30 08 16 La Libre – RDC: "Kabila attend le désordre mais, après le 19 décembre, il pourrait le desservir"

Pour tenter de comprendre ce qui se passe, "La Libre Belgique" a interrogé le politologue Jean Omasombo, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, et professeur à l’Université de Kinshasa, où il vient de séjourner.
Le Dialogue a-t-il encore lieu d’être après l’annonce par le président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), Corneille Nangaa, le 19 août, que l’élection présidentielle ne pourra se tenir avant juillet 2017 au plus tôt ?
Voilà deux ou trois ans que Joseph Kabila s’en tient au Dialogue pour trouver une branche à laquelle se raccrocher; malgré la Constitution, il espère pouvoir rester au pouvoir coûte que coûte. La déclaration de Nangaa n’étonne pas; ce qui étonne, c’est la médiocrité de la classe politique congolaise. L’histoire tend à se répéter : la Majorité présidentielle n’a rien retenu de la fin de Mobutu quand elle s’imagine qu’il n’y a pas d’alternative au chef de l’Etat en fonction. Il y a bientôt 20 ans, le blocage avait conduit à la débandade du courant mobutiste et au chaos. Et dans l’opposition, voir l’affairiste Moïse Katumbi (NdlR : ex-gouverneur du Katanga) s’afficher comme prétendant providentiel à la succession, c’est l’histoire qui ricane !
C’est une classe politique sans mémoire. On dirait que les causes des problèmes sont surnaturelles, qu’un sorcier est à l’œuvre ! Personne n’est responsable de la non-tenue des élections locales depuis 2006, de celles des députés provinciaux et des sénateurs depuis 2011 ni, aujourd’hui, du retard pris par la préparation de l’élection présidentielle de novembre 2016. Si on suit la solution proposée par Nangaa – le renvoi des élections à un an – Dieu enverra sûrement un orage demain et on s’enlisera à nouveau !
Ils veulent l’enlisement, mais cela risque de ne pas être possible. En choisissant l’option du fait accompli, on risque de sortir davantage le pays de l’espace politique pour s’enfoncer dans l’inconnu et la loi de la jungle.
Par quel mécanisme ?
La Majorité présidentielle ne pourra persister longtemps dans sa stratégie de maintenir Kabila au pouvoir. D’autant plus que le chef, peu bavard sinon muet, s’assimile à une statue au nom de laquelle on s’exprime : on ne connaît sa volonté qu’à travers sa clientèle politique. Quant à l’opposition, unie sur le seul rejet de Kabila, elle ne pourra pas se cimenter autour de Katumbi : sa fortune assoit sa position politique mais ne lui garantit pas le ralliement de ses collègues.
Katumbi est populaire ….
Il est d’abord populiste et affairiste. Comme gouverneur du Katanga, il s’est illustré comme entrepreneur et s’est forgé une bonne image. Tout le contraire de Kabila qui, après 16 ans de pouvoir, est désavoué. Mais cela ne fait pas de Katumbi un candidat crédible à la Présidence. Il occupe la place qu’occupait Jean-Pierre Bemba en 2006 : candidat par défaut, simplement parce qu’il est à même de mettre fin au pouvoir de Kabila. Mais, la classe politique congolaise étant ce qu’elle est, une fois ce dernier mis en marge, Katumbi deviendra "l’affairiste", le "Blanc" (NdlR : il est métis), le "Katangais"…
Revenons au Dialogue. A-t-il encore une raison d’être ?
L’idée initiale de ce Dialogue, voulu par Kabila, était de lui conserver sa place à la tête du pays. Mais il a échoué à le maîtriser et la communauté internationale est entrée dans le jeu. Toutefois le Dialogue ne rassemble pas et le facilitateur, Edem Kodjo, continue d’être contesté par l’opposition. Avec la proposition de la Ceni, Kabila espère voir le Dialogue lui permettre de rester au pouvoir au-delà de l’échéance constitutionnelle; il en est réduit à espérer se ménager une place dans les futurs jeux qui, constitutionnellement, doivent commencer sans lui. A tous égards, il est coincé : comme Tshisekedi, qui ne parvient pas à placer son fils à la tête de son parti à l’exemple de Gizenga, le problème de succession paralyse Kabila. S’il annonçait un dauphin, il signerait un suicide politique et l’éclatement de sa mouvance. Le plus grand danger pour lui ne vient pas de l’opposition mais de la prochaine défection d’un autre groupe de la Majorité.
