18 03 18 – Lettre Comité Laïc de Coordination au secrétaire Général des Nations Unies
-Monsieur le Président de la Commission de lUnion Africaine ;
-Madame la Présidente du Conseil: Affaires générales et Relations
Extérieures de lUnion Européenne;
– Madame la Secrétaire Générale de lOrganisation Internationale de la Francophonie (OIF);
-Monsieur le Secrétaire Exécutif de la SADC;
-Monsieur le Secrétaire Général de la CEEAC;
-Monsieur le Secrétaire Exécutif du CIRGL
A Monsieur Antonio GUTERRES Secrétaire Général de lONU Sutton Palace
Manhattan, NEW YORK
Objet: Appel du Comité Laïc de Coordination (CLC) à la Communauté internationale
Monsieur le Secrétaire Général,
1.Des millions de Congolaises et Congolais ont marché pacifiquement le 31 décembre 2017, le 21 janvier et le 25 février 2018 pour réclamer
lapplication intégrale de lAccord politique global et inclusif du 31
décembre 2016 qui a obtenu ladhésion des Congolais et le soutien de
la Communauté internationale à travers la résolution 2348 (2017) du
Conseil de Sécurité des Nations-Unies, comme seule feuille de route
valable en vue de lorganisation des élections libres, transparentes,
inclusives et crédibles.
2. Comme seule réponse, le pouvoir a choisi une répression sanglante
avec un bilan dune vingtaine de morts, des centaines de blessés et de
multiples arrestations, affichant ainsi la persistance de son
arrogance et de son insouciance.
3. Cest pour cette raison que le Comité Laïc de Coordination, née de
la volonté des fidèles catholiques de répondre aux nombreux appels de lépiscopat du Congo, vous écrit pour vous interpeller et solliciter
votre plus grande implication dans le processus électoral en cours.
4. Mais avant tout, le Comité Laïc de Coordination tient à féliciter
la Communauté internationale pour tous les efforts quelle na cessé
de consentir en vue de lamélioration de la situation politique de la
RDC et la remercie pour le soutien à son processus électoral.
5. Comme vous le savez, le Congo connaît une histoire électorale
émaillée de plusieurs crises. La crise politique quil connaît
actuellement tire son origine de la volonté du Président Kabila de se
maintenir au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat. Pour ce faire, il bloque le processus électoral depuis 2012 et multiplie
des stratagèmes pour ne pas organiser les élections dans les délais
constitutionnels. Cette stratégie a produit des instruments multiples
:
• Publication de nombreux calendriers électoraux non consensuels avec de nombreux préalables techniques et financiers, expressions dune volonté inavouée de ne pas organiser des élections;
• Révision de la loi électorale en introduisant, comme préalable, le
recensement de la population avant lorganisation des élections ;
• Découpage des provinces et passage de 11 à 26 provinces, modifiant
ainsi la cartographie électorale ;
• Multiplication des conflits armés, à lEst, en Ituri, au Kasaï, dans
le Tanganyika et sans doute dautres provinces dans les mois qui
viennent, comme au Kwango et au Kwilu, avec lintroduction des vaches dont les bouviers sont armés ;
• Instrumentalisation de lAccord de la Saint-Sylvestre, en vue de
passer le cap de la fin de mandat constitutionnel et de sassurer dun
semblant de légitimité, si précaire soit-elle, etc.
6. En dépit de leur farouche obstination de dévoyer le processus
électoral et de demeurer au pouvoir à tout prix, le Président Kabila
et ses partisans ont été contraints par de fortes pressions internes
et externes (Résolution 2277 du Conseil de sécurité des Nations-Unies) daccepter le dialogue inclusif du Centre interdiocésain de Kinshasa sous la médiation de la Conférence Episcopale Nationale du Congo
(CENCO).
7. Lapplication sélective et biaisée de cet accord plonge la RDC dans
une profonde impasse politique aux conséquences multiples sur le plan sécuritaire, économique, sociale et humanitaire.
8. A ce jour, ni décrispation politique, ni audit, ni restructuration
de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) pour
renforcer son impartialité, ni plan de décaissement des fonds pour les
élections ne sont à lordre du jour. La restriction de lespace
politique se poursuit avec généralisation des arrestations des
militants pro-démocratie et de droits de lhomme, ainsi que des
interdictions des manifestations publiques pacifiques de lopposition
et de la société civile.
9. Pendant ce temps, la CENI, acquise au Président Joseph Kabila,
continue à planter le décor des prochains scrutins dont il nest pas
évident quils se dérouleront dans la transparence et léquité
puisquon recourt à des manœuvres dilatoires que sont:
– le recours à la machine à voter qui, en soi, nest quun vote
électronique, et lenrôlement tardif des Congolais de létranger ;
– les contraintes financières ;
– les difficultés opérationnelles de traitement des candidatures des
Députés provinciaux, si la question de dédoublement des partis
politiques nest pas réglée;
-la marginalisation des experts internationaux (ONU, UE, UA, SADC, OIF).
