et démocratique.

Après observation de tout ce qu’on considère comme « Dialogue politique congolais», il nous paraît utile de limiter le concept aux seuls échanges entre Congolais, autour d’une crise ou d’un conflit interne, et entre des acteurs politiques et sociaux  affichant des positions différentes, sinon opposées.

Considéré dans cette dimension, le dialogue politique congolais a pu revêtir différentes formes, et remplir des fonctions différentes, au-delà de leur finalité commune  qui est de réduire une crise, de résoudre un conflit, et trouver une solution acceptable par tous.  Nous avons pu distinguer ainsi au moins quatre formes de « dialogue politique », et quatre fonctions différentes que les dialogues politiques congolais ont pu remplir.

Les différentes formes de Dialogue politique

En effet, nous observons dans l’histoire politique de la RDC,  que les dialogues ont pu se faire sous quatre  formes différentes : sous forme de consultations, sous forme de forum, sous forme institutionnelle, sous forme de publications et de débats ouverts.

Sous la forme institutionnelle. Il convient de relever que les Institutions politiques républicaines et démocratiques sont, par essence, des cadres de dialogue et de représentation légitime. Les organes délibérants sont constitués de personnes élues et mandatées pour toutes les affaires d’intérêt national, provincial, ou local. Les mécanismes de dialogue, de collaboration ou de concertations sont prévus dans la  Constitution.

Cependant, on peut parler de « forme institutionnelle » quand des représentants des Institutions en crise se rencontrent. Ce fut le cas du Parlement réuni en conclave de Lovanium en 1961. On peut aussi considérer cette forme dans les cas des pourparlers ouverts entre les « Officiels Gouvernementaux et les Officiels sécessionnistes ou rebelles. Par ailleurs, l’internationalisation aidant, on a pu observer des mécanismes officiels de dialogue comme le CIAT, installé au lendemain de Sun-city, dans la suite logique du 1+4.

Cependant, il est permis de considérer que les Dialogues observés dans l’histoire politique de la RDC sont généralement des instruments « extra-institutionnels. Ils réunissent, à égalité de statut et de droits, des Officiels et des non Officiels.

Sous la forme de publications ou de meeting, le dialogue peut s’appeler « débat » ou « polémique » à travers des « manifestes » suivis ou non de « Contre manifestes ». Dans  ce cas, l’accent est mis sur la différence des idéologies, des visions. L’objectif est alors de mobiliser l’opinion  et d’obtenir l’adhésion à des thèses partisanes. Le dialogue « parallèle » ouvre la compétition démocratique. Pendant la Deuxième République, la forme « publications » sera, non plus écrite, mais essentiellement orale : par le meeting populaire. Mais alors, le dialogue se limite à la communication du Dirigeant.  

Sous la forme de consultations, le dialogue est généralement le fait du Gouvernant qui prétend se rapprocher du Gouverné. Il s’agit alors d’un recueil d’avis, d’opinions, qui sont destinés à « éclairer » le Gouvernant devant une décision importante.  La crise est mieux connue du Gouvernant.  Les forces sociales et politiques peuvent même renoncer et laisser les Officiels devant leurs responsabilités.

On a observé ainsi les   « consultations populaires » du Groupe de travail belge, dépêché au Congo en 1958.  Le président Mobutu y a recouru  une première fois lorsqu’il a ouvert la crise du contentieux belgo-congolais, en 1966, et une deuxième fois lorsqu’il a voulu libéraliser les Institutions politiques, entre janvier et avril  1990.

Le président Laurent-Désiré Kabila, pris dans le même type de besoin de légitimer son action, a organisé le « Débat national » puis « la Consultation nationale ».

Sous la forme de forum, la terminologie employée dans l’histoire politique de la RDC est particulièrement nourrie : « pourparlers, négociations ». « Conférence, réunion,  conclave,  table-ronde, ou même concertations ».   Nous pouvons dire que cette forme de dialogues a été organisée après des tentatives infructueuses d’autres formes de dialogue.

Dans ce cas, la crise est généralement criante et multiforme ; les protagonistes sont bien identifiés, et les enjeux bien précisés. Il y a, dans le forum, égalité de statut et de droit entre les Acteurs. Il y a large représentation des catégories sociales et politiques : ce qui s’appelle « inclusivité ».

