02 04 18 – Double nationalité» et droit à léligibilité au Congo-Kinshasa : quand le laxisme rattrape toute une Nation ! Par Roger Thamba, Chercheur à lIDGPA
Cette accusation est actuellement réactivée depuis le lancement de sa plateforme électorale « Ensemble pour le Changement », très décisive à prendre les rênes de la République aux prochaines élections. Laccusation prend une tournure très inquiétante avec la révélation de Jeune-Afrique[i], qui a choisi dans ce dossier précis de mener des investigations sérieuses. Moïse Katumbi est celui que la majorité présidentielle adulait il y a peu, en le faisant passer pour le meilleur des gouverneurs de province. Mais dès lors quil ne pactise plus avec le régime Kabila, il est devenu la cible des histoires que lopinion prend pour factices, parce quelles semblent relever dune politique à géométrie variable, et qui, daprès cette opinion, sont destinées à lui barrer la route quant à son ambition de briguer la magistrature suprême.
Loin dêtre négligeable, la question de la nationalité congolaise est sensible, et le pays en a payé un lourd tribut, à cause dune législation souvent dictée par des humeurs. Certes, une accalmie est observée sous légide de la loi du 12 novembre 2004 qui attribue la nationalité congolaise dorigine à ceux qui appartiennent aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire ont constitué ce qui est devenu la République Démocratique du Congo (RDC) à lindépendance[ii] (disposition également reprise à larticle 10 de la Constitution du 18 février 2006).
Cest désormais à la veille ou au cours du processus électoral que surgit le débat sur la «double nationalité» ou simplement sur le statut détrangers de certains prétendants. En témoigne lexpérience de 2006 où laccusation était déjà faite à lencontre de certains candidats à lélection présidentielle, dont le président Joseph Kabila. Au lendemain de ces élections, plusieurs élus, parmi les parlementaires, possédant une «double nationalité» étaient dénoncés. Rien détonnant quà ce jour, à lapproche de la plus importante élection présidentielle que les congolais attendent de tout leur vœu, de telles accusations refassent surface, visant ici Moïse Katumbi. Plusieurs interrogations peuvent être soulevées à ce sujet : sagit-il dun règlement des comptes, dune stratégie de sa déstabilisation quant à ses ambitions politiques, ou essentiellement dune attitude visant à faire triompher la loi au pays de Kasa-Vubu? Lon sait, en effet, que la «double nationalité» est proscrite en droit congolais (1). Toutefois, la gestion des affaires y relatives depuis le début de la troisième République semble plutôt relever dune hypocrisie criminelle, parce quempreinte dun laxisme préjudiciable à la Nation (2).
«Double nationalité», proscrite par la législation congolaise
Le droit congolais pose le principe de lunicité et de lexclusivité de la nationalité congolaise. Larticle 10 de la Constitution du 18 février 2006 et larticle 1er de la loi du 12 novembre 2004 sur la nationalité congolaise retiennent que celle-ci est une et exclusive et quelle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. Lunicité signifie quil nexiste quune seule nationalité congolaise. Ainsi que lavait lucidement retenu le constituant du 1er août 1964[iii]. Ce fut une prédisposition particulière en cette période où il fallait nécessairement préserver lunité et la cohésion nationales en proie aux velléités sécessionnistes. Mais si le principe a été maintenu dans lévolution de la législation sur la nationalité, cest notamment dans le souci détablir la coexistence pacifique de toutes les populations établies depuis une certaine époque sur le territoire national, en particulier à lEst du pays où la question sest toujours posée avec acuité.
Cependant, les défenseurs de la «double nationalité» estiment que la situation de la RDC nest plus celle de 1964 où le pays nétait pas encore un pays démigration[iv]. A cette époque, louverture de la nationalité congolaise au monde suscitait un sentiment de peur et de méfiance, car lon pensait que son application allait se faire en sens unique, au risque dexposer le pays aux envahisseurs étrangers, voire aux ennemis[v].
Lexclusivité renvoie au fait que la détention dune autre nationalité entraine la perte de la nationalité congolaise. Ladverbe concurremment fait penser à cet aspect des choses. Si telle est lévidence, la «double nationalité» en RDC ne saurait se concevoir car tous les individus possédant une nationalité étrangère sont doffice, et sans autre forme de procès, considérés comme étrangers vis-à-vis de la RDC. A lentrée en vigueur de la loi du 12 novembre 2004 sur la nationalité, bien avant la Constitution du 18 février 2006, les personnes qui étaient dans une telle situation (de «double nationalité») étaient censées se prononcer afin dopter pour lune delles. A défaut de lavoir fait, ils étaient considérés comme des étrangers sur le sol congolais, si bien quà loccasion de lexercice des droits politiques, et ici du droit à léligibilité, les dénonciations et accusations sont toujours au rendez-vous.