En outre, dans son imaginaire, l’opinion – pro-Majorité comme pro-opposition – a déjà "sorti" Kabila comme chef de l’Etat; le point de non-retour approche.
Selon la Constitution, l’allongement du délai de préparation des élections que M. Nangaa s’apprête à demander à la Cour constitutionnelle n’est autorisé que si celle-ci déclare la vacance du pouvoir.
C’est exact. 
Alors que va-t-on faire ?
Les premières discussions, lors de la préparation du Dialogue la semaine dernière, ont buté sur un point : l’alternance politique. Pour l’opposition, l’alternance prime sur les élections; pour la Majorité, l’alternance est une possible conséquence des élections. Ce n’est pas qu’un jeu sur les mots; derrière ces questions de principe se profilent des ambitions individuelles.
Il ne faut pas se faire d’illusions. La Ceni, depuis ses débuts, n’évolue que dans le cadre conjoncturel, voire le sens, que voudrait Joseph Kabila; on l’a notamment vu avec la mise en place des nouvelles provinces, qui n’est intervenue que lorsqu’il l’a décidé. La demande de prolongation du délai que la Ceni va introduire est une dernière stratégie, à destination de l’opinion, après une série d’échecs pour contourner la Constitution.
A quoi peut servir le Dialogue aujourd’hui ?
Peut-être de récréation, au cours de laquelle on ira de surenchère en surenchère entre ceux qui croient être les maîtres du pays et ceux qui croient pouvoir tirer des avantages de cette réunion.
Mais, en même temps, le Dialogue se veut le nouvel espace de l’expression politique, alors que le gouvernement et la Majorité perdent de plus en plus l’autorité pour gouverner. Le président Kabila a "épuisé" les institutions, dont le crédit a atteint le niveau plancher. Pour chacun, le Dialogue – quel que soit le compromis à trouver – demeure un cadre d’orientation après le 19 décembre.
La Constitution est claire : en cas de vacance du pouvoir pour toute cause "d’empêchement définitif", les fonctions de Président sont exercées par le président du Sénat, qui a trois mois pour organiser les élections. C’est donc Léon Kengo wa Dondo.
C’est une option. Kengo joue très bien son jeu : il n’a pas rejoint l’opposition radicale, préférant s’appuyer sur son droit constitutionnel. Mais Tshisekedi veut lui disputer cette place, en attendant l’élection de son dernier protégé, Katumbi.
Pourquoi l’opposition ne va-t-elle pas au Dialogue ?
Quelques-uns sont là. La Majorité présidentielle y est, Kamerhe y sera, Kengo y retourne… Ce sera comme avec la CNS (NdlR : Conférence nationale souveraine, 1991-92) : beaucoup n’y vont pas parce que le schéma est mauvais, puis l’enceinte s’élargit et alors, même le facilitateur, Edem Kodjo, ne pourra plus rien contrôler. Mais, contrairement à la CNS, qui avait duré 18 mois, il y a ici une échéance proche : la fin du mandat constitutionnel de Kabila. Sans issue rapide, le Congo risque de retrouver les drames de la fin du règne de Mobutu. Tandis que Joseph Kabila attend le désordre pour dire qu’il n’est plus possible d’organiser les élections, ce même désordre, après le 19 décembre, pourrait le desservir puisqu’il sera devenu illégal, un rebelle pour l’opposition et l’opinion nationale.
Les jeux sont très ouverts, entre des acteurs qui ne tiennent réellement qu’à leurs appétits. Les lendemains du Congo sont très incertains.
Entretien de Marie-France Cros

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