19 05 16 Jeune Afrique – RD Congo – She Okitundu : « Il ny aura pas de troisième mandat pour Joseph Kabila »
Léonard She Okitundu fait sans doute partie des rares personnes qui sont consultées, de temps en temps, par le président Joseph Kabila. À trois reprises dailleurs le chef de lÉtat congolais la dépêché à Bruxelles auprès de lopposant historique Étienne Tshisekedi pour convaincre ce dernier de participer au dialogue politique souhaité par Kabila en RD Congo.
Entre deux rendez-vous à Paris où il a séjourné récemment, lancien ministre congolais des Affaires étrangères, aujourdhui sénateur et membre du bureau politique de la Majorité présidentielle (MP), est revenu pour Jeune Afrique sur les faits saillants de lactualité en RD Congo.
Jeune Afrique : Pourquoi la MP jubile-t-elle après le prononcé de larrêt de la Cour constitutionnelle sur la fin du mandat du président Joseph Kabila ?
Nous ne jubilons pas. Nous sommes plutôt satisfaits de la décision prise par la Cour constitutionnelle. Dautant quen réalité cest lopposition qui avait soulevé ce débat pour contester la manière dont le pouvoir sexercerait dans la République au cas où la présidentielle ne serait pas organisée dans les 90 jours précédant lexpiration du second mandat du président Joseph Kabila.
Pour nous, ce débat navait pas de sens car la Loi fondamentale congolaise a tout fait dans ses dispositions pour éviter la vacance du pouvoir institutionnel à tous les niveaux, que ce soit au niveau des assemblées provinciales quà celui du Parlement ou de la présidence de la République. Joseph Kabila restera donc en fonction jusquà linstallation effective du nouveau président élu.
Cet arrêt autorise-t-il implicitement, comme certains au sein de lopposition le craignent, la mise en place dune transition politique à lissue du second et dernier mandat du président Kabila ?
Je ne voudrais pas rentrer dans la confusion des concepts ou des termes. Certains qualifient de transition cette période entre le moment où le mandat expire et le moment où le président élu est effectivement installé ; dautres en revanche parlent dintérim.
Kabila restera en fonction en attendant la présidentielle
Il faut préciser quil ne sagit pas de loctroi dun nouveau mandat. Il ny aura donc pas de troisième mandat pour Joseph Kabila, la Constitution étant claire à ce sujet. Mais le président actuel restera en fonction en attendant que lélection présidentielle ait lieu et que le nouveau chef de lÉtat soit connu pour lui passer le flambeau.
Que répondez-vous à ceux qui considèrent quayant été incapable dorganiser la présidentielle dans les délais comme lexige la Constitution, Joseph Kabila ne peut pas rester en fonction à lissue de son mandat ?
En RD Congo, le pouvoir organisateur des élections, cest la Commission électorale nationale indépendante. Celle-ci a été confrontée à plusieurs problèmes à la fois techniques et financiers. Avant tout, il y a eu des blocages pour lorganisation des élections en retard (les locales et les sénatoriales nont pas été organisées depuis 2006 et 2007). Plus tard, le calendrier global des élections a été jugée irréaliste. Il fallait tenir compte de près de 10 millions de nouveaux majeurs, et des Congolais de létranger. Aussi fallait-il mettre à jour le fichier électoral.
À cela sajoute la question financière : les élections coûtent environ 1,2 milliard de dollars. Malheureusement, il na pas été possible déconomiser les fonds nécessaires à cause de la guerre à lEst qui a été un gouffre financier. Car il y a eu également leffondrement des cours des matières premières.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas privilégier les élections présidentielle et législatives, deux scrutins soumis aux délais constitutionnels ?
Il nous faut de bonnes élections qui ne génèrent pas des conflits postélectoraux
À supposer que le gouvernement réunisse les moyens pour organiser ces deux scrutins dans les délais constitutionnels, dautres contraintes techniques ne sont pas pour autant résolues : lenregistrement des nouveaux majeurs et des Congolais de létranger notamment. Il y a un délai incompressible pour procéder à la révision du fichier électoral : il nous faut de bonnes élections qui ne génèrent pas des conflits postélectoraux.
Pour vous, il nest donc plus possible dorganiser la présidentielle dans les délais ?
Si on se contente du fichier électoral actuel et on ne tient pas compte de nouveaux majeurs et des Congolais de létranger, cest encore possible. Mais dans ce cas, on exclurait plus de 10 millions de Congolais. Une telle hypothèse nest pas imaginable.
