LIBÉRALISATION AGRICOLE VERSUS SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE: LE DÉVELOPPEMENT EST KO À L’OMC (CNCD)

 
L’agriculture au coeur de l’ouverture des marchés

Pour les pays en développement et les pays les moins avancés (les 49 pays les plus pauvres) qui représentent les ¾ des Etats membres de l’OMC, l’enjeu est à lire au regard de leurs besoins propres de développement, y compris en matière de sécurité alimentaire et de développement rural. Nonobstant leurs résistances, et malgré le lancement d’un Agenda de Doha centré sur le Développement, l’Organisation guide une libéralisation totale du commerce agricole avec un seul credo : il y a quelques 300 milliards de dollars à gagner dans une opération qui ne ferait que des gagnants !
Avec l’intégration de l’agriculture à l’OMC, sous couvert de concurrence loyale et de fin du protectionnisme agricole, la libéralisation progressive de l’agriculture mondiale conduit à une suppression graduelle de toutes formes d’aide créant une distorsion au commerce. Pour ce faire, les trois évangiles de l’OMC sont : supprimer les barrières douanières, les subventions aux exportations et les soutiens internes. Aux 149 Etats membres de trouver un consensus multilatéral et de convertir leur marché aux vertus de cette libéralisation du secteur dont ils bénéficieraient tous…

Or, depuis dix ans, contrairement aux attentes, il ne manque pas de perdants, et la crise agricole est multiple : malnutrition de populations, agriculteurs en détresse, chute des prix, diminution de la surface arable face à l’avancée de l’urbanisation, faillite de l’agriculture paysanne contre l’agroalimentaire, production alimentaire suffisante mais incorrectement distribuée pour nourrir le monde entier, réorientation des productions alimentaires (maïs aux Etats-Unis ou canne à sucre au Brésil) vers la production de bioéthanol… Sous le joug de l’ouverture des marchés et du « tout à l’exportation », le monde agricole est au bord du gouffre alimentaire ! Tout profit pour les pays industrialisés et leurs multinationales.

Déséquilibres, dialogue de sourds et blocage

Pour que l’OMC fasse du développement le coeur de son agenda, il est urgent que l’organisation rééquilibre le dossier agricole en faveur des pays pauvres. Comme ligne prioritaire, l’OMC doit se fixer non plus l’accroissement du commerce mondial, mais l’administration de dispositions en faveur du développement des pays pauvres. Le lancement de l’Agenda de Doha pour le Développement apparaît alors comme une fenêtre d’opportunité. En effet, jusqu’à la conférence ministérielle de Seattle (1999) 1, c’était essentiellement les pays industrialisés qui négociaient l’agenda en amont. Le rejet de cette méthode par le reste du monde a conduit à l’échec de Seattle.

Dès lors l’OMC s’est efforcée de renouer avec un nouveau cycle de négociations internationales, davantage ciblé sur les besoins spécifiques des pays pauvres. C’est Doha (2001) qui a sacralisé l’ouverture de négociations orientées nommément vers le développement. A noter que l’Agenda de Doha pour le Développement est, à la fois, une reconnaissance explicite de la vulnérabilité des pays en développement dans le système international actuel et un aveu du besoin de ces pays d’une nécessaire différenciation du commerce international à opérer à leur bénéfice.
Les trois « piliers » de l’Agenda de Doha pour le Développement (biens agricoles, biens non agricoles et services) déterminent les rapports de force entre les Etats membres de l’OMC et leurs stratégies propres et/ou coalisées. A Cancún (2003), les pays pauvres ont conditionné les négociations de l’Agenda de Doha pour le Développement à un accord sur le dossier agricole, ce qui a provoqué l’échec du sommet. Depuis, ces mêmes pays font montre de leur capacité de coalition et de blocage des négociations commerciales, notamment sous l’impulsion de quelques économies émergentes (Brésil, Inde..) qui jouent le rôle important de porte-étendard des requêtes.

En raison notamment de l’attitude commune sur le pilier agricole du G110 2, Hong Kong (2005) s’est terminé sur une déclaration finale… minimaliste. Ouf l’instrument est sauf !
mais que reste-t-il de l’esprit de Doha ? Comme la question agricole devient progressivement le préalable incontournable avant toute perspective de négociations sur les autres dossiers, Doha devient en quelque sorte un agenda pour l’agriculture.
Mais faute de convergences, l’échec de l’Agenda de Doha pour le Développement ou du moins sa
« congélation », pressentie depuis longtemps, a été consommé en juillet 2006 : butant frontalement une nouvelle fois sur les subsides agricoles, les négociations de l’Agenda de Doha sont reportées sine die. Les échecs répétés de l’OMC et de l’Agenda de Doha pour le Développement illustrent une tendance forte : tension entre multilatéralisme commercial et replis nationaux, voire protectionnistes, dans un climat mondial incertain. Ces échecs reflètent les positions inconciliables des différents acteurs : les pays en développement qui veulent un accès aux marchés des pays industrialisés, les Etats-Unis et l’Union européenne qui se rejettent la responsabilité du blocage et les pays les moins avancés qui réclament un juste prix pour leurs matières premières agricoles.

