Message des évêques catholiques : « Déchirez votre cœur et non vos vêtements. Le peuple attend toujours » (CENCO)

KINSHASA – Réuni du 22 au 25 février 2021 à Kinshasa, le Comité Permanent de la CENCO a produit un message intitulé « Déchirez votre cœur et non vos vêtements.  (Joël 2,13). Le Peuple attend toujours ». Le Secrétaire général de la CENCO, l’Abbé Donatien Nshole, a délivré ce message à la presse le lundi 1er mars 2021 au centre interdiocésain, à Kinshasa. Voici ce message :

MESSAGE DU COMITE PERMANENT DES EVEQUES MEMBRES DE LA CENCO

Le Peuple attend toujours

Nous, Cardinal, Archevêques et Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo(CENCO), réunis en Comité Permanent, à Kinshasa, du 22 au 25 février 2021, fidèles à notre mission prophétique, en ce temps de carême, temps de conversion, nous sommes penchés entre autres sur la situation socio-politique, sécuritaire et humanitaire de notre pays.

Vivons pleinement ce temps de grâce, prenant appui sur une foi agissante, armés d’une joyeuse espérance et animés d’une charité inventive. En effet, « vivre un carême de charité, c’est prendre soin de ceux qui se trouvent dans des conditions de souffrance, de solitude ou d’angoisse… » (Message du Saint Père, Pape François, pour le carême 2021).

Nous saisissons cette occasion pour féliciter Son Excellence Monsieur Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République, Chef de l’Etat, pour sa prise de fonction à la tête de l’Union Africaine en cette année 2021. Nous le rassurons de nos prières pour un mandat fructueux avec des retombées sur le développement et la paix en Afrique.

Situation sociale et politique

Nous avons assisté à la fin de la coalition dont nous avons dénoncé à maintes reprises l’inefficacité. Ce qui a donné lieu à l’avènement de l’Union Sacrée de la Nation et au changement des animateurs de grandes institutions.

Cependant, ces changements ont été opérés dans une atmosphère de tensions et de manière à se poser des questions sur la moralité de ces actes.

Tout en félicitant les nouveaux animateurs des Institutions de la République, nous les invitons à se mettre au travail conformément aux dispositions légales en privilégiant le bien-être de la population et la cohésion nationale.

L’adhésion massive à l’Union Sacrée de la Nation ne doit pas être motivée seulement par le positionnement politique. Il ne suffit pas de changer simplement de camps politiques (vêtements), faut-il encore rompre avec les antivaleurs (cf. Joël 2, 13) et s’engager à travailler (cœur).

Raison pour laquelle, seuls les hommes et les femmes qui ont fait preuve d’une bonne éthique dans leur passé et qui ont une expérience dans le domaine requis, soucieux du bien-être de la population, méritent d’être cooptés pour gérer les Institutions de l’Etat et les entreprises publiques. Le Peuple sera frustré de voir revenir au pouvoir ceux qui ont participé au pillage, à l’insécurité, à la violation des droits humains, et ne font aucun signe de repentance et de conversion.

Nous sommes convaincus que le bien-être du Peuple congolais passera nécessairement par la consolidation de la démocratie. Ainsi, les reformes électorales et celles de la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI en vue d’améliorer la gouvernance électorale devraient figurer parmi les priorités du prochain Gouvernement.

Situation sociale et économique

A l’instar de tous les pays du monde, la RDC subit les effets néfastes de la covid-19. Tout en rendant grâce à Dieu de nous avoir épargnés du pire redouté à cause de la précarité de notre système sanitaire, nous sommes préoccupés par la négation de la réalité par une bonne partie de nos compatriotes. Ce qui justifie le relâchement presque général de l’observation des mesures barrières vivement recommandées par les autorités sanitaires.