10. Malgré une autosatisfaction démesurée du Président de la CENI, des inquiétudes ont déjà été soulevées concernant la fraude potentielle
lors du processus denrôlement des électeurs, avec un nombre
inexplicablement élevé délecteurs enregistrés dans certaines
provinces ou étonnamment bas dans dautres et cela, sans aucune
observation indépendante.
11. De plus, on assiste à la persistance des problèmes majeurs
susceptibles de compromettre le processus électoral en RDC, à savoir :
le dédoublement des partis politiques ; le manque dimpartialité de la
Cour Constitutionnelle ; le manque de neutralité et dindépendance de
la CENI; le manque despace politique pour les candidats en exil ou en prison; linterdiction des manifestations pacifiques; la confiscation
des médias publics et la fermeture de certains médias privés ; le
financement et la sécurisation du processus électoral.
12. Dans lentretemps, la situation sécuritaire se dégrade :
prolifération de plus de 130 groupes armés; émergence des nouveaux
foyers de conflit (Centre et Est du pays) avec à la clé plus de 4
millions de déplacés internes, 484 000 réfugiés, près de 6 millions
denfants congolais de moins de 5 ans souffrant de malnutrition (taux
le plus élevé au monde) dont 1, 9 millions en malnutrition aiguë
sévère.
13. Au lieu dopter pour la décrispation politique, le pouvoir en
place maintient en prison plusieurs opposants et soumet à des
arrestations arbitraires des activistes des droits humains et des
membres des mouvements citoyens, renforçant ainsi la tension politique et sociale. Le harcèlement de plusieurs personnalités de lopposition, la répression des manifestations pacifiques, linterdiction de plusieurs chaînes de télévision, la condamnation à lexil forcé de
plusieurs membres de lopposition participent à laggravation du
climat politique délétère.
14. Malgré ce contexte dramatique, les résolutions ainsi que les
recommandations de la Communauté internationale (Nations Unies, Union Africaine, Union Européenne, Organisation Internationale de la
Francophonie, SADC, CEEAC, CIRGL, certains partenaires bilatéraux, et Vatican) ne reçoivent que très peu déchos et de considérations de la part du Président Kabila et de son gouvernement.
15. Pourtant, il ne peut y avoir délections démocratiques et
crédibles, porteuses dun règlement durable de la crise actuelle, de
paix et de stabilité en RDC, sans décrispation politique préalable ni
rééquilibrage de la CENI pour rassurer tous les compétiteurs
électoraux.
16. Cest pourquoi, le Comité Laïc de Coordination entend sassurer,
étape par étape, que le processus électoral actuel ira à son terme et
offrira la paix postélectorale tant souhaitée par le peuple congolais
et la Communauté internationale. Cest dans cette perspective quil
réclame des signaux qui seraient lexpression de la volonté politique
de ce régime, non seulement dorganiser des élections libres,
transparentes et apaisées mais aussi de promouvoir une alternance
pacifique du pouvoir.
17. A 9 mois des élections générales du 23 décembre 2018, le Comité
Laïc de Coordination, avec insistance, invite la Communauté
Internationale à trouver les voies et moyens les plus efficaces pour
permettre lapplication des actions et des mesures prévues par
lAccord politique et la Résolution 2348 (2017) du Conseil de
Sécurité, selon le schéma critique suivant :
A. Respect du calendrier
18. Le calendrier publié par la CENI fixe la date des élections
combinées (présidentielles, législatives et provinciales) au dimanche
23 décembre 2018. Cette date doit être considérée par tous comme
ultime ; elle ne doit plus être dépassée quelles que soient les
circonstances.
19. En dépit de ses faiblesses, dont certaines ont été relevées sous
forme de contraintes par la CENI elle-même, tout le monde saccorde
pour que cette échéance soit respectée. Car la tenue de ces élections
constitue une étape essentielle à la consolidation des efforts du
peuple congolais et de la Communauté internationale en faveur de la
démocratie, de la stabilité et de la paix dans la région. Le peuple
congolais ne tolérera pas un autre report.
20. A ce sujet, le Comité Laïc de Coordination félicite encore une
fois la Communauté internationale pour ses efforts ayant amené la CENI à fixer une date butoir pour les élections.
21. Mais cette disposition à elle seule nest pas suffisante puisque
le calendrier électoral ne constitue quun élément de lensemble du
processus électoral qui doit être assorti de toutes les mesures de
décrispation politique convenues dans lAccord de la Saint-Sylvestre.
