12 09 17 La Cité Africaine/RFI – Dr Mukwege: «Il faut se battre pour le retour à l’ordre constitutionnel» en RDC

A la fin de son séjour, le médecin a rencontré la
diaspora congolaise dans un hôtel des Champs Elysées. Il a animé une
conférence : « Pour une
transition sincère et authentique au Congo ». D
evant une foule
enthousiaste et fervente, qui voyait déjà en lui le « président de la
transition », rapportent des témoins, le docteur a appelé les Congolais à se
prendre en charge et à s’atteler à la reconstruction de leur pays. Alors que
des appels et prises de position se multiplient pour qu’il s’engage directement
dans l’arène politique, Denis Mukwege demeure prudent. Il a cependant
lâché : « je ne suis pas un homme politique. Mais si vous me demandez si
je suis un homme d’Etat, je dis oui » ! Jusqu'où est-il prêt à s'engager ?

 

RFI : Vous êtes gynécologue,
spécialisé dans la chirurgie réparatrice des femmes violées, mais aujourd’hui
vous êtes aussi un homme engagé qui appelle les Congolais à un sursaut.
Pourquoi cet engagement ?

Docteur Denis Mukwege : J’ai travaillé
pendant quinze ans au bloc opératoire et malheureusement, je me suis trouvé en
train d’opérer des femmes qui ont été violées, mais avec une extrême violence,
donc leur appareil génital était souvent endommagé. J’ai commencé à soigner
d’abord les victimes, leurs enfants elles-mêmes étaient violées, et quand je
suis arrivé au niveau de soigner les petits enfants, j’avais compris que c’est
un cercle qui n’a pas de fin et que la solution n’était pas au bloc opératoire.
Donc il fallait également s’occuper des causes.

 

Et vous allez plus loin. Vous dites : « Derrière ces viols de guerre,
derrière cette arme de destruction massive, il y a de l’argent sale ».

Absolument. Puisque là où il y avait les minerais, c’est là où il y
avait les groupes armés du Congo.

 

Parce que vous avez ce courage de parler vous vous exposez. En 2012, vous
avez été attaqué à votre domicile de Bukavu. Qu’en est-il aujourd’hui ?

En 2012, effectivement j’ai été attaqué. Malheureusement, cette attaque
s’est passée le soir du 25 octobre 2012, mes enfants étaient pris en otage et
les gens qui sont venus chez moi m’attendaient calmement au salon après avoir
maîtrisé tout le monde. Et quand je suis arrivé, mon ami Joseph, qui a voulu me
protéger quand ces messieurs voulaient tirer sur moi, malheureusement c’est lui
qui a pris la balle. Nous sommes tous les deux tombés et ils sont partis. Il a
perdu sa vie en essayant de me sauver. Et aujourd’hui, pour ma sécurité, je vis
à l’hôpital avec les malades.

 

Avec votre famille vous êtes à l’intérieur de l’hôpital ?

Exactement.

 

Avec une protection militaire ?

Ma protection est assurée par les forces des Nations Unies, la police
égyptienne.

Et quand vous sortez de l’hôpital qu’est-ce qui se passe ? Vous avez une
escorte ?

Depuis 2013, je ne vais même pas voir ma mère. Puisque je ne peux pas
avoir cette police tout le temps, je préfère rester à l’hôpital. Sauf quand je
sors, bien sûr, jusqu’à l’aéroport.

 

En avril dernier, un autre gynécologue congolais, le docteur Gildo Byamungu,
a été assassiné à son domicile d’Uvira – toujours au sud Kivu – Où en est
l’enquête aujourd’hui ? Savez-vous qui l’a tué ?

Comme celui qui a assassiné Joseph dans ma maison, aujourd’hui, nous ne
savons rien de ce qui s’est passé. Et c’est ça qui fait mal puisque des gens
sont assassinés et il n’y a pas d’enquête, il n’y a pas de justice. Et ça c’est
une façon d’encourager en fait cette violence.

 

Certains on dit : l’assassinat du docteur Gildo c’est un avertissement à
l’attention du docteur Mukwege.

Le docteur Gildo c’était un de mes élèves, un jeune homme engagé qui
aimait ses malades, aimait son métier. En le tuant, effectivement, ça a été un
coup très, très dur pour moi. Je ne peux pas dire que j’ai été visé, mais
quelque part mon travail a été visé.

 

Le prix Sakharov 2014, les nombreuses conférences où vous êtes invité
dans le monde, est-ce que tout cela vous protège vis-à-vis de ceux qui vous
veulent du mal ?

C’est une question difficile puisque je pense qu’à chaque fois que j’ai
eu un prix, après il s’en suit toujours des tracasseries. Mais ce qui est vrai,
je crois aussi que le prix Sakharov a ouvert certaines portes qui nous
permettent de continuer notre travail grâce à la visibilité que le prix
Sakharov nous a donnée.