Nous saluons avec beaucoup de joie la réouverture des écoles et des universités à partir de ce 22 février. Cependant, il importe que les enseignants soient motivés pour aider les élèves et les étudiants à rattraper le retard dû à la longue interruption des cours. La modicité des salaires et de frais de fonctionnement, l’impayement des Nouvelles Unités (NU) et des Non Payés (NP), l’insuffisance et le délabrement des infrastructures scolaires, risquent de porter gravement atteinte à la qualité de l’enseignement.

Par ailleurs, l’Eglise Catholique qui a assuré la mise en pratique de la gratuité dans 98,8% de ses écoles, reste disponible à collaborer avec l’Etat congolais pour une gestion saine de l’enseignement et pour la consolidation et la pérennisation de la gratuité de l’enseignement de base.

Sur le plan économique, tout en reconnaissant les efforts faits par les gouvernants pour stabiliser le franc congolais, nous sommes préoccupés par le fait que la situation de la population congolaise ne s’améliore pas du tout au quotidien.

Cette situation justifiée aujourd’hui en partie par la crise de la covid-19 est un défi majeur pour le gouvernement attendu à qui nous proposons, comme antidote : la rigueur dans les dépenses publiques, l’équilibre entre les dépenses relatives au fonctionnement des institutions et celles destinées aux programmes du développement du pays.

Le Gouvernement ne devrait-il pas doter le pays d’une politique de décentralisation économique effective et de développement régional qui transforme les provinces en véritables centres de production, de distribution, d’échanges et de consommation des biens et de services ? Il est surprenant que l’on se soit préoccupé de la subdivision des provinces, sans s’investir réellement pour leur intégration par des routes adéquates et d’autres voies de communication.

Aussi, le plan de relance économique ne devrait-il pas s’accompagner de la remise sur pied des entreprises de l’Etat par l’assainissement de leur gestion et le renforcement de leur capital?

De même, la revanche du sol sur le sous-sol devrait s’accompagner de projets concrets en faveur de l’agriculture familiale et des projets intégrateurs comme le Service National.

Situation sécuritaire et humanitaire

La situation sécuritaire de notre pays, notamment dans la partie Est, reste délétère et aggravée par la présence récurrente des groupes armés que l’Armée nationale, appuyée par la MONUSCO, n’arrive toujours pas à éradiquer.  Les massacres des populations, les enlèvements et le déplacement des personnes, dans le Nord-Kivu et en Ituri, et récemment l’assassinat ignoble de l’Ambassadeur d’Italie en RD Congo avec son Garde de corps et le Chauffeur, le prouvent à suffisance.

Nous présentons nos condoléances les plus chrétiennes à l’Etat Italien, aux familles biologiques et aux proches des illustres disparus, et recommandons leurs âmes au Seigneur pour le repos éternel.

Mus par notre sollicitude pastorale à l’égard de nos frères et sœurs meurtris par les atrocités récurrentes dans la région de l’Est du pays, nous avons dépêché une mission conjointe d’écoute et de réconfort de l’Association des Conférences Episcopales d’Afrique Centrale (ACEAC) et la CENCO dans les diocèses de Butembo-Béni au Nord Kivu et de Bunia en Ituri. Nous sommes profondément peinés par les informations reçues et l’écart entre les promesses faites et la réalité sur terrain que vivent les populations de ces contrées sinistrées par des groupes armés. Forte de ces informations la CENCO prépare une communication et un plaidoyer conséquents.

Situation de justice et de droits humains.

Dans nos messages antérieurs nous avons salué des avancées en matière de respect de droits humains. Cependant, nous constatons une régression dans ce domaine. Nous déplorons et condamnons les répressions d’activistes des droits humains, les attaques menées contre les civils par des groupes armés ou les forces gouvernementales, l’entrave de la liberté d’expression et de manifestation.

Le souci de la justice qui s’est manifesté au procès sur le programme de 100 jours, ne semble plus continuer sur la même lancée. Il s’est estompé et paraît sélectif. La lutte contre la corruption ne peut être menée à bon port si l’impunité perdure.