Les différentes fonctions

Au delà des formes (institutions officielles, polémiques, forum, consultations), quatre fonctions majeures peuvent être reconnues pour catégoriser les différents dialogues connus en RDC. Nous parlerons ainsi des « dialogues de rupture », des « dialogues de légitimation », et des « dialogues de gestion ».

I. LES  DIALOGUES DE RUPTURE

1. Les quatre grandes crises de rupture.
 
Il y a eu, jusqu’en 2015, quatre grandes crises de rupture dans l’histoire politique de la RDC : la crise de l’indépendance, entre 1955 et 1960 ; la crise des sécessions, entre 1960 et 1964 ; la crise de la démocratisation, entre 1990 et 1997, la crise de la restauration de la démocratie, entre 1998 et 2006.  

Trois « Dialogues de forme « forum » ont été organisés face à ces crises. Il s’agit de la Table ronde belgo-congolaise (janvier à avril 1960), la Conférence Nationale (août 1991 à octobre 1992) ; puis le bien nommé « Dialogue inter congolais » de Sun-City.

Les dialogues autour des sécessions ont pratiquement tous échoué (Conférence de Léopoldville, Confférence de Cocquilhatville, Conférence de Tananarive) !  Les sécessions du Katanga, du Sud-KasaÏ, et même la République populaire installée à Stanleyville ont toutes été réduites par la force des armes.

En évoquant ces Dialogues et leurs contextes respectifs, on constate qu’ils ont constitué des formes finales et décisives, organisées après l’échec d’autres formes de dialogue. Les dialogues de rupture ont eu une fonction commune : celle d’accomplir une révolution pacifique, et donc de rompre avec l’ordre politique ancien et de le remplacer par un nouvel ordre politique.

1.1 L’indépendance.

La conquête des libertés a imposé, au Congo comme dans toutes les Colonies, un dialogue entre le Gouvernant et le Gouverné. En l’occurrence, entre les Congolais et les Colonisateurs belges. Ce dialogue a pris différentes formes :

1° Les Publications

Ont ouvert un grand débat intellectuel entre les partisans de l’indépendance progressive et les partisans de l’indépendance immédiate, puis entre les partisans de l’indépendance-autonomie et les partisans de l’Association belgo-congolaise.

Rappelons ici les  trois publications de 1956, à savoir : la publication du Professeur Van Bilsen « Trente ans  pour l’indépendance du Congo » ;  la publication du manifeste de la Conscience Africaine (Ileo, Malula, etc.) ;  et le contre-manifeste de l’ABAKO

2° Les Consultations du Groupe de Travail gouvernemental

Côté colonisateurs, la réplique dans le débat de 1956 est venue par la réforme institutionnelle de 1957. Cette réforme qui a permis notamment l’élection de quelques bourgmestres congolais dans trois villes : (Léopoldville, Elisabethville, Jadotville).

Mais ces réformes timides et trop limitées n’ont pas calmé les esprits de plus en plus surchauffés par le vent de l’indépendance.

Le gouvernement métropolitain a alors dépêché la fameuse mission belge du Groupe de Travail, qui a fait le tour du Congo, en 1958,   pour « consulter tous les milieux ». Il en sortira les Déclarations royale et gouvernementale du 13 janvier 1959.

Le dialogue ouvert par le Gouvernant est à sens unique. Les consultations  visaient à recueillir les avis des Congolais, étant entendu que la décision revenait au seul gouvernement belge.

Cependant, les manifestations du 4 janvier 1959 ont démontré que, pour les Congolais, le temps des dialogues univoques et des simples avis était  révolu. Les Congolais ont demandé le droit de participer aux décisions qui concernaient ou qui impliquaient leur destinée.

3° La Table Ronde Belgo-Congolaise, premier forum inclusif.

Les Congolais n’ont plus voulu se contenter d’une voix consultative. Ils  ont exigé une voix délibérative et donc leur participation à la prise des décisions qui les concernaient. La Conférence de la Table ronde aura été le premier vrai dialogue qui a mis  face à face et à égalité les partenaires Congolais et Belges. Soit donc les gouvernants et gouvernés. Il n’était plus question de consulter, de recueillir des avis pour aller décider souverainement au niveau du Gouvernement ou du Roi des Belges. Les décisions ont été prises  ensemble et elles ont engagé  tout le monde. Dans le cas d’espèce, le Dialogue ou le débat de la Table Ronde a été un dialogue de rupture  avec l’ordre politique colonial. C’était une révolution pacifique, un moment et un cadre fondateur du nouvel ordre républicain et démocratique.