Alors que certains considèrent qu’il n’y a que des perdants dans cette situation de blocage, beaucoup se réjouissent de ce nouveau frein dans le désarmement douanier, voire considèrent que c’est une meilleure issue, une quasi victoire pour les pays pauvres. Mais en fait, c’est surtout un nouveau coin enfoncé dans le multilatéralisme commercial et une aubaine pour les grandes puissances commerciales qui ouvre la voie à de nouveaux et nombreux accords bilatéraux… où les rapports de forces s’exercent différemment et plus encore en défaveur des pays pauvres.
C’est pas moi , c’est l’autre Au-delà des contingences de l’Agenda de Doha pour le Développement, il y a lieu de rappeler que les pays pauvres n’ont jamais voulu l’ouverture de leurs marchés agricoles, que malgré l’incorporation progressive, presque naturelle, d’une approche « développement » dans les négociations multilatérales, l’Agenda de Doha pour le Développement reste conduit par les plus grandes puissances économiques, et que les négociations commerciales ne peuvent donc être qu’imposées, une fois encore, aux pays pauvres.
Dès lors, ces derniers sont « pris au piège » d’un système dont ils forment une périphérie subordonnée à l’agenda des pays industrialisés. Alors, que faire ? Malgré les défaillances et résistances de l’OMC, l’institution demeure l’enceinte dont il faut faire partie, le meilleur moyen de renforcer le commerce mondial en le rendant plus équitable, et la seule institution, à travers l’Organisme de Règlement des Différents, à pouvoir trancher les conflits commerciaux.
Le problème aujourd’hui n’est pas qu’une institution internationale contraignante soit chargée de réguler les échanges commerciaux, mais bien qu’elle fasse davantage le lit d’une organisation commerciale du monde que celui d’une organisation mondiale du commerce.
Rappelons toutefois que, comme l’OMC est une « memberdriven organization », elle n’échappe jamais à l’autorité de ses Etats membres – tout au moins les plus puissants. Ce sont ainsi les stratégies nationales et/ou régionales de négociation qui dessinent la physionomie de l’Organisation et non l’inverse.
Questionnons aussi le dogme de l’ouverture du marché planétaire : l’OMC ne profite-t-elle pas par nature aux Etats membres puissants et développés au détriment des plus faibles ?
Certes il a été introduit le principe de Traitement Spécial et Différencié pour permettre des exemptions pour les plus faibles contre le dumping et soutenir les producteurs locaux et les industries naissantes du Sud.
Mais ce principe connaît de nombreux contournements : dans le secteur agricole, ce sont les pays industrialisés qui protègent et subventionnent leur agriculture, alors que les pays pauvres se voient refuser de telles mesures.
Critiquons enfin : dans un système multilatéral contraignant, où la priorité reste le profit économique, les acteurs commerciaux prospectent les segments rentables qui répondent à des demandes solvables… Il n’est donc pas étonnant de voir que les besoins importants visant des populations insolvables restent sans réponse par les seuls mécanismes du marché, ni que les pays pauvres ne soient jamais au coeur de l’Agenda de l’OMC. Ce qui est compréhensible dans une logique économique est insupportable en éthique politique.

Changer de cap

Plutôt que d’effacer l’OMC de l’architecture internationale, le défi est clairement de faire en sorte que l’OMC change de cap !
Un multilatéralisme commercial équitable sera à ce prix ou ne sera pas. Cela requiert une volonté politique : mettre les pays en développement et les pays les moins avancés au coeur d’un agenda auquel ils participent pleinement et centralement.
En ce qui concerne les négociations agricoles, la position commune du G110 – réaffirmée le 01/07/06 – donne le ton et précise des indications intéressantes pour recentrer tout agenda de l’OMC sur le développement : développement rural durable, droit de sortir de l’obsession exportatrice de la production mono-agricole, liberté de régulation de leurs marchés par des soutiens aux prix, par la gestion de l’offre, par des réductions des importations, établissement d’une échéance pour la fin totale des subsides à l’exportation, contingentement de toute aide extérieure par rapport au maintien de prix rémunérateurs et à la durabilité des politiques agricoles… Défendre le droit au développement pour les pays pauvres passe aussi par la promotion du principe de souveraineté alimentaire, à savoir le droit pour les populations de déterminer les politiques agricoles et alimentaires qui leur conviennent et le devoir que ces décisions ne soient néfastes à d’autres populations, à d’autres générations. Des solutions existent donc. Reste à modifier les rapports de force en vue de les traduire en décisions politiques !

Alexandre Seron, Chargé de Recherche CNCD-11.11.11

Pour en savoir plus:
http://www.pfsa.be

Personnes de contact:
alexandre.seron@cncd.be

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