Le fameux article « 64 » dans la Constitution congolaise (Marcel Yabili)

Cet extrait du livre de Marcel Yabili ( Deux saisons sans la troisième république, Les Impliqués, Paris, 2017) éclaire l’appel à rejeter le processus et le résultat des élections générales en Rd Congo.

La constitution congolaise prescrit que « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution » (article 64).

Ce texte doit être placé dans son contexte légal.

Déjà, l’article 28 qui dit que « Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal. Tout individu, tout agent de l’État est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et des bonnes mœurs ».

Ce type de désobéissance est un droit universel. On le reconnaît aux militaires qui sont supposés obéir au doigt et à l’œil, mais plus aveuglément.

Mais la désobéissance n’est pas un droit absolu. L’article 28 précise que « la preuve de l’illégalité manifeste de l’ordre incombe à la personne qui refuse de l’exécuter ».

Il s’agit d’un moyen de défense devant le tribunal qui voudrait réprimer la désobéissance. Les juristes appellent cela une « cause de justification » ; dans certaines circonstances, on pourrait commettre des infractions ou des crimes, et ne pas être condamné.

C’est le cas de la légitime défense. L’agressé pourrait tuer son agresseur avant qu’il ne lui fasse mal. Même dans ce cas, les juges apprécient si la menace était sérieuse et si la riposte était proportionnée.

On présente l’article 64 comme un droit à l’insurrection. En fait, c’est une « cause de justification », pour le cas où on serait poursuivi pour rébellion.

Mais l’insurrection reste l’ultime recours.

En effet, ce devoir de « faire échec à l’usurpation du pouvoir » oblige à évaluer 1° l’inconstitutionnalité de la prise ou de l’exercice du pouvoir et 2° la nature et le degré de l’insurrection. Autant dire que l’appréciation juridique est nécessaire et sans ressentiments personnels ou d’un groupe d’individus. Mais dans cette matière, c’est la Cour Constitutionnelle qui est compétente pour déclarer valablement l’inconstitutionnalité ; pas un individu ou un groupe de gens.

Sous cet aspect, l’article 64 est une exhortation à utiliser activement tous les moyens autorisés pour défendre l’ordre constitutionnel.

Les institutions sont outillées pour servir de contre-pouvoirs, notamment avec la capacité de poursuivre en justice jusqu’au président de la République.

Les individus disposent des libertés d’expression et de manifestation, de la pétition à l’autorité publique. En dernier recours, la Cour Constitutionnelle est accessible à tout citoyen, et gratuitement ; elle doit se prononcer dans les 30 jours.

L’article 64 confirme que l’État de Droit nécessite une vigilance de tous les instants, l’action diligente et le concours actif de tous. Faute de cela, les dérives sont comme des briques qu’on retire une à une, jusqu’à déconstruire la 3e République.

D’autant que cet état du droit congolais avait existé sous Mobutu.

Marcel Yabili, 29.12.23

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