02 03 17 – Le Burkina a de vrais opposants, la RD Congo des opposants alimentaires

Quel film avez-vous sous les bras, à ce 25e FESPACO ?
Cette année, je présente un film, intitulé «L’homme qui répare les femmes», qui porte sur le Docteur Mukwege, qui est un docteur de Bukavu, dans la province du Kivu, en République démocratique du Congo (RDC). Il soigne, depuis 20 ans, les femmes qui sont victimes de violences sexuelles, lors des conflits et des guerres qui se déroulent en RDC. Il a également, dénoncé le viol des femmes comme arme de guerre bon marché, mais très efficace pour terroriser les populations.
Ce film figure dans quelle catégorie ?
Comme tous mes films, il est hors compétition, puisque je suis Belge, et seuls les Africains peuvent concourir. Mais, mes films sont toujours programmés dans les films en compétition. C’est-à-dire dans les grandes salles, Nerwaya ou ciné-Burkina. Ce qui est un peu exceptionnel.
Vous êtes d’ailleurs, à votre énième participation à cette biennale du cinéma africain. Comment jugez-vous la présente édition ?
Cette année, en tout cas, le programme est en ligne, avant le début de l’édition et c’est déjà pas mal. Je sais que c’est difficile de faire des festivals de cette importance et de cette envergure en Afrique, surtout que ce pays vient de vivre une révolution et donc, doit aussi se reconstruire. C’est déjà miraculeux qu’on soit ici. Je suis heureux d’être ici et de partager mon film avec le public burkinabè et international. C’est un festival à préserver, contre vents et marées.
C’est un virage à 180°, quand on connaît vos précédentes œuvres : de Mobutu, roi du Zaïre, Floribert Chébéya, crime d’Etat, à Dr Mukwege, ce sont deux thèmes assez différents ?
 J’ai fait 10 films sur le Congo, et j’ai traité à peu près tous les aspects. J’ai traité la dictature, l’histoire avec Mobutu, roi du Zaïre, la géographie, le paysage avec «Congo Rivers», l’économie avec «Katanga Business», la justice, la politique d’aujourd’hui, avec l’irrésistible ascension de Moïse Katumbi, qui est le prétendant au poste de président du Congo et là, j’ai voulu rendre hommage à un homme exceptionnel qui est un docteur congolais, qui lutte contre la violence, l’absence des droits de l’homme, l’impunité. J’ai des films qui dénoncent et ceux qui rendent hommage. Le Docteur Mukwege, pour moi, est une personne exceptionnelle, un de ces grands Africains pour lesquels on doit avoir le plus grand respect, parce qu’ils ont beaucoup de conviction et de courage. Pour moi, c’est une personnalité comme Nelson Mandela ou Martin Luther King.
Restons sur l’affaire Chébéya, est-ce un crime d’Etat ou une bavure sécuritaire ?
En ce qui concerne l’affaire Chébéya, je pense que c’est un crime d’Etat. Une volonté de tuer. Chébéya est comme le Norbert Zongo congolais. C’était l’homme à abattre, car il était le patron de la voix des sans-voix, mais surtout, le président de la société civile, la personnalité la plus ancienne, historique, respectée de la société civile congolaise. Il fallait l’abattre, avant même les festivités liées au 50e anniversaire de l’indépendance, et c’est ce qui a été fait.
Quel avenir, selon vous, pour la RDC, avec les événements récents ?
Je vois un avenir assez tumultueux, violent et chaotique. Le président joue aujourd’hui, la prolongation ; contrairement au président burkinabè, qui n’a pas pu faire de 3e mandat, le président Kabila ne fait même plus d’élections, il est totalement illégitime, il ne respecte pas sa constitution, les gouverneurs de provinces n’ont pas été élus, on est dans un système totalement illégitime, avec un président qui a aujourd’hui, pour rester au pouvoir, utilisé la terreur et le meurtre. Il y a eu un accord avec une partie de l’opposition qui semble ne pas tenir la route, parce que cet accord n’a pas été respecté. Signé le 31 décembre 2016, il devait décider d’un Premier ministre, issu de l’opposition, qui n’est pas encore installé.  Aujourd’hui, c’est quand même l’exaspération de l’usure du temps et de la politique de la présidence qui est à la fois de commencer à corrompre les opposants, l’argent tourne, pour que les opposants rallient la cause du président et d’autre part, la terreur dans des régions comme le Kasaï et l'Ituri où il y a des massacres, toutes les semaines. 
N’est-ce pas la faute de l’opposition ?
