15 12 16 7/7.cd – A propos des Arrêts de la Cour constitutionnelle et de la vacance du pouvoir le 19 décembre 2016
Sollicité, le 12 décembre, par le régime de Kinshasa agissant par lentremise de Me Kiboko, une avocate congolaise peu connue, Mr Didier Maus, fonctionnaire français à la retraite et constitutionnaliste inconnu de la plupart des spécialistes en droit constitutionnel congolais, faisait une sortie médiatique très risquée en déclarant au cours dune conférence que la Cour constitutionnelle de la RDCongo avait bien dit le droit en se basant sur larticle 70 alinéa 2 de la Constitution pour prolonger le mandat de Mr Kabila, que cette Cour pouvait valablement siéger même si le quorum nétait pas atteint, que les juges qui avaient refusé de siéger avaient commis une faute lourde, et quil ny aurait aucune vacance à la tête de lEtat congolais le 19 décembre 2016.
Cette sortie de Didier Maus qui avait été fort médiatisée par la presse congolaise et reprise en boucle durant tout le weekend par les télévisions du pouvoir comme la RTNC et Télé 50 énervait les Congolais autant que lavait fait le Prof Evariste Boshab avec son ouvrage intitulé – Entre la révision constitutionnelle et linanition de la nation.
Comme on pouvait sy attendre, elle ne pouvait laisser indifférent le plus célèbre de nos constitutionnalistes et lun de plus fervents défenseurs de la Constitution de la République. Dans une « Mise au point scientifique » de 25 paragraphes nous transmise par sa secrétaire Rosalie Muananyime, le tombeur dEvariste Boshab vient de se charger du français Didier Maus en infligeant au français une correction exemplaire qui lui fera regretter sa sortie téméraire de la retraite que lEtat français lui a imposée depuis mars 2012. Dans la foulée, André Mbata administre une sévère gifle ou une « chicotte »(intellectuelle) à un autre professeur congolais, Auguste Mampuya, professeur à la retraite (parce quémérite) à la Faculté de droit de lUniversité de Kinshasa, produit de luniversité française et Officier de lOrdre national des Palmes académiques de la République française comme Didier Maus lui-même.
Mise au point du Professeur André Mbata Mangu
Contrairement à ce qui a été présenté par certains médias, Didier Maus a cessé dêtre Conseiller dEtat et Rapporteur général de la Commission des archives constitutionnelles de la Vè République française depuis plusieurs années. Il est un fonctionnaire à la retraite depuis le 5 mars 2012.
Ancien élève de lEcole nationale dAdministration, sans détenir un diplôme de Doctorat dEtat qui était alors le plus grand titre académique dans son pays, mais plutôt un diplôme de lInstitut détudes politiques, un diplôme détudes supérieurs (DES) de droit public et de sciences économiques et une licence en lettres, Didier Maus avait néanmoins été nommé professeur duniversités en France.
Le Conseil constitutionnel est la plus haute juridiction française comparable à la Cour constitutionnelle de la RD Congo. Cependant, Didier Maus na jamais été membre du Conseil constitutionnel actuellement présidé par lancien Premier Ministre Laurent Fabius.
Didier Maus est un spécialiste de la pratique constitutionnelle sous la Vè République française. On ne lui reconnaît pas dexpertise en droit constitutionnel africain et sa conférence sollicitée du 12 décembre 2016 constituait lune de ses rares interventions dans un champ intellectuel en dehors de ses compétences.
Les limites des connaissances du droit constitutionnel congolais par Didier Maus peuvent se comprendre dans la mesure où la Constitution française de 1958 quil maîtrise ne consacre pas une disposition intangible semblable à larticle 220 de la Constitution congolaise de 2006 et que la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels par cette Constitution a précédé la reforme française de 2008.
Le « recrutement » de Didier Maus comme lobbyiste du gouvernement congolais serait intervenu dans la même ville (Paris, France), au cours de la même période précédant la fin constitutionnelle du mandat du Président de la République (novembre 2016) et il aurait été lœuvre du même agent « nationaliste » congolais qui avait recruté Dr Cynthia McKinney. Cette tendance dun gouvernement en panne darguments à dilapider les fonds publics pour payer des politiciens,des fonctionnaires ou des universitaires retraités au lieu de se confier aux compétences nationales actives et reconnues est bien déplorable.
