20 12 16 – « Ne pas brûler le Congo »… Ne pas céder non plus au chantage du chaos
Cette attitude réservée serait surdéterminée par une mémoire populaire « implacable » des conséquences mortifères des pillages, conflits et autres rébellions du passé.
En développant cette idée, Mme Braeckman alimente, malheureusement et involontairement, la rhétorique que les ténors de la majorité présidentielle développent depuis deux ans pour disqualifier les manifestants : les nouveaux mouvements citoyens (Lucha, Filimbi) qui manifestent dans la rue pour le respect de la Constitution sont des acteurs « anarchisants » (Lambert Mende, porte-parole du gouvernement), les partis dopposition sont partisans dun « schéma du chaos » (ibidem), les uns et les autres incitent à la « destruction » (Mova Sakanyi, secrétaire général du PPRD, parti présidentiel) et sont prêts à mettre le pays « à feu et à sang » (communiqué du PPRD).
La réalité, faut-il le rappeler, est que limmense majorité des Congolais tentés par la voie protestataire, bien loin dêtre « disposés à brûler leur pays », désirent marcher « pacifiquement », que lexercice de ce droit arbitrairement interdit depuis septembre est physiquement empêché par les forces policières, que cest la brutalité de ces dernières qui fait que les marches dégénèrent en affrontements et que le désordre qui en résulte est un effet recherché dune stratégie délibérée visant à criminaliser les protestataires, à retirer à lopposition le levier politique (son dernier) des manifestations de rue, en assimilant celles-ci à une « stratégie insurrectionnelle ». Nest-ce pas là dabord quest « la stratégie de la tension » que la journaliste voit plutôt du côté de lopposition et de la communauté internationale ?
Les gens seraient restés chez eux par crainte du chaos sur lequel déboucherait fatalement leur révolte. Pourquoi Goma, ville martyre par excellence, est-elle celle où la protestation a été la plus intense du pays ce 19 décembre ? Pourquoi les Kinois sont-ils sortis par milliers en janvier 2015 et à nouveau en septembre 2016, respectivement contre la modification de la loi électorale et pour dénoncer la non-convocation du corps électoral ? Pourquoi ne pas évoquer la mémoire courte de ces deux épisodes de répression à grande échelle (la police a pratiqué le shoot to kill) dans linhibition qui a dominé la capitale hier ? Pourquoi ne pas parler aussi de « leffet dapprentissage » sécuritaire qui fait que de protestation en protestation le pouvoir apprend, anticipe, saméliore dans ses efforts de neutralisation proactive de toute manifestation ? A minuit ce 19 décembre, cest par des rafales de mitraillettes destinées à terroriser les plus aventureux que les forces de lordre ont répondu au concert de sifflets et de casseroles signifiant à Kabila la fin de son mandat.
Et quand bien même cette mémoire plus longue des conflits et des pillages du passé explique en partie la réserve dhier, naurait-il pas fallu mentionner, même brièvement, la manipulation pernicieuse de cette mémoire par le clan Kabila, qui na de cesse de rappeler les douleurs collectives récentes pour condamner tous ceux qui navalisent pas le « glissement ». Dès le 15 décembre 2015, Joseph Kabila prévenait quil ne permettrait pas que « les sacrifices consentis ensemble au cours de ces dernières années pour bâtir la paix et la sécurité dans notre pays (…), balisant la voie vers lémergence, soient compromis, sous quelque prétexte que ce soit, par ceux qui (…) choisiront de rester enfermés dans leurs postures négativistes » en refusant le dialogue. La lecture dun article de 1998 dIsidore Ndaywel ENziem, historien que la journaliste Colette Braeckman connaît bien, montre que ce régime ninnove pas : lidéologie mobutiste a elle-même utilisé la violence du passé pour mieux condamner toute velléité de résistance et réserver au régime « la symbolique de la paix, de lunité nationale, de la promesse dune prospérité certaine ». Refuser délire Mobutu revenait à « opter pour le chaos »(*). Joseph Kabila reproduit ce chantage au chaos.
A propos de lopposition, pour terminer. Sil est vrai que celle-ci est globalement tenue « en piètre estime » par la population, bien des jeunes qui marchent ces derniers mois contre Kabila ne se font pas dillusion sur la qualité de ces politiciens de rechange, mais estiment « quil sagit dune question de principe ». Et que par ailleurs, « on nest pas sûr que lopposition améliorera les choses, mais on est sûr quavec Kabila les choses ne samélioreront pas ». Enfin naurait-il pas été plus cohérent de mentionner que, justement, cette opposition na pas appelé à manifester hier ? Ce silence calculé, qui a surpris les observateurs, explique au moins en partie la faiblesse des mobilisations dhier.
François Polet, chargé détude au CETRI, réalise une thèse à lULg sur les mobilisations collectives en RDC.
Note :
(*) Ndaywel ENziem Isidore (1998), « Du Congo des rébellions au Zaïre des pillages », Cahiers détudes africaines, Vol.38, n°150-152.