Des analyses pointues font pourtant observer, dans une approche prospective, que tel que posé, le principe de lunicité et de lexclusivité comporte deux principes contradictoires : lun explicite, celui de lunicité et de lexclusivité ci-haut expliqué, lautre implicite, celui de lincapacité juridique de lEtat congolais daccorder et de retirer la nationalité congolaise dorigine[vi]. Ainsi, pour les défenseurs de la «double nationalité», le principe de lunicité et de lexclusivité posé par le constituant et par le législateur na de sens, contrairement aux idées reçues, que sil sapplique à la nationalité congolaise dacquisition[vii].
En effet, étant à la fois un marqueur identitaire et une prérogative exclusive des peuples du Congo, lEtat ne peut que constater cette nationalité congolaise dorigine[viii]. Cest un peu dans ce sens quil faille appréhender la formulation retenue par le constituant et le législateur suivant laquelle les individus appartenant aux ethnies dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo à lindépendance ont la nationalité congolaise dorigine. En réalité, dans la cosmogonie bantoue[ix], «par le sang ou tout au moins psychologiquement, lon ne cesse dappartenir à son Etat dorigine dans lequel se trouve le plus souvent la grande famille»[x]. Donc, les vivant et les morts demeurent membres de la tribu, de lethnie quelle que soit, par ailleurs, leur lieu de résidence et leur statut social[xi].
Mais avant de passer à une telle réforme et quun tel entendement ne fasse autorité, linterprétation du principe dunicité et dexclusivité sapplique à ce jour indistinctement à la nationalité congolaise dorigine et à celle dacquisition, parce quil faut à tout prix mettre fin à la fracture sociale créée par la question de la nationalité[xii].
La Constitution et la loi électorale retiennent la nationalité congolaise comme la première condition déligibilité[xiii] et ce, à tous les niveaux de scrutins. Pour le prétendant à un poste électif, labsence de la nationalité congolaise appelle lirrecevabilité de la candidature. Et si par inattention ou par fraude, une telle candidature arrivait tout de même à être retenue par ladministration électorale, et que le candidat concerné était élu, le mandat obtenu sera perdu sagissant des élections législatives nationales et sénatoriales (article 110 alinéa 4 de la Constitution). Cette disposition sapplique mutatis mutandis aux assemblées provinciales et à leurs membres.
Plusieurs dossiers ont été suscités depuis lentrée en vigueur de la loi du 12 novembre 2004 et de la Constitution du 18 février 2006, sur base de laquelle les premières élections nationales et provinciales pluralistes étaient organisées en 2006/2007. Mais lattitude des autorités politiques, administratives et juridictionnelles quant aux accusations de «double nationalité» témoigne dun laxisme, dune comédie, et fait penser à une hypocrisie criminelle. La distanciation opérée est donc trop perceptible par rapport à lidéal de bâtir un Etat de droit.
Laxisme et hypocrisie criminelle entretenus sur les nombreuses affaires de «double nationalité»
Ainsi que nous lavons précédemment relevé, la «double nationalité» nest quun abus de langage en droit congolais. Les individus possédant une autre nationalité en plus de celle congolaise sont simplement considérés comme étrangers vis-à-vis de la RDC. Plusieurs personnes se sont retrouvées et se retrouvent encore dans une telle situation, aux conséquences juridiques fâcheuses. Mais comment peut-on comprendre le laxisme avec lequel les autorités publiques congolaises ont pu gérer la question de la «double nationalité» supposée ou réelle de certains élus ou de certains hauts responsables de la République? Quil sagisse de lactualité la plus récente (le cas de Moïse Katumbi ou de Samy Badibanga, Premier ministre honoraire) ou encore de laffaire des parlementaires dénoncés en 2007 comme possédant une «double nationalité», aucune attitude privilégiant lintérêt supérieur de la nation et visant à faire triompher la loi, na été observée. Une information judiciaire à peine ouverte, sous une pression partisane croissante, par le Procureur général de la République pour le cas Katumbi témoigne justement de la démission de lEtat.