I.2. La démocratisation.

Nous pouvons considérer la CNS comme un Dialogue de rupture, au même titre que le Dialogue de la Table Ronde. Il a été question de rompre avec l’ordre politique ancien, dictatorial, pour établir un nouvel ordre politique démocratique et libéral. Le rapprochement du processus qui a conduit à la Table Ronde en 1960 et du processus qui a conduit à la Conférence Nationale en 1991, est saisissant. Comme entre 1956 et 1960, il y a eu plusieurs étapes, suivies de timides réformes, avant que la révolution ne s’impose :

Le débat d’idées : multipartisme ou droit de tendance au sein du MPR?

L’élection des parlementaires plutôt que la présentation des candidats pour applaudissements dans un stade, avait ouvert un dialogue institutionnel parfaitement inopérant. Même les interpellations n’étaient suivies d’aucune sanction, en dehors du désir du président-fondateur. Les frustrations ont fini par engendrer une Opposition politique organisée autour de l’UDPS (1980).

En 1987, le 24 mai, après des négociations avec l’UDPS, le gouvernement du Parti-Etat et l’Opposition politique ont adopté une Déclaration sur la libéralisation politique et la démocratisation des Institutions. Sans suite significative !
 
Les Consultations populaires de janvier à avril 1990

Comme le gouvernement belge devant la conquête des libertés, le gouvernement du président Mobutu a organisé des consultations visant à recueillir des avis pour lui permettre de décider.  Les avis  du leadership politique sont noyés  dans une multitude de représentations sociales. Comme dans tous les dialogues de forme « consultation », le Gouvernant tente de  faire légitimer ses thèses et d’étouffer au mieux les thèses les plus agressives contre lui. Le discours-réponse du 24 avril 1990 n’apportera pas satisfaction entière, ni la Conférence constitutionnelle qui va s’en suivre.  Entre le Gouvernant et le Gouverné, la crise s’accentue.   L’exigence est aux libertés complètes et à la participation aux décisions concernant la vie nationale. Ce qui signifiait rompre avec l’ordre politique dictatorial et établir un ordre politique de démocratie libérale et représentative…

La Conférence nationale dite souveraine.

La Table ronde de Bruxelles, comme la CNS ont mis à égalité les participants. Les deux « forums » ont constitué des moments de « révolution pacifique ». L’ordre politique existant a été contesté et remis en question. Le conflit ouvert entre le Gouvernant et le Gouverné a déclenché une crise multiforme, nationale. Il en est sorti des projets d’un ordre politique nouveau.  Quoique, à la différence de la Table ronde belgo-congolaise, les résolutions de la  Conférence nationale n’ont pas connu d’application durable. D’autant que, s’érigeant en une Institution suprême et souveraine, la CNS a dénié au gouvernement le droit de couler ses « actes » en force de loi.

La Table Ronde ne s’était pas érigée en « Constituante », ni en Institution suprême et souveraine. Ses décisions appelées résolutions ont été coulées en Constitution ou Loi fondamentale par le Parlement belge de l’époque. A la  différence de la Table Ronde, la CNS n’a pas eu de rôle d’exécuteur testamentaire

La caractéristique de la CNS a été le grand nombre, pour une représentation largement diversifiée (2.800 personnes). Mais si cette composition devait, au départ, faciliter la légitimation des thèses gouvernementales, la dynamique de l’opposition a été plus forte et plus porteuse. En effet, ce qui frappe surtout, c’est le régime d’assemblée qui s’est installé de fait. Car la CNS s’est voulue tout à la fois pouvoir exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judicaire. Elle  a proclamé ses décisions, appelées « actes », « comme étant immédiatement exécutoires et opposables à tous ».
Cet échec apparent a amené une rupture plus radicale, par la lutte armée et le triomphe de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération (AFDL en sigle), conduite par Laurent-Désiré Kabila.

I.3. La restauration de la  démocratie.

Le régime établi par l’AFDL a été dictatorial, consacré par le Décret- Loi constitutionnel du 27 Mai 1997. Sa démocratie était de type «  démocratie populaire ». Ce qui a été consacré notamment par l’installation des CPP ( Comités du Pouvoir du Peuple ».  Ce régime a fini par ouvrir deux crises simultanées :

1.    la crise  de la restauration de la démocratie pluraliste, réclamée par une Opposition politique et une représentation de la société civile chauffées par la lutte contre la dictature du Parti-Etat ;
2.    la crise communautaire des Tutsi, qui a entraîné l’ingérence de trois pays voisins de l’Est et qui a sérieusement menacé l’intégrité du territoire congolais et la cohésion nationale. 

