Partis politiques congolais : coquilles vides électoralistes, par TSHILOMBO MUNYENGAYI

C’est dans cette logique, que le Journal du Citoyen n°78, semaine du 15 au 22 avril 2007, a révélé que, «depuis la fin des élections présidentielles et législatives… la plupart des partis installés au chef lieu de la province Orientale ferment, un à un, leurs portes ». Le Potentiel n°3994 du jeudi 12 avril 2007) ajoute à ce débat une autre preuve, sur l’AMP, en posant la question de savoir si cette plate-forme avait déjà « son avenir derrière elle ». Ce que Forum des As reprend en échos « AMP inaudible».

En réalité, ce sont tous les partis politiques qui sont plongés actuellement dans une léthargie post-électorale. Il y a là une réflexion existentielle à mener sur la réalité ontologique de nos partis politiques, sur leur praxis et leur place dans la cité.

Les lignes qui suivent vont remonter le temps pour établir que, d’une manière récurrente, l’effervescence pré-électorale des partis politiques cède à la morosité post-électorale. Les raisons sont à chercher à l’origine de nos partis peu avant l’indépendance, dans l’absence d’idéologie couplée à leur culture paroissiale.

AVANT L’INDEPENDANCE

La plupart de tares déplorées aujourd’hui dans le chef de nos partis politiques remontent à leur origine. Nés sur le tas, et sur le tard, à la veille de l’indépendance, les partis politiques congolais avaient eu une très brève existence avant de se frotter aux dures réalités de gestion d’un Etat.

Ils seront aussi caractérisés par le clientélisme tribal, par l’impératif des élections doublé de démagogie électoraliste, par une absence criante d’idéologie fondatrice. Tout cela va se traduire très rapidement par des conflits de leadership, et l’éclatement des partis politiques. Toutes choses restant égales par ailleurs, ce tableau descriptif du début de l’expérience de nos partis politiques n’a pas évolué, quarante-sept ans après.

La majorité d’auteurs s’accordent à situer le point de départ des partis politiques congolais aux élections municipales de décembre 1957, quoique aucun parti n’y eût participé comme tel. En effet, le grand vainqueur de ce scrutin à Léopoldville (Kinshasa) sera l’ABAKO (Alliance des Bakongo), qui n’était encore qu’une organisation culturelle. Le tout premier parti politique congolais sera reconnu en décembre 1957.

Ce fut «l’Action socialiste » organisé par quelques intellectuels congolais, encadrés par des Belges du Parti socialiste belge et du syndicat belge FGTB. Ce parti politique, qui deviendra plus tard le « Parti du peuple » avec Cyrille Adoula comme leader, ne connaîtra pas d’impact décisif sur les masses, du fait de ses fortes accointances avec des milieux belges. Toujours, en décembre 1957, va naître à Elisabethville (Lubumbashi) l’«Union congolaise ». Ce parti était créé par le Congolais Kitenge Gabriel et l’avocat belge Antoine Rubbens. Ce parti souffrira ainsi auprès de la population congolaise de ses origines européennes.

L’accélération de la vie politique en 1958 va se manifester, la même année, par la création des partis politiques des Congolais. L’ABAKO qui, depuis sa création en 1949, n’était qu’une association culturelle, devient un parti politique avec comme leaders Joseph Kasa-Vubu, Daniel Kanza, Gaston Diomi. Le Mouvement nationaliste congolais (MNC) est créé en octobre 1958 à Léopoldville par Patrice-Emery Lumumba (familièrement appelé Patel), Joseph Ileo, Christophe Gbenye, Victor Nendaka, Albert Kalonji (le futur Mulopwe du Sud-Kasai). Le CEREA (Centre de regroupement africain) est né en août 1958 à Bukavu par Bisukiro, Anicet Kashamura et Weregemere. Créée en octobre 1958 par Moïse Kapend-Tshombe et Godefroid Munongo (Kifwakiyo), la CONAKAT (Confédération et association katangaises) ne deviendra parti politique qu’en juillet 1959.

Après les émeutes sanglantes du 4 janvier 1959, la Déclaration gouvernementale du 13 janvier, et surtout le discours du Roi Baudouin, où il s’engageait à conduire le Congo à l’indépendance « sans atermoiements funestes, et sans précipitations inconsidérées » vont provoquer, d’après Crawford Young, « la naissance des partis politiques, d’abord au compte-gouttes ; puis au milieu de l’année 1959 ce fut un vrai torrent. On en dénombra plus de cent durant les dix-huit derniers mois du régime colonial, quelques-uns d’entre eux n’ayant du reste connu qu’une existence éphémère ».