Par solidarité parlementaire, un moratoire était accordé aux individus ayant perdu la nationalité congolaise, et qui étaient devenus parlementaires à lissue des élections législatives, en vue de régulariser leur situation, cest-à-dire en optant pour lune des deux nationalités, avec cette conséquence que sils optaient pour la nationalité étrangère, ils allaient doffice perdre leur mandat. Une réaction spectaculaire des représentants du peuple, dautant plus quune telle renonciation aurait dû être préalable à la recevabilité de leurs candidatures aux élections !!! LAdministration électorale sen trouve, par-là, salement mêlée pour avoir validé la candidature des étrangers, la nationalité congolaise étant la première des conditions de recevabilité dune candidature. Mais dès lors que la CEI les avait déclarées recevables, il appartenait désormais au Président de lAssemblée nationale ou du Sénat selon le cas de saisir la Cour suprême de justice, faisant alors office de la Cour constitutionnelle, en vertu de larticle 110 alinéa 4 de la Constitution du 18 février 2006 qui prévoit que toute cause dinéligibilité constatée ultérieurement par lautorité judiciaire compétente entraine la perte du mandat du député ou du sénateur.
Récemment, Samy Badibanga nommé Premier ministre le 17 novembre 2016 sur la base de lAccord politique du 18 octobre 2016, a été immédiatement dénoncé comme possédant la nationalité belge. Lon aurait finalement appris de la presse que lintéressé a recouvré la nationalité congolaise le 24 novembre 2016[xiv], soit au septième jour après sa nomination. Comment peut-on tolérer une telle légèreté dans la sélection de hautes autorités de lEtat? Samy Badibanga est donc lun des députés élus alors quils avaient perdu la nationalité congolaise et qui avaient bénéficié du moratoire en 2007, lequel na jamais été levé jusquà ce jour. Et même si la renonciation à la nationalité belge était antérieure à son élévation au poste de Premier ministre, le Président de la République pouvait-il nommer un tel candidat qui, depuis des années nétait plus spirituellement lié à la nation congolaise?
Moïse Katumbi est celui qui est actuellement dans lœil du cyclone, dénoncé ou mieux accusé de posséder une «double nationalité» par un officiel : le ministre de la justice. Mais, à regarder de près, laffaire semble relever plus dun calcul politicien visant à lui barrer la route quant à ses intentions de briguer la magistrature suprême. En effet, depuis quil évoquait la métaphore du troisième faux penalty en décembre 2014, quil renonçait au PPRD et quil exposait ses ambitions de postuler à lélection présidentielle, sous les auspices du G7, sans ignorer ses accointances avec le Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement, lhomme est dans la tourmente. Dabord, il est accusé datteinte à la sûreté de lEtat et dentretenir de centaines de mercenaires étrangers. Dans le cadre de cette affaire, à peine son instruction avait commencé quil faisait lobjet dune autre accusation pour faux et usage de faux dans une affaire de «spoliation immobilière». Il sera, dans cette dernière affaire, condamné en première instance par défaut à trois ans de servitude pénale principale en juin 2016, alors quil avait obtenu du Procureur général de la République, au mois de mai 2016, lautorisation de sortie du territoire national pour des raisons de santé. La juge Chantal Ramazani Wazuri ayant siégé dans cette affaire a dénoncé les circonstances lugubres dans lesquelles le procès était conduit.
Moïse Katumbi, qui nest jamais rentré au pays depuis mai 2016 à cause de tous ces ennuis judiciaires, est actuellement accusé de posséder une «double nationalité», et pourtant proscrite par la législation congolaise. Et comme pour être plus explicites, cette fois-ci, ses «procureurs» déclarent quil sagit-là de la cause qui pourrait lempêcher de briguer la magistrature suprême.
Pour ne pas divaguer dans ces considérations factuelles, notre grille de lecture de la question est quà létat actuel des choses, la dénonciation ou laccusation de détenir une «double nationalité» semble plus relever dune farce, dune comédie, pour des fins essentiellement électoralistes. A moins quune telle accusation vienne dautres adversaires politiques de Moïse Katumbi, mais quelle vienne de la majorité présidentielle ou des personnes occupant des fonctions officielles au sein de lEtat est difficile à digérer. Celles-ci ne sauraient agir ainsi sans fatalement tomber dans leur propre piège. Il sagit, juridiquement sentend, dun acte de trahison. Ainsi, avant de soccuper de toutes les autres personnes qui se trouveraient dans la situation de «double nationalité» ou qui auraient «usurpé» la nationalité congolaise, les autorités qui les ont soutenues, défendues, favorisées ou désignées aux postes de responsabilités ou qui auront validé leurs candidatures aux élections, devraient être tenues pour coupables de (haute) trahison contre la Nation, en vertu notamment des articles 182, 184 et 220 du Code pénal congolais. Cest de cette manière quil faille régulariser la situation, désormais que le règne de la loi doit simposer au détriment des humeurs et des états dâme.