 

Dans votre livre Plaidoyer pour la vie paru l’an dernier, vous écrivez :
« Je sais que je suis plus que jamais exposé. Je ne quitte plus l’hôpital de
Panzi. Combien de temps devrons-nous vivre ainsi comme dans une prison ? Mon
seul espoir ce sont les prochaines élections présidentielles et parlementaires
».

Ces élections n’ont pas eu lieu, malheureusement. Et donc notre
situation de prisonnier à ciel ouvert continue.

 

Il y a eu un accord pouvoir-opposition, le 31 décembre 2016, pour que ces
élections se tiennent d’ici le 31 décembre 2017. Comment analysez-vous la
situation aujourd’hui ?

Je ne peux pas comprendre comment – et au niveau de la communauté
nationale et la communauté internationale – nous pouvons tous fermer les yeux
et ne pas voir que c’est en 2006 que le problème a commencé, quand les
élections locales n’ont pas eu lieu. C’est un processus qui a commencé dès le
vote par référendum de la Constitution, de bloquer la Constitution.

 

Et c’est pour ça que vous dites à l’opposition : ressaisissez-vous. C’est
ça ?

Absolument. Je pense que quand vous êtes devant quelqu’un qui ne tient
pas sa parole vous ne pouvez pas continuer à donner un crédit. Vous devez à un
certain moment dire : « Vous n’avez pas tenu votre parole et maintenant c’est
assez ». Et donc pour moi la seule façon de le faire c’est exiger le retour à
l’ordre constitutionnel.

 

Donc en fait l’accord du 31 décembre dernier vous n’y avez jamais cru ?

Non, pas du tout. Et je crois que là les faits me donnent raison. Je
vous dis, c’est un processus qui date de 2006. L’intention derrière, c’est
conserver le pouvoir sans l’avis du souverain primaire.

Alors quelle est la solution aujourd’hui ? Puisque ça y est, on est parti
dans le glissement depuis le 19 décembre 2016.

Je crois que le peuple congolais doit se mettre debout pour que les
élections soient organisées et que finalement, on puisse avoir des institutions
légales.

 

Mais l’année dernière, le peuple s’est mobilisé avec des manifestations
de rue et le prix humain a été terrible. Plusieurs dizaines de morts.

Effectivement. Mais je crois que c’est là où la communauté
internationale peut jouer un rôle puisque si la Monusco est là, il est très,
très important que nous puissions voir le rôle de la communauté internationale,
pour protéger la population.

 

Le 1er  septembre dernier, vous avez été reçu à
Paris à l’Elysée par le président Macron. Mais est-ce que la France fait assez
pour vos compatriotes ?

La France peut faire plus et les Congolais, comme le premier pays
francophone, nous attendons beaucoup des autres pays francophones du continent
africain et d’ailleurs. Et la France en tête. Et aujourd’hui cette prévention
peut se faire en exigeant que ces élections puissent se tenir. Ils l’ont ait en
Gambie où ils ont exigé que la Constitution soit respectée. Et je me pose la question.
Pourquoi cela ne peut pas se faire en République démocratique du Congo ? Quand
on sait les risques que toute la région court, c’est le moment d’agir.

 

La réponse des autorités de Kinshasa, c’est que le Congo est indépendant
et que toute pression est une atteinte à sa souveraineté nationale.

Je pense que lorsque vous tirez sur votre population qui n’est pas
armée, ce n’est pas la souveraineté nationale. Je crois que lorsqu’on prend ce
prétexte de souveraineté pour interdire de protéger une population en détresse,
j’opposerais plutôt le droit d’ingérence humanitaire.

 

Vous parlez de plus en plus comme un homme politique. Est-ce que vous
êtes candidat à la prochaine élection présidentielle ?

Je ne suis pas candidat.

 

Vous avez 62 ans. Peut-être que vous avez déjà fait beaucoup pour la
médecine, pour les femmes… Est-ce que vous n’êtes pas tenté, peut-être, de vous
lancer dans une nouvelle carrière qui serait politique cette fois-ci ?

Je ne suis pas politicien. Je crois qu’il faut très, très bien faire la
différence entre un citoyen engagé qui fait le rôle de sentinelle par rapport
aux politiciens.

 

Mais vous savez bien qu’il y a beaucoup de Congolais qui sont déçus par
leurs hommes politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, et
qui demandent à des personnalités de la société civile de s’investir et qui
vous demandent de vous engager politiquement, de présider – qui sait – une
transition.  Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Mais on ne fait pas une transition lorsqu’il n’y a pas un vide. Il faut
d’abord qu’on remette l’ordre constitutionnel et je pense que commencer à
parler d’une transition alors qu’il n’y a pas de vide, nous risquons de nous
complaire dans une utopie qui ne viendra pas. Pour moi, il est très, très
important que les autorités en place comprennent que toutes les institutions
sont illégales et que c’est une urgence d’avoir des institutions qui émanent du
souverain primaire.

 

Donc vous n’excluez pas un jour de vous engager politiquement ?

Je vous répète : je ne suis pas politicien.

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