Sida, histoire dun virus centenaire
Caché
dans les forêts africaines, le virus du sida est passé à 13 reprises du
singe à l’homme. Mais c’est le Kinshasa du début du XXe siècle qui l’a
fait devenir la pandémie que l’on connaît.
L’histoire du sida, qui a fait 36 millions de morts sur ces quatre
décennies, ne commence pas en 1981, lorsque les cinq premiers cas sont
officiellement décelés à Los Angeles (la maladie n’a pas encore de nom,
les médecins remarquent juste que ces jeunes hommes homosexuels,
consommateurs de drogue, sont tous atteints d’une pneumonie anormalement
sévère) mais il y a au moins un siècle, dans les forêts d’Afrique
centrale. Entre-temps, c’est une “épidémie invisible” qui s’est
propagée.
Le point zéro de cette épidémie se trouve sans doute dans la jungle
de la région de la Lobéké, à l’extrême sud-est du Cameroun. C’est là que
les scientifiques ont déterminé le lieu originel de la première
contamination entre le singe – un chimpanzé – et l’homme, due
vraisemblablement à la chasse et la consommation de cette viande de
chimpanzé, mais parfois aussi une simple blessure. Nous sommes alors
autour de l’année 1900. A peu près 20 ans plus tard, un commerçant
bantou infecté par ce virus voyage le long de 700 km de rivière, du
Cameroun, jusqu’à ce qui s’appelle alors Léopoldville, actuellement
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. C’est de là
que partira la pandémie qui infectera 75 millions de personnes dans le
monde.
Du singe à l’homme
Selon les scientifiques belges, français et britanniques qui ont
étudié le chemin du virus grâce à des données génétiques en 2014,
celui-ci a bénéficié d’une brève “fenêtre d’opportunité”. Car les
recherches ont démontré qu’à 13 reprises, un virus de
l’immuno-déficience simienne a “sauté” des singes, chimpanzés ou
gorilles, vers l’homme. Mais un seul, celui connu comme le VIH du groupe
M (pour Majeur) s’est propagé à grande distance pour donner lieu à une
épidémie, celle que l’on connaît actuellement. Les autres groupes O, N,
P, sont restés largement confinés au Cameroun et aux pays avoisinants.
Alors qu’est-ce qui a donné l’avantage au virus M ? Pour le préciser,
il faut se replonger dans le Kinshasa des années 1920-1950. En pleine
urbanisation et essor industriel et commercial, elle accueille des
milliers de migrants venus des campagnes. Et des prostituées, les
“femmes libres”. Le développement du chemin de fer, arrivé en 1898 à
Léopoldville, joue un rôle clé pour l’essor de la ville et de la
maladie. Kinshasa, au niveau ferroviaire, une des villes les mieux
desservies de l’Afrique centrale, a dû jouer le rôle de plaque tournante
dans l’épidémie. A l’intérieur du Congo, la plupart des voyages se font
alors en train. Le réseau ferroviaire – à présent en déliquescence –
était utilisé par 300 000 personnes par an en 1922, et par plus d’un
million de voyageurs en 1948. Les scientifiques ont pu déterminer, grâce
à leurs analyses génétiques, que le virus du groupe M a d’abord atteint
les trois grandes villes peuplées les mieux connectées à Kinshasa :
Brazzaville, Lubumbashi (en 1937) et Mbuji-Mayi (en 1939). Lubumbashi
était une cité minière et la deuxième plus grande du Congo, Mbuji-Mayi
la plus grande productrice de diamants industriels de la planète.
Le rôle de la décolonisation
Mbuji-Mayi, Lubumbashi et Kisangani (un peu plus tard) ont eux servi
de foyers secondaires d’infection dans ces régions dotées de bons
réseaux de communication avec des pays du sud et de l’est de l’Afrique.
Le virus a pu aussi se propager à l’aide du transport fluvial. Et
peut-être aussi se transmettre via des seringues mal désinfectées,
utilisée par la médecine coloniale…
A partir des années 60, le rythme de transmission du virus du groupe M
à Kinshasa devient nettement plus élevé que le groupe 0, comprenant les
autres variantes du virus du sida. Les chercheurs forment l’hypothèse
que cette “accélération” est dû aux changements dans la société après
l’indépendance. Notamment des changements dans les attitudes sociales et
chez les travailleurs du sexe – menant à davantage de clients – ont
ainsi pu faire flamber l’épidémie, et faire disséminer le virus à partir
de petits groupes de personnes séropositives pour infecter des
populations plus étendues.
Et puis, dans les années 60, des milliers de jeunes coopérants
haïtiens arrivèrent en République démocratique du Congo pour remplacer
les fonctionnaires coloniaux limogés par le nouveau pouvoir, avant de
repartir infectés dans leur pays. Les scientifiques pensent en effet que
le VIH est passé par Haïti avant de gagner l’Amérique et l’Europe. Les
chercheurs, en 2014, ont montré qu’un sous-type du groupe M , apparu à
Kinshasa en 1944, est responsable de la plupart des infections en Europe
et aux Etats-Unis. C’est à Haïti, lieu de tourisme sexuel, que de
nombreux gays occidentaux, qui s’y rendaient dans les années 70, ont été
contaminés. En outre, les Etats-Unis importaient alors des milliers de
litres de sang, chaque mois, à partir de donneurs haïtiens. Du sang
contaminé…