Il est admis que les universitaires, les fonctionnaires et les politiciens à la touche ou à la retraite se retrouvent souvent dans une situation de précarité financière alors quils doivent continuer de vivre et faire vivre. Cependant, la retraite se prépare et léthique interdit que lon puisse chercher à se faire de largent par tous les moyens pendant sa retraite. On peut dignement passer ses vieux jours et il faut faire très attention en voulant sortir de la retraite avec le risque de cracher en une seule sortie sur le prestige acquis au terme de nombreuses années dune carrière qui paraissait honorable.
En France, le Conseil constitutionnel est soumis à la Constitution, à sa loi organique et à son règlement intérieur. Cest un Didier Maus scientifiquement méconnaissable (par ses anciens collègues et étudiants) qui est tombé de son piédestal en affirmant pince-sans-rire que la Cour constitutionnelle congolaise avait raison de juger même en violation de la Constitution, de sa loi organique et de son règlement intérieur !
Les recruteurs de Didier Maus auraient pu lui amener la Constitution congolaise de 2006 ou il aurait pu sortir de sa retraite pour faire quelques recherches qui lui auraient permis de connaître les règles de saisine et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle. Une telle démarche lui aurait permis déviter le ridicule et de noter que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) nétait pas compétente pour saisir la Cour afin dobtenir la prolongation du mandat présidentiel et quil ny avait donc pas lieu de lui donner raison ou de vanter son « incompétence ».
Par ailleurs, une faute doit avoir été prévue ainsi que la sanction correspondante. Surprenante mais parfaitement compréhensible dans la cadre dun recrutement comme lobbyiste est la position de Didier Maus pour qui les professeurs membres de la Cour qui navaient pas siégé avaient commis une faute lourde.
Largument de Didier Maus pour qui « la Cour (constitutionnelle congolaise) a eu raison de faire valoir larticle 70… parce que notamment si on fait prévaloir larticle 75, larticle 70 ne servirait plus à rien… » est tout simplement spécieux. Mais on comprend quil avait été recruté pour faire prévaloir larticle 70 alinéa 2 sur les dispositions constitutionnelles comme les articles 73 – 76 et 220.
Au moment où Didier Maus intervient, lactualité constitutionnelle en RDC était dominée par lAccord signé par les participants au Dialogue de la Cité de lUnion africaine qui prévoyait que le Premier Ministre devait provenir de lOpposition. Un constitutionnaliste à la page aurait pu également se pencher sur cette question et la valeur juridique de cet Accord.
Comme lauteur dEntre la révision constitutionnelle et linanition de la nation auparavant et pour la même cause que lui, Didier Maus a fait du droit politique, de la politologie, et non pas du droit constitutionnel.
Se situant dans la lignée des Apôtres dEmmaüs qui avaient marché avec le Seigneur Jésus Christ sans vraiment le connaître et malgré sa longue carrière, ses nombreuses distinctions honorifiques et son passage dans les universités françaises, Didier Maus semble avoir longtemps évolué sur le terrain du droit constitutionnel français sans se pénétrer du principe du constitutionnalisme fondé sur les trois piliers que sont la limitation des pouvoirs, lEtat de droit (démocratique) et les droits de lhomme.
On ne saurait pas non plus reprocher à Didier Maus, qui est français, son ignorance des derniers développements en droit constitutionnel africain avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance à la lumière de laquelle le lobbying pour lequel il a été recruté revient à un lobbying en faveur dune situation de changement inconstitutionnel de gouvernements.
Lon ne peut que déplorer linconstance de certains universitaires à la fin de leur carrière scientifique. Le cas du retraité Didier Maus nest pas sans rappeler celui dun autre universitaire français, Georges Lavroff qui, au crépuscule de sa carrière, avait remis ses enseignements en cause en prétendant que le pouvoir constituant originaire (le peuple) avait les mêmes droits que le pouvoir constituant dérivé (le parlement)et quune révision constitutionnelle pouvait être totale, ce qui constitue des hérésies parce que le mandataire ne peut se substituer au mandant et une révision constitutionnelle totale ne serait plus une simple révision, mais un changement de constitutions. Dans sa folle croisade pour la monarchisation du pouvoir présidentiel en RDC, Prof Evariste Boshab sétait néanmoins appuyé sur une telle argumentation fallacieuse et obscurantiste pour amener le parlement dominé par sa coalition politique à réviser larticle 220 afin daccorder un mandat présidentiel illimité à son Autorité morale.