B. Mise en œuvre des mesures de décrispation politique
22. Il est fondamental, à ce niveau, que la fin du mois davril 2018
soit considérée comme la date butoir pour la mise en œuvre des mesures de décrispation politique.
23. Fin du dédoublement des partis politiques. La question du
dédoublement des politiques doit être résolue avant le 26 mars 2018,
date à laquelle la CENI publiera, selon son calendrier, la liste des
partis et regroupements politiques autorisés à concourir aux
prochaines élections, telle quelle lui sera transmise par le
Ministère de lIntérieur. Sinon, la persistance de ce dédoublement des
partis politiques compliquera le contentieux des candidatures et
retardera dautant léchéance des scrutins prévue au 23 décembre 2018.
Aussi, en labsence de solution à cette question, certaines parmi les
grandes formations politiques courent-elles le risque dêtre exclues
arbitrairement des élections.
24. Libération des prisonniers politiques, arrêt et annulation des
poursuites judiciaires contre les opposants et/ou exilés politiques.
Les mesures délargissement des prisonniers politiques et dannulation des poursuites judiciaires injustifiées au profit des exilés doivent être prises au plus tard pour fin avril 2018. En effet, le dépôt des candidatures aux provinciales, législatives nationales et à la
présidentielle, est fixé au 25 juillet 2018. Les bénéficiaires de ces
mesures doivent jouir de leur liberté suffisamment tôt pour, sils le
souhaitent, prendre une part active au processus électoral.
25. Levée dinterdictions de manifestations de lopposition politique
et de la société civile acquise au changement. Il convient denvisager
la levée immédiate de toutes les mesures de restriction et
dinterdiction des réunions et manifestations publiques prises par les
différentes autorités municipales sur instigation du gouvernement
central alors quon chemine vers la précampagne. Lopposition reste
empêchée de mouvement et ne pourra pas, dans ces conditions, préparer ses partisans aux élections.
26. Libération des espaces publics et de lespace médiatique, réouverture des médias privés injustement fermés.
Pour garantir des élections justes et équitables à tous les acteurs politiques, il est urgent de procéder dans limmédiat à louverture des médias publics à toutes les tendances politiques et à la réouverture des médias privés fermés injustement.
C. Crédibilisation du dispositif structurel pour la prise en charge du
processus électoral dans ses phases critiques
1. Commission Electorale Nationale Indépendante
27. La haute direction actuelle de la CENI ne cesse de se disqualifier
par sa partialité et son incapacité à sinscrire dans les objectifs de
lAccord. Cette Institution dappui à la démocratie prend délibérément des initiatives qui énervent les principes constitutionnels légaux pour lorganisation des élections dans le délai.
28. Parmi ces initiatives, on peut entre autres évoquer :
limprovisation de la refonte du fichier électoral par labandon de
lopération de révision du fichier qui sinscrivait pourtant dans le
timing de son calendrier initial ; le développement dun argumentaire
technique fallacieux fondé sur la corruption supposée de la base de
données dans le but de promouvoir une nouvelle opération dont les
délais opérationnels allaient au-delà des contraintes
constitutionnelles ; la publication tardive du calendrier électoral
qui aurait dû intervenir depuis le 1er janvier 2017 ; lélaboration
dun budget électoral trop onéreux pour servir dalibi et justifier
lincapacité du Gouvernement à y répondre et ainsi à renvoyer
lorganisation des élections aux calendes grecques; lopacité dans la
passation des marchés; la constitution non transparente du fichier
électoral et de la cartographie électorale.
2. Financement du processus électoral
29. Cette problématique mérite quon y accorde une plus grande
attention, même si le Gouvernement et la Communauté internationale
soient par ailleurs encouragés à renforcer les capacités du Projet
dAppui au Cycle Electoral au Congo (PACEC) par la contribution au
basket fund géré par le PNUD. En effet, les montants des opérations
électorales sont visiblement trop exorbitants. On ne sait rien de la
destination de largent budgétisé et décaissé pour les présentes
élections depuis 2012. Il ny a aucune raison dorganiser des
élections au Congo avec un matériel importé à usage unique, ni celle
dimprimer des bulletins de vote à létranger alors que le pays
dispose des imprimeries de valeur. On ne sait pas quelle est
linstance qui décide de lintroduction dun matériel nouveau, comme
la machine à voter, dont le coût pose déjà des problèmes.
3. Cour Constitutionnelle et gestion du contentieux électoral
30. La Cour constitutionnelle est en principe compétente pour la
gestion du contentieux des candidatures et du résultat de vote pour
les élections présidentielles et législatives nationales. A cet effet,
elle peut, en dernier ressort, invalider de candidatures et rectifier
les résultats de vote.