Le PSA (Parti socialiste africain) fut créé en avril 1959 par Antoine Gizenga (l’actuel Premier ministre) et Cléophas Kamitatu. La même année, le MNC éclate en deux ailes : le MCN/Lumumba et le MNC/Kalonji en juillet 1959. La BALUBAKAT est créée en novembre 1959 par Jason Sendwe et Ilunga. Durant le même mois, Paul Bolya crée le PNP qui, du fait de son allégeance aux intérêts belges, sera appelé par dérision « pene pene na mundele ». En janvier 1960, avant la Table ronde de Bruxelles, Eugène Ndjoku Eo Baba et Justin-Marie Bomboko créent l’UNIMO (Union Mngo). Après la Table ronde, en mars, Jean Bolikango va créer le PUNA.

CONSEQUENCES FACHEUSES

Le résultat de ces créations au pas de course, sous la pression des nécessités électoralistes, fut une calamité, qui subsiste jusqu’aujourd’hui. Selon Crawford Young, « c’est immédiatement après la Table ronde de Bruxelles, que l’organisation politique se mit en branle à travers tout le pays. Le temps pressait, et l’on employait tous les moyens. En certains endroits, l’intimidation et la violence ; presque partout une démagogie sans limites, des promesses extravagantes, l’appel à la solidarité ethnique. Chaque capitale de province avait son bouquet de partis, qui cherchaient alors à s’étendre dans l’hinterland rural, se cherchant une clientèle électorale parmi les groupes ethniques apparentés aux leaders du parti ».

L’on comprend mieux le drame de ces partis politiques, nouvellement nés, par la précipitation des événements : fin de la Table ronde en février 1960, élections législatives nationales et provinciales en mai 1960, indépendance du Congo le 30 juin 1960.

Ces partis politiques n’ayant pas eu à exercer des responsabilités administratives avant l’indépendance, ils n’auront que deux fonctions principales durant ces quatre mois délicats avant le 30 juin 1960: la vente des cartes de membre et l’établissement des listes électorales pour les élections de mai 1960. La tache ici fut ardue, et va aboutir à des dispersions internes sérieuses ; l’ABAKO se divise, après que Daniel Kanza eut créé son aile ; le PSA se divise en aile Gizenga et aile Kamitatu.

Le CEREA vole en éclats entre ses trois têtes d’affiche. Le MNC l’avait déjà fait en 1959 : «il est difficile de discerner les réels antagonismes idéologiques entre ces fractions ; ces scissions s’expliquent plus par le manque de temps et de moyens adéquats pour sélectionner des leaders ». Plus concrètement, le seul événement important dans l’existence de beaucoup de partis politiques fut la campagne électorale de 1960.

L’importance de la donne tribale sur la scène politique fut telle qu’«il est très symptomatique qu’en Afrique, les seuls partis qui portaient des noms d’ethnies soient les partis congolais : on ne trouve pas autre part des équivalents de l’ABAKO, l’UNIMO et la BALUBAKAT ».

FAIBLESSES APRES L’INDEPENDANCE

La période que nous allons prendre en compte ici se recoupe dans les cinq premières années de l’indépendance, où le pluralisme politique avait permis aux divers partis politiques de s’exprimer, et d’agir. Un certain nombre de facteurs vont jouer négativement sur leur vitalité et efficacité. Ces données explicatives des contre-performances des partis politiques furent « le manque de temps nécessaire pour construire le parti, manque de temps et de technique pour le choix des leaders, subordination des objectifs d’une organisation à long terme à l’impérieuse nécessité de gagner les postes de gestion du pays, fragmentation de beaucoup de partis, leurs liens ethniques, la lourde hypothèque de folles promesses électorales ».

Les divers partis politiques furent vidés de leurs dirigeants alléchés par le grand nombre de postes à pourvoir dans les institutions du pays : 641 sièges des assemblées, 10 ministres et un président par province, au gouvernement central des cabinets ministériels comprenant jusqu’à 42 personnes, 110.000 emplois de hauts fonctionnaires après l’exode des Belges.

Ainsi, par exemple, la délinquance des partis politiques fut telle, qu’à la fin de 1961, le groupe le plus fort politiquement dans la capitale ne fut pas un parti politique, mais une structure informelle : le «Groupe de Binza» composé du chef de l’armée Mobutu, du chef de la sécurité Nendaka, du ministre des Affaires étrangères Bomboko, du gouverneur de la Banque nationale Ndele, du secrétaire permanent du ministère de l’Intérieur Damien Kandolo. Ce groupe avait la mainmise sur les organes clés du gouvernement central ; en plus, ses membres n’avaient aucune identification ethnique.

