«Délestage» transporte la voix dun Kinois à Bruxelles
Un homme, une chaise et la lumière de la lampe
métallique qui les encercle tous les deux. Lhomme sadresse à une femme
que le public naperçoit pas. Il tente de lui expliquer ce qui la
conduit à être menotté dans ce commissariat de police.
Lhomme est Congolais, il sexprime avec force et
détermination, avec dérision aussi. Sûr que son innocence sera
démontrée, le malentendu dissipé et quil pourra bientôt recouvrer la
liberté. Car ce nest tout de même pas ce banal vol de voiture, présumé
et non avéré – répète-t-il, en boucle – qui doit lempêcher de
poursuivre ses rêves en Europe.
Dans son récit de cette soirée funeste sentrechoquent
les idées reçues et les partis pris, les malentendus et les préjugés,
la fausse candeur et la vraie rancoeur qui rythment les relations entre
Belges et Congolais. Sans oublier le fameux «contexte international» qui
sinvite invariablement dans les discussions. Car depuis les fameux
attentats de Paris et de Bruxelles, la police est sur les dents à la
recherche de djihadistes présumés ou potentiels. Et visiblement, dans ce
petit commissariat ucclois, Tom, surtout, et Marcel, les deux policiers
de faction pensent que ce grand gaillard basané a le profil de
lemploi. Face à ces Starsky et Hutch de la nouvelle génération, le
parfait Kinois ne se démonte pas. Quarante-huit heures quil na pas dit
un mot, ne cédant rien aux provocations dusage. Mais un malheureux
match Belgique – Pays de Galle vient créer une brèche inattendue dans sa
défense silencieuse.
Rêves dexpats et kinoiseries
Seul en scène, David-Minor Ilunga campe tous les
personnages à la fois avec une finesse dinterprétation et une célérité
impressionnantes surtout pour un soir de première. Invité du Théâtre de
Poche, le jeune auteur et comédien congolais livre un savoureux mélange
de tranches de vie belges et kinoises, posant toujours le doigt à
lendroit exact où la douleur se cache.
Sa pièce a été jouée au Congo, cet été, notamment
dans le cadre du Festival « Ca se passe à Kin » du Tarmac des Auteurs et
a bénéficié dune lecture-spectacle lors des Récréâtrales de
Ouagadougou (Burkina Faso). La voici aujourdhui présentée pour un mois à
Bruxelles avant de mettre le cap sur Paris (du 14 au 16 mars au Tarmac –
Scène internationale francophone).
«Délestage» se délecte des absurdités de la vie
kinoise (transports, toilettes, distribution deau et délectricité,
salaires des fonctionnaires, soins de santé, etc.) et des bizarreries de
la vie dici, de tous ceux qui se disent Charlie mais jamais Kananga ou
Beni, au Congo. De cette solidarité face au drame dont une partie du
globe semble à jamais bannie. Mais il le fait avec élégance, en jonglant
brillamment avec les mots et les expressions populaires, dici et
dailleurs.
Solidarité face au drame
Appliquant à la lettre labécédaire de la débrouille
(le fameux «article 15»), ce Congolais est prêt à entrer dans tous les
moules pourvu quils le mènent à lemploi. Appliquant le second degré à
sa situation avec force, il sempresse de se moquer de toutes les
misères qui le guettent avant dêtre obligé den pleurer. Entre les
Casques bleus impuissants, les voisins belligérants, les expatriés bien
intentionnés, les politiciens véreux, les hommes daffaires magouilleurs
et les humanitaires sans perspective ni frontières, le Congolais
drible, slalome et tente datteindre la lucarne.
Dans cet espace vide sculpté seulement par un
éclairage aux ambiances mouvantes (Xavier Lauwers), David-Minor Ilunga
donne vie à une kyrielle de personnages en quête de leur part de
bonheur. Un univers auquel Roland Mahauden, son metteur en scène,
fervent supporter du Congo, ne pouvait forcément pas rester insensible.
Karin Tshidimba