Kevin Ibongya E. : “L’écriture c’est mon monde” (CongoForum)
KINSHASA – Kevin Ibongya E. est un natif de Kinshasa,capitale de la RDCongo. Il est détenteur d’une Licence (Bac+5) en économie et développement à L’Université Catholique du Congo(UCC) et également un amoureux des mots. C’est comme ça qu’il se présente quand on lui pose la question car comme le disait Jacques Chirac, parler de lui n’est pas son exercice préféré. CongoRorum est allé à sa rencontre.
Votre deuxième ouvrage s’intitule « Des maux d’amour ». Pourquoi ce titre?
Kevin Ibongya E.: “Au fait, j’ai voulu faire un jeu de mot parce que je pense que l’amour est un sentiment qui se nourrit de mots. Il ne suffit donc pas d’aimer, il faut le prouver par des actes mais aussi par des paroles et des mots. Mais, au-delà de tout, c’est aussi un sentiment qui fait souffrir et occasionne des maux. Un sentiment qui fait couler de larmes, des salives, d’encres et parfois de sang (rires). C’est cette dualité là que j’ai voulu exprimer par ce titre là.”
Qu’est-ce qui vous a motivé à rédiger un deuxième livre ?
Kevin Ibongya E. : “Généralement lorsqu’on se lance dans quelque chose ce n’est pas pour ne s’arrêter qu’à une seule réalisation. Si certains disent jamais deux sans trois, je pense qu’il n’y a jamais un sans deux. J’avais en tête de pouvoir publier encore. C’est quelque chose que j’aime particulièrement faire et c’était quasiment acté qu’un jour où l’autre je publierai de nouveau même si je dois reconnaître que cela a pris plus de temps que prévu (3 ans, ndlr). Tout est parti de la campagne électorale de décembre passé et on sait tous comment elle était après entre Fccistes, Cachistes, Lamukistes et tout ça était très inspirant. La motivation, à proprement parler, est venue suite à la lecture d’un recueil de poésie intitulé « Coeur épelé » ainsi que la lecture des voeux de mariage d’une amie”.
“Après avoir lu ça je me suis donc décidé de m’amuser à écrire sur l’amour. Ce n’était pas aisé, je le reconnais (rires). Parce qu’il fallait écrire en faisant l’effort de ne pas écrire de manière personnelle. Quand on sait qu’on a tous eu des maux, il fallait éviter au maximum qu’ils transparaissent sur les mots. Je n’ai pas totalement réussi je l’avoue (rires). Il y a eu des jours où l’inspiration faisait défaut et je me plongeais dans la musique. Mais, j’ai quand même pu écrire et à la fin, j’ai fait lire à une amie qui a apprécié et m’a suggéré d’y ajouter quelques illustrations. Et là je me suis dit, pourquoi pas publier ? Parce qu’en realité le projet sur lequel je travaillais n’était pas celui-là. C’est donc comme ça que l’on a atteri à Des Maux d’Amour”.
Pourquoi l’écriture est importante pour vous?
Kevin Ibongya E. : “L’écriture est importante pour moi parce que c’est un moyen d’expression. C’est le moyen avec lequel je me sens le plus à l’aise à vrai dire. C’est mon monde parce qu’à la base ou de nature je suis quelqu’un de très timide et d’introverti. Je suis donc de ceux qui pensent comme Jacques Derrida que ce qu’on ne peut pas dire il ne faut surtout pas le taire mais l’écrire. Écrire est l’une des meilleures choses qui soient et je pense que c’est un exercice que l’on fait tous et que l’on devrait faire de plus en plus car, comme le dit si bien Miguel de Cervantès, la plume est l’interprète de l’âme: ce que l’une pense, l’autre l’exprime. C’est aussi et surtout une manière de laisser une empreinte. Vous savez, nous sommes issus de cultures qui favorisent l’oralité. La tradition orale est très présente dans nous mais elle a le défaut de ne pas toujours rendre de manière fidèle le message et souffre d’un problème de conservation. Le bouche à oreille devrait faire plus de place à l’écriture selon-moi car c’est important. L’histoire écrite par le chasseur vaudra toujours plus que l’histoire contée par les léopards”.
Que pensez-vous quand certaines personnes disent que les congolais n’aiment pas la lecture?
Kevin Ibongya E. : “Je suis assez mitigé sur la question. Il faut avouer qu’il y a une grande part de vérité derrière cette affirmation mais, il n’y a pas toute la vérité. Je ne saurais dire le nombre de fois où il m’a été questionné sur des informations pourtant clairement écrites sur des publications. Mais, pour atténuer cela il faut à mon sens voir également le genre littéraire ou le type d’écriture qui plaît à chacun. Il y a des livres que je ne lirai pas et d’autres, si. Au-delà, je me pose une question également. Vous savez, à Kin il y a de ces personnes dont la seule activité consiste à vendre des livres. On les croise un peu partout. Ils étalent ou se promènent avec bon nombre de livres. Ils ne vivent que de ça. Pourquoi n’arrêtent-ils pas? Puisque nous serions un peuple hostiles aux livres? Si ces gens continuent à le faire ne serait-ce pas parce que d’autre part il y a des acheteurs et lecteurs? Je m’en questionne”.
Êtes-vous également un grand lecteur? Quels sont les livres qui vous ont façonné ? Et qui vous accompagnent actuellement?