La confusion entre les deux enjeux, à savoir la restauration de la démocratie et la sauvegarde de l’intégrité nationale et territoriale a certainement mis le gouvernement congolais en devoir d’ouvrir un double dialogue à la fois avec les agresseurs et avec ses concitoyens.

Même les belligérants (MLC de Jean-Pierre Bemba, RCD de Ruberwa Azarias, RCD/KML de Mbusa Nyamwisi) ont alors compris que la restauration de la démocratie était un préalable majeur. Au-delà de la cause juste qui commandait  de défendre l’intégrité territoriale, c’est l’ordre politique du Décret-loi constitutionnel qui était contesté.

Le dialogue avec les agresseurs.

Une douzaine de pourparlers ont précédé Sun-City. Il s’agissait essentiellement de Sommets de chefs d’Etat ou de ministres de la défense des pays impliqués ou intéressés dans ce que certains ont baptisé « la première guerre mondiale africaine ». Nous les citons, mais il ne nous semble pas correct de ranger dans la catégorie des « dialogues politiques congolais » des pourparlers qui relèvent des activités diplomatiques d’un Gouvernement. 

Ces Sommets des chefs d’Etat ou des ministres de la défense ont eu lieu à Victoria Falls (du 7 au 8 août 1998 ; A Harare, du 18 au 19 août 1998, à Addis-Abeba du 8-10 septembre de la même année 1998 ; à à la Grand-Baie (Ile Maurice) du 13 au 14 septembre 1998 ; ou encore à Libreville, du 20-22 septembre 1998 ;

Puis à Pretoria, sur invitation de Nelson Mandela, du 20 au 22 août 1998,  à Durban, du 2 au 3 septembre 1998, à Victoria Falls du 7-8 septembre 1998, sur invitation du président Robert Mugabe ; à Addis-Abeba du 10 au 12 septembre 1998 ; à Syrte, en Libye, du 27 au 30 septembre ; à Windhoek ( Namibie) du 26 au 27 novembre 1998 ; à Syrte ( Libye) du 16 au 18 avril 1999…

Les dialogues entre Congolais.

Après avoir refusé de s’asseoir aux côtés  des rebelles lors de ces Sommets, le Gouvernement a fini par céder. Moyennant un Accord de paix signé avec le Rwanda et l’Uganda qui ont enfin reconnu la présence de leurs troupes en RDC, lors  du Sommet de Syrte (16 au 18 avril 1999).

L’Accord de Lusaka

Les rébellions ouvertes de 1962 à 1986  (celles des sécessions katangaise de 1960 à 1963 et sud-kasaïenne de 1960 à 1961,  celles de Pierre Mulele ou des lumumbistes du Conseil National de Libération  (Gbenye, Soumialot entre 1963 et 1965), celles du Front national de Libération du Congo (FLNC de Mbumb Nathanael en 1977 à 78) ou celles du Parti de la Révolution Populaire ( PRP de Laurent Kabila de 1967 à 1986)  avaient toutes été écrasées par la force des armes, aucun dialogue politique congolais n’ayant porté des résultats durables.

Par contre, les rébellions ouvertes  en  1998 se sont terminés par l’Accord de Lusaka du 10 juillet 1999. Lequel Accord a  consacré le cessez-le-feu et préconisé la tenue d’un Dialogue inter congolais, qui allait inclure, à côté des belligérants, l’Opposition politique non armée et la représentation des forces de la Société civile. C’est dire que, au-delà du cessez-le-feu, le Dialogue avait pour fonction principale, la mise en place d’un ordre politique nouveau, soit donc la restauration de la démocratie.

C’est dans ce sens que nous rangeons Sun-City parmi les « Dialogues de rupture »

La première réunion préparatoire s’est tenue à Gaborone du 20 au 24 août 1999. Les partis politiques qui y étaient  notamment le Palu, l’UDPS, le PDSC, le MPR- fait privé, le FONUS, le Front pour la survie de la Démocratie, le Collectif de l’Opposition Démocratique Plurielle, l’UNAFEC/CPF, le Regroupement de l’Opposition Modérée, le MSDD, ainsi que les représentants de la Société Civile

Par ailleurs, le président Laurent-Désiré Kabila a organisé, du 14 février au 11 mars 2000 une Consultation nationale dans la grande église protestante du Centenaire.
 