Il ne faut pas comparer le Burkina Faso au Congo. Je crois qu’ici, il y a une vraie opposition et au Congo, non. Là bas, des opposants, le jour et conciliants, la nuit. Ce sont des gens qui font une opposition qu’on dit alimentaire. Il faut monter les enchères pour essayer d’avoir le plus de privilèges possibles, et une fois qu’ils seront au pouvoir, ils ne changeront pas les choses. Il n’y a aucun parti de l’opposition qui a un programme de réformes, personne n’est valable pour défendre plus une sécurité sociale, un système éducatif, une réforme du système de santé. Au Congo, on se bat pour avoir le pouvoir et une fois qu’on l’a, on se partage ses privilèges. C’est une élite politicienne totalement imbue d’elle-même qui ne voit qu’un seul intérêt, les privilèges. Je pense que Moïse Katumbi a su aussi profiter de sa position de gouverneur, pour faire prospérer ses affaires. Je le dis d’autant plus que je le connais très bien, c’est un ami. Donc, je peux dire que c’est une opposition qui se bat pour récupérer le privilège que le président a actuellement. Moi, je dirais qu’au Congo, la véritable opposition, est celle citoyenne, de conscience et de conviction des gens qui veulent changer le mode de vie du peuple congolais, qui veulent développer le pays pour tout le monde, pas pour eux-mêmes. J’en vois très peu, mais il en a, le Docteur Mukwege est de ceux-là. Il y a aussi ces mouvements de jeunes, qui sont la vraie opposition, qui ont déjà payé par de nombreuses arrestations, emprisonnements, qui se sont d’ailleurs, fédérés avec «Le balai citoyen» et le mouvement «Y en a marre». Ce sont eux la véritable opposition. Je crois beaucoup à la jeunesse comme force de changement. Mais, je vois aussi qu’il y a au Congo, un appareil sécuritaire, militaire, extrêmement puissant, qui peut imposer un régime de terreur. Je crains que le changement dans ce pays ne se paye très cher, par le prix du sang de ce peuple. 
Êtes-vous pessimiste pour ce pays-là ?
Kabila ne partira jamais de lui-même. Il ne partira que dans un cercueil ou avec un fusil dans le dos. Je dirai que présentement, le Kivu et le Kasaï sont déjà en situation de guerre civile, et même le Katanga est en train de basculer. Le problème est que vous avez fait une révolution réussie au Burkina. Mais là, les autorités ont compris qu’il fallait ne pas céder, couper l’herbe sous les pieds de toutes les formes d’opposition. Je suis pessimiste, pas dans l’issue, car je pense que les dictateurs finissent par tomber comme des fruits mûrs, et c’était le cas de Mobutu qui est resté au pouvoir, pendant 32 ans, et Compaoré, qui a aussi fait 27 ans.

Le Burkina a eu son insurrection, sa transition. Un président qui avait aussi fait près de 30 ans au pouvoir, a été déboulonné. Le cas du Burkina ne vous inspire-t-il pas un documentaire ?
Je trouve qu’il y a des pays qu’on peut prendre en exemple. Il y a sûrement, le Burkina, parce que là, en plus, le peuple a dû faire une révolution et payer le prix du sang avec une centaine de morts. Le Burkina Faso a aussi, le privilège d’avoir plusieurs cinéastes qui peuvent faire un film sur leur pays. J’ai fait des films sur le Congo, je me suis substitué en cinéaste. A l’issue de ces films, j’ai été arrêté et expulsé, aujourd’hui, je n’ai plus de visa pour y aller.
Si on vous demandait aujourd’hui, de juger la situation politique du Burkina ?
Je trouve qu’elle est exemplaire. Je n’ai pas à juger, je peux observer, apprécier, et dire par exemple, qu’un travail formidable a été fait, je vois des organisations et des personnalités, vous avez des rappeurs, des chanteurs, des activités comme Ciné droit libre d’Abdoulaye Diallo. Tous ces gens-là qui ont porté les mouvements. Et après, c’était la transition et les politiques ont repris le pouvoir. Mais, au moins chez vous, je ne vois pas aujourd’hui, les anciens de Compaoré revenir au pouvoir. Le problème au Congo, c’est par exemple, le ministre de la formation actuel qui a été ministre de Mobutu etc. Les mêmes reviennent très vite. Quand on voit aujourd’hui que le même général qui a fait des massacres à l’époque de Mobutu, fait encore des massacres sous Kabila, cela pose problème. Ce sont des mercenaires, ce ne sont pas des hommes qui ont des convictions.
Peut-on dire aujourd’hui, que le temps des dictateurs timoniers et autres hommes forts est révolu ?
Malheureusement, pas du tout. En Afrique centrale, c’est le contraire. Vous avez vu que le président du Congo-Brazzaville a décidé de rester au-delà de ses deux mandats. Dans un pays comme le Congo ou le Burundi, ils font du chaos, une stratégie .
Propos recueillis par Aline Ariane BABOUIN
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