En attendant, lÉtat congolais ne parvient toujours pas à mettre fin aux massacres à répétition des populations à Beni, dans le nord-est du pays…
La situation à Beni est complexe. Cest un coin de la République où lon constate une forte implication internationale. Des groupes armés qui y pullulent bénéficient du soutien et de la complicité de certains pays limitrophes. Cest pourquoi dailleurs le Conseil de sécurité de lONU a mis en place une brigade dintervention pour renforcer les forces armées nationales. Mais on demande trop à la RDC.
Protéger les civils à Beni, est-ce trop demander à lÉtat congolais ?
Faut-il rappeler que la RD Congo est sous-embargo ? On demande à un pays dassumer ses prérogatives régaliennes et en même temps on lempêche dacheter les matériels quil faut pour combattre les groupes armés.
Certes, lÉtat congolais a lobligation de protéger sa population en sécurisant lest de son territoire, mais des pressions doivent aussi être faites auprès des pays limitrophes pour quils respectent leurs engagements souscrits dans lAccord-cadre dAddis-Abeba, en sabstenant de soutenir les groupes armés sur le territoire congolais.
Le dernier rapport du groupe dexperts onusiens sur la RD Congo indique que des pistolets avec des caractéristiques « similaires à ceux fabriqués en Corée du Nord » ont été livrés à certains officiers congolais. Quen est-il ?
Je nai pas dinformations précises à ce sujet. Mais si cela savère vrai, la communauté internationale na quà assumer les conséquences de lembargo sur les armes imposé à la RD Congo. Quà cela ne tienne, notre pays ne doit pas être condamné parce quil se procure des armes où elles se trouvent pour protéger et défendre sa souveraineté nationale.
Sur le plan politique, le dialogue annoncé na toujours pas commencé. Quest-ce qui bloque ?
Nous voulons que le dialogue soit inclusif
Le blocage nest ni de la responsabilité du chef de lÉtat ni celle de la Majorité présidentielle (MP). Ce qui bloque aujourdhui, cest la question de linclusion de la partie prenante dite « opposition politique ». La MP a déjà désigné ses 12 délégués, mais en face, lUnion pour la démocratie et le progrès social (UDPS) voudrait dabord prendre 6 délégués pour son compte, puis octroyer les 6 autres au reste de lopposition. Et le parti dÉtienne Tshisekedi ne considère pas les dissidents de la majorité – Vital Kamerhe et le G7 notamment – comme des opposants. Cest donc un débat interne à lopposition qui bloque le dialogue. Nous voulons que le dialogue soit inclusif.
Au même moment, le pouvoir multiple ces derniers mois les cas dintimidation et darrestation dopposants : répression des manifestations, détention des prisonniers politiques… Nest-ce pas contradictoire ?
Il ny a pas de prisonnier dopinion en RD Congo. Il y a, à chaque fois, un fait dordre pénal qui est reproché à tel ou tel individu. La RD Congo demeure un État de droit, avec ses insuffisances certes, mais on ne peut pas considérer que la situation des droits de lhomme dans notre pays est dramatique.
Moïse Katumbi, considéré désormais comme le principal rival du président Kabila, se retrouve dans le collimateur de la justice. Une « procédure politique », selon plusieurs observateurs. Que répondez-vous ?
Pour nous, Moïse Katumbi nest pas un adversaire. Il ne faut pas confondre populisme et popularité. Les Congolais savent faire la part des choses entre le comportement électoral et le soutien à une équipe de football ou au président de celle-ci. Il faut relever également que le fait dêtre candidat à la présidentielle ne lexonère pas de ses responsabilités par rapport à certains faits qui sont infractionnels.
Mais la coïncidence entre sa déclaration de candidature et louverture des poursuites est plus que suspecte, selon certains qui estiment que le pouvoir voudrait disqualifier un concurrent…
Cest un concours de circonstances. Rien avoir avec sa déclaration de candidature à la présidentielle. Des faits concordants sont retenus à sa charge, cest à lui de prouver quil ny est pour rien, assisté de ses avocats. Mais si ces faits sont avérés, Moïse Katumbi en subira effectivement les conséquences. Pour linstant, il est toujours présumé innocent.
La MP se prépare-t-elle de son côté à la présidentielle ou compte-t-elle uniquement sur le maintien de Kabila au pouvoir au-delà de son mandat ?
Nous sommes prêts. Si le calendrier électoral est publié par la Ceni, nous assumerons nos responsabilités et nous indiquerons qui sera notre candidat.
Beaucoup parlent du trio Aubin Minaku, président de lAssemblée nationale, Augustin Matata, Premier ministre, et Évariste Boshab, vice-Premier ministre en charge de lIntérieur…
Que des supputations ! La question nest pas encore à lordre du jour.
Trésor Kibangula