Comme en 1960, et comme en 1991, le « Dialogue Inter-Congolais » de Sun City a été  un Dialogue de rupture. Face à une guerre largement impopulaire, qui a exposé les agresseurs à une dangereuse xénophobie dans l’opinion nationale, le besoin de restaurer la démocratie a été pour ainsi dire, « couvert » provisoirement la crise communautaire.

1.4. Les sécessions

Il  y a eu deux Sécessions au Congo :

1° Celle qui a installé « l’Etat Indépendant du Katanga », proclamé par Moïse Tshombe le 11 Juillet 1960. Moïse Tshombé et ses affidés, de leur côté, ne cachaient pas leur conviction selon laquelle le Congo devait reconsidérer sa composition traditionnelle et donc restaurer les anciennes nations tribales.

2° Celle qui a installé « l’Empire Autonome du Sud-Kasaï » proclamé par Albert Kalonji le 8 Août 1960. Albert Kalonji n’avait jamais caché son souci de « protéger » son peuple luba-kasaï contre les autres tribus de l’ancienne Province du Kasaï. Il a voulu donner aux Luba-Kasaï un pays à eux.

3° Nous pouvons citer aussi, au registre des sécessions, la République populaire du Congo, proclamée par les nationalistes lumumbistes dirigés par Christophe Gbenye (1963-1964).

Les dialogues des sécessions

Il y a eu, pour résoudre les crises des Sécessions, organisation de dialogues, que nous catégorisons comme étant aussi des « dialogues de rupture » dans la mesure où ces dialogues ont aussi cherché à  changer la structure politique du pays, en remettant en cause la structure existante à l’époque.
–    La Conférence de Léopoldville (25 janvier 1961)
–    La Conférence de Coquilhatville (du 24 avril au 28 mai 1961)
–    La Conférence de Tananarive (du 8 au 12 mars 1961)
–    Conclave de Lovanium (du 15 juin au 31 juillet 1961)

Observons tout de suite qu’il s’agit aussi de rencontres et de pourparlers entre des Officiels représentants des Institutions de l’Etat et des représentants des Institutions sécessionnistes convoqués tous au titre de députés, de sénateurs, de membres de Gouvernement.

Les deux sécessions du Katanga et du Sud-Kasaï ont été réduites par la force des armes. Et malgré son retour et sa fonction de Premier Ministre entre 1964 et 1965, Moise Tshombé a quand même été condamné à mort (1967) pour crime de sécession

Conclusion

Les dialogues de ruptures présentent les mêmes caractéristiques dans la forme et dans leurs fonctions. Ils sont l’aboutissement d’une crise qui remet en cause la légitimité de l’ordre politique établi et qui oppose donc fondamentalement les Gouvernés aux Gouvernants. L’évolution de cette crise passe par des tentatives souvent malheureuses du gouvernant qui cherche à garder l’initiative du changement envisagé et à contrôler la situation. Dans les deux cas de la crise de l’indépendance et de la crise de la restauration de la démocratie, le Dialogue congolais a produit des résultats durables.

Dans le cas de la Conférence Nationale Souveraine, le dialogue a plutôt échoué. Nous pouvons relever à ce stade déjà une autre catégorie de dialogue qui est le dialogue de légitimation.

II. CRISES DE LEGITIMITE, DIALOGUES DE LEGITIMATION

Les dialogues de légitimation ont été organisés par les gouvernants en quête d’approbation ou d’adhésion. Soit pour assurer l’adhésion des gouvernés devant le « coup d’Etat », ou devant une décision « douteuse ou délicate»

La « guerre injuste » infligée au gouvernement de LD Kabila s’est  manifestée à la fois comme une crise communautaire, ou de collectivités, conduite par les Tutsi, et comme une crise de légitimité parce que fondée sur la contestation du pouvoir de LD Kabila et de l’ordre politique qui était dictatorial.

Pour s’assurer l’adhésion du peuple, LD Kabila a organisé le « Débat national » puis la « Consultation nationale » du 14 février au 11 mars 2000. Il s’agissait pour lui d’affirmer sa légitimité face aux rebelles, et de démontrer la justesse de son action.