31. Malheureusement, aujourdhui, en référence à certaines décisions
iniques intervenues dans le cadre du processus électoral, la Cour
constitutionnelle a perdu toute crédibilité pour régenter ce cahier
des charges dune sensibilité absolue. En effet, par ses arrêts
autorisant respectivement la nomination des Gouverneurs de province
(septembre 2015) et la prorogation de fait du mandat du Président de
la République (octobre 2016), rendus en violation flagrante de la
Constitution, de sa loi organique et son règlement intérieur, la Cour
a donné la preuve de son instrumentalisation par le régime Kabila..
32. Il résulte des observations indicatives qui précèdent que la CENI,
dans sa composition actuelle, nest plus crédible pour garantir
lorganisation des élections pour une alternance démocratique ou, au
mieux, la promotion dun processus électoral transparent et impartial.
De même, la Cour Constitutionnelle a perdu toute crédibilité pour
régenter ce cahier des charges dune sensibilité absolue.
33. Aussi, le Comité Laïc de Coordination propose-t-il la mise en place dun mécanisme régional et international daccompagnement technique de la CENI, avec laide dun mécanisme dexpertise régionale et internationale, devant être intimement associé, du début du processus électoral jusquà la proclamation des résultats définitifs. Lactuel groupe des experts internationaux et nationaux peut jouer ce rôle, si son mandat était renforcé par le Conseil de Sécurité.
34. Si cet objectif savère irréalisable, le CLC insiste pour que la
Communauté internationale envisage la possibilité de parvenir à une
gestion plus orthodoxe de ce processus électoral de tous les dangers,
en le prenant entièrement en charge en collaboration avec une
expertise congolaise exempte de toute ambition électorale.
On pourra sinspirer, en la matière, des modèles suivants :
a. Responsabiliser lONU dans la conduite du processus électoral, à
linstar de ce qui avait eu lieu au Cambodge (1992-1993) et au Timor
Oriental (2001-2002) ou par le déploiement dun dispositif de
certification du processus électoral dans toutes ses phases comme cela
a été le cas en Côte divoire ; b. Confier la présidence de la
Commission électorale à une personnalité étrangère, à lexemple de la
Guinée-Conakry où il avait été porté à la tête de ladministration
électorale un ressortissant malien, désigné par lOIF, pour
lorganisation du second tour de lélection présidentielle du 7
novembre 2010.
Pour y arriver, il faudra :
a. Recréer un climat de confiance en restructurant la CENI afin
quelle retrouve sa vocation première dinstitution citoyenne ; b.
Envisager de mettre en place un dispositif international ou régional
ad hoc pour le monitoring des activités de la Cour constitutionnelle :
Gestion transparente du contentieux électoral et proclamation des
résultats de vote acceptables ;
c. Sécuriser le processus électoral en renforçant laction de la
Police Nationale Congolaise et, en accord avec la résolution 2348 du
Conseil de sécurité ; l
d. Recréer la confiance du peuple congolais vis-à-vis du processus
électoral à travers les forces sociales et politiques désireuses de
mettre fin à cette crise.
35. En conclusion, le CLC rappelle que le temps est venu de trouver
les voies et moyens de sortir définitivement de cette crise
électorale. Aussi le Comité Laïc de Coordination propose-t-il au
Conseil de Sécurité de :
a. Considérer la date du 23 décembre 2018 comme une date butoir pour lorganisation des élections en RDC afin de régler définitivement le problème de la légitimité des institutions ;
b. Considérer la date du 30 avril 2018 comme la date ultime où toutes
les mesures de décrispation politique doivent être mises en œuvre pour que les élections se déroulent dans la paix, la tranquillité et la
transparence et quelles offrent légalité de chance à tous ;
c. Renouveler le mandat de la MONUSCO et renforcer de manière
significative son rôle dans le processus électoral, non seulement dans
lassistance logistique, mais également dans laccompagnement pour la promotion dun environnement propice à lorganisation des élections crédibles et fiables;
d. Renouveler et renforcer le mandat du groupe des experts
internationaux pour les élections en RDC ;
e. Donner plus de moyens à la MONUSCO pour la protection des civils pendant la période pré-électorale et post-électorale.
Pour terminer, le Comité Laïc de Coordination porte à votre
connaissance que, pour donner le temps nécessaire à tous les acteurs
de la crise en RDC de trouver une solution autour des Nations-Unies et de lUnion Aricaine, il sursoit jusquau 30 avril 2018 ses actions
denvergure de protestation et de revendication. Passé ce délai, il se
verra dans lobligation de les reprendre et de les intensifier.
Veuillez agréer, Monsieur le Secrétaire Général, lassurance de notre
considération distinguée.
POUR LE COMITE LAIC DE COORDINATION
Prof. Thierry Nlandu
Prof. Isidore Ndaywel
Prof. Justin Okana
Léonie Kamiolo
Jonas Tshiombela
Gertrude Ekombe
Julien Lukenga
Francklin Mbokolo