12 09 16 Atlantico – Rwanda, Burundi, RDC : le triangle malade des Grands lacs face au risque dembrasement général
Atlantico : Alors que
des élections présidentielles doivent se tenir en RDC – la Constitution
empêchant Joseph Kabila de briguer un troisième mandat – ce dernier
semble manœuvrer pour faire "glisser" le calendrier électoral afin de
rester au pouvoir après la fin de son mandat. Alors que le pays n'est
jamais parvenu, depuis vingt ans, à faire cesser le conflit à l'Est,
comment décrire la situation actuelle en RDC ?
Gérard Prunier : Le trucage que
prépare Joseph Kabila – et on peut être sûr qu'il ne reculera pas et ne
se contentera pas de simplement déposer son costume de président le 31
décembre – rentre en phase avec un autre besoin de trucage venant du
Rwanda. En effet, le président Kagamé qui a été réélu – probablement
jusqu'au XXe siècle –suite aux modifications de la Constitution qu'il a
opérées n'est pas confronté aux mêmes difficultés que M. Kabila, mais il
fait face à un problème de légitimité interne étant donné qu'il
représente un groupe ethniquement minoritaire.
Si M. Kagamé s'appuie sur un fort soutien international, sur le plan intérieur, la situation est beaucoup plus problématique. Une tension militaire arriverait donc pour lui – tout comme pour M. Kabila – à point nommé.
M. Kagamé et M. Kabila ont donc,
malheureusement, le même intérêt : qu'un conflit se crée entre le
Nord-Kivu et la province orientale sur la frontière rwandaise. Un
tel conflit n'est pas très difficile à bricoler étant donné que la
région grouille de chômeurs armés et qu'en dix ans –l es élections ayant
amené M. Kabila au pouvoir datant de 2006 – la paix n'est jamais
revenue sur la frontière orientale de la RDC.
Ainsi, il y a une sorte de gisement de
déstabilisation politique qui serait utile aux deux chefs d'Etat. Il est
évidemment à craindre qu'ils ne l'utilisent.
A la fin des années 1990, la RDC a été le
terrain d'une grande guerre africaine, à laquelle l'Angola, le
Zimbabwe, la Libye, le Rwanda ou encore l'Ouganda ont participé. En quoi
la situation de la RDC est-elle particulièrement importante en Afrique ?
Quels sont les risques de voir aujourd'hui la situation du pays
dégénérer au niveau continental ?
La situation géographique de la RDC explique son importance. Frantz Fanon (ndlr : psychiatre et auteur français) disait "L'Afrique a la forme d'un revolver dont la gâchette se trouve au Congo". La
RDC est un pays-continent qui touche au Nord à la grande forêt, au Sud
aux pays de la savane qui descendent jusqu'à l'Afrique du Sud, dans les
montages de l'Est à l'Afrique orientale des Grands lacs, et qui a une
façade Atlantique partagée avec toute l'Afrique occidentale.
Pour comprendre la situation, il faut regarder les jeux de lutte et d'influence entre Kigali, Kinshasa et Bujumbura. Le
"joker dans le paquet de cartes", c'est M. Nkurunziza qui a violé la
limite du nombre de mandats qui lui était constitutionnellement autorisé
au Burundi. Son maintien au pouvoir par la force –et le fait
qu'il tue pas mal de gens – a donné lieu à un mouvement d'opposition
général dans le pays.
Opposition et connivence
Aujourd'hui, nous restons prisonniers d'une grille de lecture qui est celle de l'opposition Tutsis-Hutus.
Si elle a encore une certaine pertinence, il faut rappeler qu'au
Burundi, le régime est dominé par des Hutus et que la plupart des
opposants sont eux-mêmes hutus. Au Rwanda, le régime est dominé par les
Tutsis et la plupart des opposants – du moins ceux qui sont
actifs – sont eux-mêmes tutsis. En fait, les grilles de lecture qui
étaient valables dans les années 1990 et qui ont mené au génocide de
1994, sont totalement tordues à l'heure actuelle. La situation est
beaucoup plus compliquée que ce qui prévalait il y a vingt ans.
Kagamé
soutient au Burundi une opposition tutsi qui n'est pas particulièrement
populaire et qui est en bascule parce que les "vrais" opposants sont
des hutus. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas aussi des opposants
tutsis mais on ne peut résumer la situation entre des opposants
appartenant à un groupe ethnique et des partisans du gouvernement
appartenant à l'autre. Si tous les partisans de M. Nkurunziza sont
effectivement des Hutus, ils sont en fait probablement en minorité et il
y a en face d'eux aussi bien des Tutsis que des Hutus.
La situation entre Kinshasa, Kigali et Bujumbura est triangulairement malade. Il y a un vrai danger de globalisation de trois conflits complètement différents
mais qui ont un point de contact : la violence, les chocs, et les
problèmes sont positifs pour les régimes qui peuvent se nourrir de cela
pour éviter de remplir des obligations démocratiques auxquelles ils
tentent tous d'échapper.
Comment les difficultés à construire la
paix dans la région des Grands lacs peuvent-elles s'expliquer ? Comment
se fait-il que la Monusco, mission de maintien de la paix des Nations
Unies la plus importante (plus de 20 000 hommes), la plus coûteuse
(budget annuel de 1,4 milliards de dollars) et présente depuis 17 ans en
RDC, ait produit si peu de résultats ? L'arrivée de la Chine, comme
large investisseur dans la région, a-t-elle modifié la donne ?
Les Nations Unies sont incapables de faire avancer la
paix dans la région. L'instrument est totalement inadapté. C'est de la
foutaise ! Il est impossible de fabriquer la paix sans une source solide
dans le pays où vous voulez la fabriquer. Croyez-vous que si les
Allemands étaient restés nazis en 1945, on aurait eu une Allemagne
démocratique ? Non, la situation a pu évoluer parce que l'Allemagne
elle-même a changé. On ne peut pas fabriquer de la paix parachutée de l'extérieur
: on peut favoriser des éléments politiques, économiques, sociaux,
ethniques, religieux etc. qui vont dans le sens d'une Constitution
démocratique et d'une amélioration de la situation mais on ne peut pas
s'y substituer. Or, toute l'erreur des Nations Unies – qui se poursuit
en ce moment au Soudan du Sud – est de dire qu'on peut faire la paix à
la place des gens qui vivent dans le pays. C'est un rêve ! Il n'est pas
possible de se substituer à la population d'un pays pour lui faire faire
ce qu'elle ne veut pas faire. La Monusco pédale dans la choucroute
depuis dix-sept ans.
Quant à l'arrivée de la Chine, ça ne changera strictement rien. La Chine est un pays impérialiste classique :
elle a des intérêts économiques et se moque totalement du confort, du
bien-être et de la démocratie dans les pays où elle se trouve.
Propos recueillis par Emilia Capitaine