On peut supposer que Joseph Kabila, contesté après les élections de 2011, a eu besoin d’annoncer les « Concertations nationales », qui ont eu lieu, plus d’un an plus tard, en 2013. Tout comme on peut supposer que le même Président Joseph Kabila, gêné par les lois du pays et soucieux, malgré tout, de faire « ce que la loi n’autorise pas » a eu besoin de légitimer son  action  ou sa volonté politique par un « Dialogue national » convoqué en 2015… 

Ces différents dialogues peuvent être rangés dans la catégorie des « dialogues de légitimation ». Le souci d’affirmer la légitimité d’un gouvernement procède, en ces cas, soit des suites d’une contestation de cette légitimité (coup d’Etat mal accepté, mauvaises élections, succession irrégulière), soit des suites d’une protestation énergique contre une action ou une initiative gouvernementale, soit encore du besoin de démontrer ( souvent vers l’étranger), la popularité du Gouvernant.

Le dialogue de légitimation découle d’un besoin ressenti davantage par le Gouvernant. Il s’agit alors d’obtenir approbation et adhésion, de séduire ou de convaincre l’opinion nationale, soit devant une situation mal comprise, soit devant un projet mal accueilli.

Ce type de dialogue a pris, généralement, la forme de «  Consultation » ou de « Concertation ». Le Gouvernant développe ses thèses comme solutions. Mais il a besoin d’associer une large représentation de citoyens pour faire  accepter, sinon imposer ces solutions  aux Gouvernés.

Les dialogues de légitimation n’ont eu aucune chance de succès dans les  situations  où le système politique a été remis en question. Les Consultations organisées par les Colonisateurs en 1958, ou par le Dictateur Mobutu en 1990 apparaissent comme des résistances ou des limitations au changement souhaité par les populations. Et ces résistances ou ces tentatives de limitations ont eu pour effet de creuser davantage le fossé entre les Dirigeants et leurs populations ! Car, quand le gouvernant ne prend pas suffisamment la mesure du changement souhaité, l’échec des dialogues de légitimation conduit au Dialogue de rupture, sinon à une révolution violente.

Toutefois, nous pouvons observer, dans l’histoire politique de la RDC, des « dialogues de légitimations » dont la fonction a été  de démontrer l’adhésion et l’appui des citoyens à la démarche ou à l’action du Gouvernant. Il y a alors, mobilisation et confortation de la légitimité.

Le président Mobutu, fort de sa popularité qui était très large au lendemain de son coup d’Etat, avait ouvert le contentieux belgo-congolais, en 1966, en s’attaquant notamment à la puissante Union Minière du Haut-Katanga, qui était un véritable Etat dans l’Etat. Pour démontrer qu’il étai suivi par son peuple, il a organisé une série de consultations, notamment des Etudiants et autres Forces vives de la nation. Ce qui a apporté une forte caution aux autres actions qui  consolidaient sa dictature : pendaison des 04 Opposants à la Pentecôte, soumission du Parlement en se permettant des Ordonnances-lois, initiatives vers le Parti unique (Corps des Volontaires de la République, CVR, puis MPR et changement de la Constitution dès le mois de mai 1967 !

Le « Dialogue de légitimation » prend alors sa forme privilégiée : le meeting populaire. La communication directe, univoque, pendant laquelle le Dirigeant consomme, selon l’expression consacrée, son mariage avec le peuple !

Conclusion : Le dialogue de légitimation peut prendre différentes formes. Il est généralement un instrument de justification ou de mobilisation pour le Gouvernant qui affiche sa résistance contre le changement. A cause de cette résistance, le dialogue de légitimation n’a fait que préparer le dialogue de rupture en accentuant le fossé entre, d’une part  le Dirigeant réticent qui tergiverse et, d’autre part, les Forces de changement qui réclament l’initiative.

III.  LES DIALOGUES DE GESTION

Le dialogue de gestion repéré dans l’histoire politique de la RDC n’a pas visé le changement de système politique. Il n’a pas non plus cherché à légitimer une action gouvernementale. Il a concerné l’arbitrage de l’Autorité devant un litige entre des sujets.  Nous comprenons donc que, généralement il s’est agi de litiges entre communautés ou collectivités tribales.

En effet, l’émergence de l’Etat  congolais a condamné et « répudié la tribu ». L’Etat a dû imposer sa souveraineté sur les anciens royaumes. La nation congolaise naissante a dû forger son identité et sa puissance sur le rejet ou l’anéantissement de la conscience d’appartenance tribale. Toutes les idéologies étatistes ou nationalistes ont concouru à cet objectif. Il fallait porter haut l’ambition nationale congolaise et établir la conscience individuelle et collective de l’intérêt commun.

