22 09 17 JA – Débat : les 500 députés de la RDC sont-ils encore légitimes ?
Tout ou presque
les différencie. Lun est un opposant au régime de Joseph Kabila et candidat
déclaré à la prochaine présidentielle dont le calendrier nest toujours pas
connu, lautre est un cadre du Parti lumumbiste unifié (Palu), formation
politique alliée de la coalition au pouvoir en RDC, qui sapprête à lancer
lassociation « Jeunes pour jeunes ». Tous les deux sont des élus de la ville
de Kinshasa. Mais leur mandat, à linstar de ceux de 498 autres députés
nationaux, est arrivé à terme au mois de février. Sans que de nouvelles
législatives ne soient organisées. Martin Fayulu et Patrick Muyaya nen tirent
pourtant pas les mêmes conséquences.
Le premier a décidé depuis de ne plus prendre part aux plénières dune
Assemblée nationale quil considère comme étant « illégitime ». Une position
que ne partage pas le second qui, lui, a bien assisté, le 15 septembre, à
louverture de la session ordinaire de la chambre basse du Parlement congolais.
Ils ont, chacun de leur côté, répondu aux questions de Jeune Afrique sur la
légitimité de linstitution dont ils font partie.
Jeune Afrique
: LAssemblée nationale congolaise
est-elle encore aujourdhui légitime ? Martin Fayulu : Non, elle ne lest plus. Cest
pourquoi jai décidé de ne plus prendre part aux travaux de cette Assemblée
nationale tant que laccord de la Saint Sylvestre nest pas appliqué. À titre
personnel, jai renoncé aussi aux indemnités de député. Cest désormais mon
parti, lEcidé, qui les récupère parce que si je les laisse, elles ne
retourneront pas aux caisses du Trésor public.
Patrick Muyaya
: Une chose est certaine, lAssemblée
nationale demeure légale. Certes le mandat des députés est arrivé à terme au
mois de février, mais nous sommes là au nom du principe de la continuité de
lÉtat. Nous sommes donc légaux, mais peut-être plus légitimes si lon
considère le délai constitutionnel pour lequel nous avons été élus en 2011. En
fait, nous sommes dans une situation transitoire hybride qui tire sa source de
la Constitution de la République et du compromis politique trouvé le 31
décembre 2016 pour gérer la période nous séparant de la prochaine organisation
des élections. Cest ainsi quaujourdhui le gouvernement est dirigé par un
membre de lopposition et une institution, le Conseil national de suivi de
laccord et du processus électoral (CNSA), a été créée.
Les députés de
lopposition devraient-ils tous boycotter les séances de lAssemblée nationale
?
MF : Il faut leur poser la question. Moi, je suis
un homme de parole et de conviction. Je refuse dêtre considéré comme un député
illégitime. Car jai pris part à la rédaction dune déclaration du
Rassemblement de lopposition, laquelle stipule que sil ny a pas de consensus
autour de laprès-19 décembre 2016, toutes les institutions à mandat électif
deviendraient illégitimes. Aujourdhui je ne peux pas justifier auprès du
peuple congolais lexistence de cette Assemblée nationale. À linstar de Joseph
Kabila, elle est devenue illégitime. Un gouvernement de transition, composé de
15 à 25 membres, doit être mis en place. Il prendrait des ordonnances-lois.
PM : Cest un
choix personnel. Encore faut-il renoncer clairement aux émoluments de député.
Quà cela ne tienne, jobserve que M. Martin Fayulu se retrouve seul dans cette
posture. Ses collègues de lopposition continuent à siéger à lAssemblée
nationale. Dailleurs comment peut-on aller aux élections prochaines sans loi
électorale, sans celle sur la répartition des sièges, sans budget ? Si nous
suivons tous la voie de Martin Fayulu, nous pouvons alors oublier la tenue des
élections.
Pour redonner une
certaine légitimité aux institutions actuelles, faut-il convoquer un troisième
dialogue ?
MF : Le compromis politique issu de laccord de la
Saint-Sylvestre na pas été respecté, Kabila doit partir au plus tard en
décembre 2017. Laissant ainsi la place à une transition courte et responsable.
Le président qui sera désigné, son Premier ministre et les ministres à venir ne
se présenteront pas aux élections. Leur mission sera de conduire le pays vers
des élections, en commençant par ordonner laudit du fichier électoral actuel.
Car les chiffres de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) sont
en déphasage avec les données démographiques. Il nous faut une nouvelle Ceni !
PM : Le troisième
dialogue, cest lorganisation des élections. Cest le dialogue au cours duquel
nous pouvons directement échanger avec le peuple. Il faut rappeler également
que laccord politique de la Saint-Sylvestre en soi ne pose pas problème, mais cest
« larrangement particulier » censé le mettre en application, qui est venu le
plomber à cause des querelles dégos des uns et des autres. Jespère quon
pourra rapidement réajuster les tirs et parvenir à restaurer un climat de
confiance nécessaire au bon aboutissement du processus électoral.
Le « bon
aboutissement du processus électoral » passerait-il par la publication dun
calendrier électoral « au plus vite » comme la demandé récemment Aubin Minaku,
président de lAssemblée nationale, à la Ceni et au CNSA ?
MF : Nous avons dépassé la revendication relative à
la publication du calendrier électoral. Pour nous, les choses sont claires : le
régime en place multiplie des subterfuges pour justifier un nouveau «
glissement ». Mais quil y ait élection ou pas, au 31 décembre, Kabila doit
partir.
PM : Pour
certains, cest un discours rassurant, mais pour dautres, ce nest pas le cas.
Nous assistons en effet à un manque criant de confiance au sein de la classe
politique. En conséquence, lorsque Aubin Minaku sexprime comme président de
lAssemblée nationale, beaucoup le perçoivent, à tort ou raison, comme le chef
dun camp. À mon sens, ce qui est important, au-delà même du calendrier
électoral, cest de restaurer un minimum de confiance entre les acteurs
politiques. Ce nest que de cette manière que les enjeux à venir, par ailleurs
plus importants que ceux du passé, seront abordés dans une certaine sérénité.