Le vagabondage intellectuel nest pas lapanage des scientifiques ou des juristes français. En RDC, il rappelle celui récent du Prof Auguste Mampuya, chef de département de droit public international de la Faculté de droit de lUniversité de Kinshasa, produit de luniversité française et Officier de lOrdre national des Palmes académiques de la République française comme Didier Maus.Evoluant à la fois sur le terrain du droit constitutionnel et celui du droit public international dans le cadre de la politique du ventre et devenu lun des plus grands tambourinaires dun pouvoir finissant, cet enseignant qui a fait lexploit dêtre admis à léméritat (retraite) sans avoir formé un seul professeur comme exigé ailleurs, a récemment multiplié des bouquins sans grande valeur dans les milieux scientifiques internationaux et dont le dernier en date porte sur les sanctions ciblées contre des responsables congolais. On attend que le régime dont il est devenu lun des thuriféraires en chef saisisse rapidement la Cour internationale de Justice pour se prononcer sur la validité de ces sanctions en droit international et démontre ainsi tout le sérieux quil accorde à son expertise. En continuant avec les « sanctions ciblées », les Américains et les Européens ont cependant démontré quils nétaient pas intéressés à ces productions scientifiques « locales » dun professeur au soir de sa carrière nhésitant même pas à cracher sur les idées quil avait produites quelque temps seulement auparavant dans une publication sur larticle 70 et la vacance de pouvoir.
Auguste Mampuya nen est pas à ses premiers revirements intellectuels. Dans son livre Entre la révision constitutionnelle et linanition de la nation(pages 340-341), Evariste Boshab le considérait déjà comme « lun des chantres de la dictature de Mobutu » qui avait professé que le vote par acclamation était le plus démocratique. Evariste Boshab était davis que cétait un « crime » et lattitude dAuguste Mampuya relevait de la « trahison des clercs » pour qui « il était plus facile de ramper pour être invité au repas du ‘Seigneur que de demeurer tête haute et ventre creux ».
Au début du second mandat du Président Kabila, Prof Mampuya se donnait un beau rôle dopposant au régime, « donnant à chaque instant des leçons de démocratie ». Evariste Boshab sinterrogeait: « Est-il amnésique ou croit-il que les crimes dhier sont automatiquement pardonnés ? Qui lui a donné pareille absolution pour quil se regarde dans le miroir de lhistoire sans frémir ? ». On croyait quil avait compris la critique de Boshab, mais « amnésique », il sest mis à « ramper de nouveau » en chantant ses louanges pour être invité à la table du Seigneur Kabila quil avait critiqué et quil croit avoir la mémoire courte.
Sans laccuser de raciste, la position de Didier Maus sapparente en réalité à celle défendue dans le passé par plusieurs autres politiciens et intellectuels français qui avaient estimé que les peuples africains navaient pas droit au constitutionnalisme ou à la démocratie comme les peuples occidentaux. On nest pas loin des propos du Président français Nicolas Sarkozy qui avait osé affirmer à Dakar que lAfrique nétait pas encore entrée dans lHistoire ni ceux de lun de ses prédécesseurs, Jacques Chirac, qui avait déclaré le 23 février 1990 au terme dune visite au Président Houphouët Boigny de la Cote dIvoire que le multipartisme était un luxe pour lAfrique. Curieusement, Didier Maus appartient à la droite comme ces deux anciens présidents français.
Cest sur base de l«expertise » des personnes comme Didier Maus que la Françafrique avait été créée et que la France dite « Patrie des droits de lhomme et de la démocratie » avait pendant des décennies soutenu des régimes autoritaires qui se recrutent essentiellement parmi ses anciennes colonies ou les pays francophones comme ceux de lAfrique centrale. Cette époque de production scientifique au service des autoritarismes est à jamais révolue.Prof André Mbata naimerait pas être accusé de manquer de respect envers les aînés quil ne saurait cependant pas suivre dans leurs égarements scientifiques et quil ne saurait laisser tranquilles dans leur « retraite ».