En 1962, toute activité des partis politiques, en dehors des Assemblées avait cessé : les anciens cadres des partis politiques étaient maintenant les représentants de l’Etat, et se souciaient bien plus de voir rentrer les impôts que des cotisations. Depuis l’indépendance, jusqu’en 1963, les partis n’eurent aucune mission en dehors du Parlement. Les partis étaient dépouillés de leurs cadres et de leur dynamisme ; leurs troupes, mécontentes de désillusions de l’indépendance, ne montraient aucune envie de faire des partis le porte-parole de leurs griefs.

La perspective des élections législatives d’avril 1965 et présidentielles de novembre 1965 va réactiver les partis politiques. De nouveaux vont se créer, à l’instar de la CONACO du Premier ministre Moïse Tshombe, où viendront adhérer les principaux acteurs politiques tels Albert Kalonji Mulopwe, Nendaka, Cléophas Kamitatu, Etienne Tshisekedi, Isaac Kalonji Mutambayi wa Pasteur Kabongo… Cette formidable machine électorale va devenir le plus parti politique congolais en remportant la majorité absolue aux législatives de 1965, avec 122 députés sur 167. Après le coup d’Etat de Mobutu le 24 novembre 1965, les partis politiques furent interdits d’exercice durant plus de deux décennies jusqu’en 1990.

PARTAGE EQUITABLE ET EQUILIBRE

Le discours du président Mobutu le 24 avril 1990 avait réintroduit le multipartisme à trois : MPR, UDPS et FCN, consacré par la loi du 18 juillet 1990. Suite aux fortes pressions des autres partis politiques, cette loi fut modifiée, et complétée par celle du 18 décembre 1990 instituant le multipartisme intégral. Ce dernier contribuera à déséquilibrer à outrance le jeu politique en révélant une classe politique médiocre, dont les acteurs faisaient flèche de tout bois en mangeant à tous les râteliers. Faute d’idéologies, précises, ils se caractérisaient par l’instance et la naïveté, et la recherche inassouvie du pouvoir. Il va en sortir une formule choc de « partage équitable et équilibré du pouvoir ». Déjà la constitution du 9 avril 1994 (ACT) créait deux familles politiques, à laquelle n’appartient pas le chef de l’Etat. Au gouvernement, dès qu’un ministre était d’une famille politique, son vice-ministre devait être de l’autre. Les entreprises publiques furent octroyées aux deux familles politiques. Ce sera la « privatisation de l’Etat », une patrimonisation politicienne de sa gestion par les partis politiques.

Alors qu’ailleurs en Afrique, les conférences nationales marquaient le démarrage du processus démocratique sans partis politiques structurés et organisés, au Zaïre la CNS fut l’aboutissement d’un long processus, qui avait déjà détruit l’essentiel de vieilles structures, et avait permis aux partis politiques d’occuper effectivement le terrain politique.

Au Zaïre, l’objectif des partis n’était plus la démocratisation, mais la conquête et le maintien au pouvoir. Ces partis vont permettre à leurs leaders de faire main basse sur tous les postes de gestion du pays.

Après le multipartisme contrôlé, sous M’zee Kabila, et libéralisé par Joseph Kabila, le Dialogue intercongolais reviendra, par le biais de l’Accord global et inclusif à une autre privatisation de l’Etat entre les parties : ex-gouvernement, MLC, RCD, RCD/KML, RCD/N, Maï-Maï, opposition politique et société civile. Ce fut « le partage des responsabilités ».

LETHARGIE POST-ELECTORALE

Les législatives et les présidentielles de l’année écoulée ont dévoilé des partis politiques actifs, percutants et effectifs. Puis après, plus rien, comme ce fut le cas après les législatives de mai 1960 : « Chassez le naturel, il revient au galop ». Le supplément Citoyen le confirment pour Kisangani, où « depuis la fin des élections présidentielles et législatives… la plupart des partis politiques ferment un à un leurs portes ». La liste de ces partis, établie par ce supplément, contient les partis de l’UN et de l’AMP : ARC, UDEMO, FONUS, RCDN, PDC, UDRC, MLC. Et de conclure que « les membres et militants des partis qui ont été très actifs lors de la période des élections ne sont plus visibles aux sièges de leurs partis, qui n’existent plus ». C’est la même situation que décrit « Le Potentiel » au siège de l’AMP : où « presque pas d’âme qui vive… à part peut-être le piaillement d’oiseaux… il règne un silence de cimetière… même sinistre décor à l’intérieur.

Les bureaux sont presque tous inoccupés. Les mêmes tares des partis politiques à l’époque de l’indépendance n’ont pas été domptés, quarante-sept ans après. Avons-nous réellement des partis politiques.

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