Conclusion : faire triompher la loi au-dessus des intérêts partisans
La question de la nationalité est, certes, un enjeu de cœur et de raison face aux défis de la mondialisation[xv]. Mais le reproche souvent formulé au juriste est dêtre esclave du texte. Il ne saurait en être autrement car étant une science normative, le droit vise ce qui doit être. Et ce qui doit être est constitué des règles préétablies, de telle sorte quune disposition légale, dès lors quelle nest pas encore abrogée, participe du droit positif et ne saurait souffrir daucune dérogation, notamment lorsquil sagit dune matière dordre public, le cas de la nationalité ici. En vertu du droit international, chaque Etat est libre de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux.
Un important plaidoyer est fait, notamment par la diaspora congolaise, pour louverture de la nationalité congolaise, et donc pour instituer la «double nationalité». Des arguments juridiques et politiques, paraissant à première vue pertinents, ont été avancés et soutenus[xvi]. Toutefois, ces réflexions sinscrivent pour la plupart dans une approche prospective et relèvent de la futurologie.
A létat actuel du droit congolais, tous les prétendants aux postes électoraux ou ceux qui sont aux affaires et qui se retrouvent dans cette situation de «double nationalité», devraient être tenus pour des étrangers, et partant, assister impuissants à leur inéligibilité, à la perte de leurs mandats ou de leurs fonctions officielles. Et il leur appartiendrait, si les raisons pour lesquelles ils avaient souscrit à la nationalité étrangère ont pris fin, dy renoncer et de recouvrer celle congolaise conformément à la procédure établie à cet effet (articles 32 et 34 de la loi sur la nationalité). Certes, la «double nationalité» ne demeure pas ignorée du législateur congolais qui y a déjà fait mention dans lexposé des motifs de la loi du 12 novembre 2004. Cependant, étant une question fondamentale liée à la souveraineté de lEtat, elle navait pas pu être examinée par les parlementaires de lépoque pour défaut de légitimité. Cest donc une question qui relèverait du peuple souverain. Ainsi, à la suite de Fweley Diangitukwa[xvii], lon ne saurait poser simultanément, dans un pays en faillite avec une administration démissionnaire, la question de la nationalité et celle de la «double nationalité». Il apparait préalable daplanir toutes les incertitudes sur le statut de congolais par un recensement administratif de la population, en tant quexigence fondamentale de gestion étatique, pour produire des données démographiques fiables. Une telle opération qui permette de distinguer les congolais de non congolais, devrait, le moment venu, précéder tout débat national sur la «double nationalité». Vouloir à tout prix le poser sans ce préalable-là comporte un énorme prix à payer pour la Nation : «qui sème le vent récolte la tempête !».
Roger Thamba
Apprenant au Diplôme détudes supérieures en Droit public
Université de Kinshasa
Chercheur à lIDGPA
rthambamich@gmail.com
[i]Voir Liffram, O., « RDC : Moise Katumbi a bel et bien eu la nationalité italienne pendant 17 ans », http://www.jeuneafrique.com, consulté le 23 mars 2018.
[ii] Telle est la formule retenue à larticle 6 de la loi du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise.
[iii]Larticle 6 de la Constitution du 1er août 1964 commençait en ces termes : « il existe une seule nationalité congolaise…. ».
[iv]Mwayila Tshiyembe, « La nationalité congolaise dorigine et la question de la double nationalité », http://www.congoforum.be, consulté le 28 juin 2017.
[v]Idem.
[vi]Ibidem.
[vii]Ibidem.
[viii]Ibidem
[ix]Ibidem.
[x]Yatala Nsomwe Ntambwe, C., « De lunité et lexclusivité à la reconnaissance de la double nationalité »,https://www.droitcongolais.info, consulté le 26 mars 2018
[xi]Mwayila Tshiyembe, « La nationalité congolaise … op.cit.
[xii]Yatala Nsomwe Ntambwe, C., « De lunité et…op.cit.
[xiii]Lire larticle 9 de la Loi n°15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la loi n°06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n°11/003 du 25 juin 2011.
[xiv]Voir par exemple Congo Nouveau, « Accusé de double nationalité : et si Moise Katumbi agissait comme Samy Badibanga ? », http://congonouveau.org, consulté le 29 juin 2017.
[xv]Mwayila Tshiyembe, « La nationalité congolaise…op.cit.
[xvi]Lire notamment Mwayila Tshiyembe, « La nationalité congolaise…op.cit. ; « Droit de vote, double nationalité et contribution économique des congolais de létranger à la reconstruction de la RDC »,http://www.congoforum.be, consulté le 28 juin 2017 ; Yatala Nsomwe Ntambwe C., « De lunité et…op.cit.; Le Potentiel, « Une pétition réclame la « double nationalité en RDC », http://lepotentielonline.com, consulté le 29 juin 2017.
[xvii]Lire Fweley Diangitukwa, « Problématique de la nationalité en RD Congo », http://fweley.wordpress.com, consulté le 29 juin 2017.