Malgré les imperfections inhérentes à toute œuvre humaine, la Constitution congolaise de 2006 est meilleure que la Constitution française de 1958 et celles de plusieurs autres pays démocratiques. Le problème est surtout celui dabsence de leadership démocratique ou des hommes et des femmes capables de vivre et de défendre les valeurs constitutionnelles.
La limitation de la durée et du nombre des mandats présidentiels a été consacrée dans la Constitution congolaise bien avant la réforme constitutionnelle intervenue en France en 2008. Bien plus, elle a été inspirée par le régime politique des Etats-Unis. Cette situation ne place pas les constitutionnalistes français ou leurs anciens étudiants qui nont pas été recyclés dans une position idéale pour donner des leçons de droit aux juristes et aux juges constitutionnels congolais.
En nous inspirant de la Constitution et du système américain qui la inspiré à ce sujet, le Président congolais actuel aura perdu toute légitimité pour diriger le pays ou le représenter valablement après le 19 décembre 2016. Il cessera également dêtre un président constitutionnel ou légal, lArrêt tant vanté de la Cour constitutionnelle sur lequel il fonderait son pouvoir ayant été rendu en violation de la Constitution, du Règlement intérieur de la Cour et de la loi organique sur lorganisation et le fonctionnement de celle-ci.
Ni le « Monologue » ou le « dialogue exclusif» des 300 personnes réunies à la Cité de lUnion africaine sous la facilitation dEdem Kodjo ni le « dialogue très inclusif ( ?) » des 32 personnes réunies au Centre interdiocésain par la CENCO ne peut légitimer ou légaliser le régime spécial, intérimaire ou de transition qui pourrait être mis en place au terme dun accord politique dans la mesure où un tel régime nest pas prévu par la Constitution et quil ne saurait énerver la Constitution adoptée par référendum ni simposer au peuple souverain. Par ailleurs, larticle 220 qui contient des dispositions intangibles a une valeur juridique supérieure à larticle 70. Dans le cas despèce de la fin du second et du dernier mandat présidentiel et de la non-organisation de lélection présidentielle, les Congolais devraient sinspirer du modèle américain pour que la vacance soit déclarée et que le Président du Sénat soit investi Président ad intérim avec mandat dorganiser lélection présidentielle en 2017 dans les délais prévus par la Constitution. Largument souvent entendu selon lequel le Président du Sénat serait lui-même disqualifié pour avoir « glissé » est un argument politique et non de droit constitutionnel. Sil était pris en compte, toutes les lois votées par les deux chambres du Parlement depuis 2012 nauraient plus aucune valeur en droit, le Sénat les ayant aussi adoptées.
Sil ny aura pas vacance comme laffirme Didier Maus avant même larrivée de léchéance du 19 décembre 2016, ce nest pas parce quelle ne serait pas constitutionnelle, mais tout simplement parce que la Cour constitutionnelle qui est totalement soumise au régime aura une fois de plus manqué daudace pour la déclarer. On aurait pu sattendre à ce que Didier Maus honore sa retraite en conseillant au Président congolais de suivre lexemple de François Hollande à qui plusieurs années de pouvoir, les richesses amassées, les fanfares et les honneurs militaires ainsi que le réalisme politique nont pas fait perdre sa lucidité.
Cependant, il ne faut pas désespérer. Nous avons encore quelques jours devant nous. Plus concrètement, 5 à 10 minutes au maximum suffiront pour permettre au Président de la République de sadresser à la Nation et prendre seul la bonne décision quon attend de lui depuis longtemps: remercier le peuple congolais au terme de 15 ans de règne, assumer pleinement son actif mais aussi son passif tout en présentant ses regrets et en demandant pardon pour navoir pas pleinement rempli sa mission de garant de la nation, de lindépendance et de lintégrité du territoire et surtout pour navoir pas réussi à organiser les élections dans le délai constitutionnel, sengager au strict respect de la Constitution, se libérer de la charge présidentielle et se préparer à prendre son siège comme membre à vie du Sénat.
Kinshasa, 14 décembre 2016
Assistante Rosalie Muananyime