Une vraie justice au service du redressement du pays, de la paix et de la réconciliation, ne devrait-elle pas s’étendre, sans distinction aucune, à tous les auteurs de crimes économiques et de violation des droits humains. Nous saisissons cette occasion pour demander que les procès Floribert Chebeya, Rossy Mukendi et compagnons, soient exécutés sans complaisance et que les responsables répondent de leurs actes.

RECOMMANDATIONS

Face à la situation qui prévaut actuellement dans notre pays et soucieux de la consolidation de la démocratie ainsi que de l’amélioration de conditions de vie de la population, nous en appelons :

Au Peuple congolais :

De ne pas tomber dans l’attentisme, mais de s’inscrire dans la dynamique du changement ;

De veiller à défendre à tout prix ses droits fondamentaux ;

De ne pas se comporter en complice des auteurs de violence en cédant aux sentiments tribaux, ethniques et partisans ; mais d’être le prochain sans barrières de tous (cf. Pape François, Fratelli Tutti, n.1) ;

De veiller au strict respect des mesures barrières contre la covid-19 afin d’éviter une catastrophe qui ne serait pas facile à maîtriser.

Au Président de la République, en sa qualité de garant de la Nation :

De veiller toujours davantage à garantir la cohésion nationale et la sécurité sur toute l’étendue du territoire national ;

De tenir compte du profil éthique des membres du prochain Gouvernement et des gestionnaires des entreprises publiques ;

De garantir la moralité dans le respect de la Constitution et des lois de la République;

De veiller à la formation d’un gouvernement efficace.

Au Gouvernement :

De prendre en compte les cris de la population qui croupit dans la misère ;

De s’atteler à combler le fossé créé entre la majorité de la population et une minorité qui a concentré entre ses mains et confisqué les richesses du pays ;

D’inscrire parmi les priorités les réformes électorales et celles de la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI en vue d’améliorer la gouvernance électorale et de consolider la démocratie ;

De tout mettre en œuvre pour gagner le pari de l’organisation des élections crédibles, transparentes et apaisées en 2023 et pas plus tard ;

De régulariser la situation des enseignants, notamment les Nouvelles Unités et les Non Payés afin de consolider et pérenniser la gratuité de l’enseignement de base.

Au Parlement

De consacrer, en priorité, à la session de mars les lois sur les reformes électorales et sur l’organisation de la CENI afin de garantir la tenue des élections dans le respect du délai constitutionnel (2023) et d’éviter tout prétexte pour un glissement quelconque.

De se préoccuper de voter des lois qui concourent à l’amélioration des conditions de vie de la population.

Aux Cours et Tribunaux

De dire le droit, en âme et conscience, sans céder à la pression politique ;

De traiter avec diligence les cas de ceux qui sont dans les prisons, par surcroit surpeuplées, sans être jugés.

A la Communauté internationale :

D’aider les Institutions de la République à faire aboutir les réformes en faveur de la population congolaise pour une préparation adéquate du scrutin de 2023 ;

D’accompagner davantage les organisations de la Société civile dans leur combat pour le respect des droits humains et dans l’éducation civique et électorale de la population.

CONCLUSION

Au terme de ce message, nous invitons les fidèles catholiques et les hommes de bonne volonté à ne pas sombrer dans le découragement et à ne pas tomber dans le fatalisme face aux défis multiples de notre pays, mais à se tourner vers le Seigneur qui dans les moments de tribulations vient à notre secours et nous adresse cette parole : « Confiance, c’est moi n’ayez pas peur » (Mt 14, 27).

Puisse la Très Sainte Vierge Marie, Notre Dame du Congo, intercéder pour nous. Que Dieu nous prenne en grâce et bénisse notre pays (Ps 66).

Kinshasa, le 25 février 2021

LES EVEQUES MEMBRES DU COMITE PERMANENT

Source: CENCO, 01.03.21

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