Kevin Ibongya E. : “Je ne me revendiquerai pas comme étant un grand lecteur (rires). Je lis mais à ma façon. C’est peut-être pour ça que je me sens plus à l’aise à produire des recueils parce que j’aime faciliter les lecteurs. Leur permettre de pouvoir lire et choisir par où commencer et où s’arrêter. Il m’arrive de lire mais je suis un lecteur un peu paresseux (rires). Plus sérieusement, j’estime que dans un livre tout n’est pas forcément prévu pour moi et de ce fait je ne me sens pas obligé de lire un livre en intégralité. Dès l’instant où j’estime avoir obtenu ce que je devrais obtenir, j’arrête la lecture. En ce qui concerne les livres qui m’ont façonné, il n’y en a pas beaucoup si ce n’est la Bible et pour la petite histoire mon livre préféré dans la Bible c’est le livre d’Esther. Mais de manière générale j’ai apprécié lire plusieurs livres dont j’ai naturellement tiré certains enseignements. Je pourrais en citer pêle-mele, « Les 5 languages de l’amour » de Gary Chapman, » 48 lois du pouvoir » de Robert Green, » Le manuscrit retrouvé » de Paolo Coelho, » L’amour dure 3 ans » de Frédéric Beigbeder dont j’apprécie fortement le style et puis il y a tant d’autres dont je ne me rappelle pas sur le moment (rires).
Dans votre bibliothèque, on trouve quels genres d’auteurs? Pouvez-vous nous parler brièvement d’eux?
Kevin Ibongya E. : “On y trouve de tout. Plusieurs genres. Mais ces derniers jours je suis en pince pour les auteurs congolais. J’ai » Les femmes de Pakadjuma » d’Ange Kasongo qui relate la quête d’une jeune fille dans le quartier de son enfance, » Coeur épelé » de Tata Nlongi Biatitudes, un recueil de poésie, » Une envie de Kinshasa » de Nzau Lembe, des nouvelles fantastiques sur Kinshasa que je recommande à tous. J’ai également » Un croco à luozi » du non moins célèbre Zamenga Batukezanga. Et je devrais me procurer prochainement » Une vie apres le Styx » d’Eric Ntumba, ensuite » Inspirations » et » Révélations » de Pat Le Gourou, un brillant poète. Mais je ne lis pas que des congolais. Je viens de lire le dernier Nicolas Sarkozy, » Passion » et m’apprête à lire » Nos étoiles contraires » de John Green.
Être écrivain, pour vous, c’est plus un métier ou une passion ? Expliquez?
Kevin Ibongya E. : “Sincèrement, je ne sais même pas si je suis écrivain (rires). Pour moi, je m’amuse. C’est une passion que d’écrire et qui dit métier dit en vivre. Il me serait impossible pour le moment d’en vivre. J’aime écrire sous toutes formes. Ça sort comme ça sort et surtout, comme ça vient. C’est une forme d’obsession textuelle”.
Où trouvez-vous votre inspiration ? Avez-vous d’autres passions que l’écriture ?
Kevin Ibongya E. : “Étant une personne introvertie, j’observe énormément. Je m’inspire quasiment de tout. De la rue, du motard qui roule à vive allure. De la plante qui renaît avec la saison de pluie. De nos politiques pas toujours corrects et parfois adeptes du théâtre. Parfois de mes propres expériences heureuses comme douloureuses mais aussi de celles des personnes qui m’environnent. J’observe beaucoup”.
Quand écrivez-vous ? Avez-vous un « rituel d’écriture », des horaires ?
Kevin Ibongya E. : “Non, pas d’horaires ni rituels. Tout se fait vraiment de manière aléatoire parfois j’écoute de la musique et parfois non. Chaque fois que j’ai voulu organiser ça a été un fiasco. Je me rappelle d’un jour où j’ai voulu organiser tout ça. J’ai pris mon ordinateur portable, mon bloc note, des stylos, préparé le dictionnaire électronique et le correcteur plus une canette de boisson énergisante et 5h après, la page word était toujours toute blanche peut-être même plus blanche qu’avant. (rires) J’essaie juste le plus possible de me mettre dans la peau du lecteur. Certains apprécient, tant mieux. Et d’autres non, tant pis”.
Êtes-vous sensible à la critique littéraire ? Que pensez-vous du traitement qu’elle vous réserve généralement ?
Kevin Ibongya E. : “Lorsqu’on crée, on s’attend forcément à la critique. C’est vraiment le moment le plus stressant. Du moins pour moi parce que ce que vous avez écrit et apprécié seul, devra faire le teste devant un public. Mais en même temps je pars du postulat que je ne peux pas faire unanimité et donc, il y aura forcément des critiques négatives. Du moment qu’elles ne sont pas empreintes de méchanceté on encaisse. J’ai reçu une critique très acerbe de la part d’une dame concernant cet ouvrage. Je l’ai pris sportivement. On avance. Mais j’ai aussi reçu des retours plutôt positifs. C’est encourageant”.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à nos lecteurs rêvant de devenir écrivain ?
Kevin Ibongya E. : “Un seul, écrivez ! (rires) Plus sérieusement je dirais qu’il faut écrire comme vous le sentez. Sans chercher à respecter quoi que ce soit. Aussi, faire un effort de lire ceux qui écrivent le genre que vous aimeriez publier. Cotoyez ceux qui sont déjà dans cet univers là, ça peut toujours aider mais tout en gardant votre authenticité. Chacun a sa particularité. Donc Voilà.”
Nous vous remercions pour votre disponibilité.
Kevin Ibongya E.: “C’est moi qui vous remercie”.
Congoforum – Glodie Mungaba, 30.09.19
Image – source: CongoForum