La réalisation d’une ambition congolaise qui voulait une nation une, indivisible, homogène n’a pas toujours été facile devant la diversité ethnique de notre peuple et, surtout, devant certains déséquilibres et conflits figés par l’émergence de l’Etat unificateur, colonial ou républicain.

Les crises communautaires ont pris deux dimensions :

1. La dimension où elles restent « horizontales », entre Communautés.

De 1960 à 2015 : On a connu les crises entre les Lendu et les Hema en Ituri ; les crises des collectivités entre les Banyarwanda et les Baunde ou les Bashi au Kivu ; les crises de collectivités des Bashi de Kabare et des Bashi de Ngweshe ; les crises de collectivités entre Lulua et Luba-Kasaï au Kasaï ; les crises de collectivités entre « Katangais » et « Kasaïens », etc.

Ces crises horizontales, entre ressortissants de collectivités différentes, ont connu divers cadres de « dialogue ». Il y a eu « le lac Mukamba » au Kasaï, en 1959 ; les Baraza du Kivu, les rencontres Lendu-Hema de l’Ituri. Etc.
Mais il semble bien que le concept de « Dialogue politique » est réservé aux crises qui portent sur l’ordre politique ou la structure de l’Etat.

2. La dimension où ces crises communautaires sont « verticales » et dirigées contre l’Etat de façon à menacer l’intégrité territoriale et la cohésion nationale  de 1960 à 1963 : deux  crises communautaires contre l’Etat ont ouvert les sécessions  du Sud Kasaï et du Katanga déjà évoquées sur le chapitre des « dialogues de rupture »
 
V. DIALOGUE : UNE SOLUTION INEVITABLE ?

Nous avons dit : « En politique démocratique, tout est matière à débat, et toute solution est le résultat d’un débat ». En considérant que le Dialogue politique n’est rien d’autre qu’un débat pacifique, nous dirons que le Dialogue se fonde sur deux principes majeurs : le respect des droits de chaque participant et l’égalité de statut entre participants

Au-delà du contexte, le Dialogue politique congolais est caractérisé par une large participation. C’est le caractère inclusif qui exige la représentation de toutes les tendances antagonistes et de toutes les catégories sociales et politiques : soit donc les gouvernés et les gouvernants, ainsi que diverses composantes de la société civile.

Le Dialogue congolais est fondateur. Il marque une volonté de rupture, de changement. Il se propose toujours de faire participer toutes les forces vives aux options sur le changement souhaité.

Le Dialogue politique congolais est légitimateur quand la légitimité du gouvernant  est en jeu ou quand c’est plutôt l’action du gouvernant qui recherche approbation générale.

Dans cette dimension  le dialogue politique est généralement souhaité, organisé, sinon imposé par le gouvernant  comme étant une nécessité incontournable.

Le Dialogue politique congolais est pacificateur. Mais il faut  relever le fait que les rebellions armées comme les sécessions n’ont pas été résorbées par un seul Dialogue.

Dans le cas des rebellions  connues entre 2004 et 2013, on peut même dire que les « pourparlers et différents accords n’ont été efficaces que quand la force des armes s’est imposée….

Que penser du Dialogue attendu en 2016 ? Une fonction de rupture ? Ou une fonction de légitimation ?

En considérant l’ordre du jour évoqué et portant sur l’organisation des élections et les solutions à trouver devant les difficultés objectives et  l’exigence des lois, le dialogue pourrait être considéré comme un dialogue de légitimation. Il vise à obtenir adhésion  aux mécanismes envisagés par le Pouvoir.

En considérant, par contre, que le contexte est caractérisé par le débat sur le respect et la protection de la Constitution, et par les soupçons, fondés ou non, que le Pouvoir cherche à rompre avec cette Constitution, le dialogue envisagé risque d’apparaitre comme une résistance du Pouvoir. La question sur la responsabilité de la situation se poserait. Il y aurait alors radicalisation des positions. Ce qui amènerait l’exigence d’un dialogue de rupture, semblable à la Conférence Nationale Souveraine ou à un Dialogue de Sun-City. Plutôt que la rupture avec la Constitution du 18 février 2006, ce serait la rupture avec le Pouvoir en place. 

Kinshasa, 30 décembre 2015.  

(*) Professeur à l’UNIKIN
                                                                                         

 

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