La drépanocytose ou le drame d’une pathologie murée dans le silence

Qu’évoque la drépanocytose, à moins d’en être victime ou affecté ou encore d’évoluer dans le milieu médical ? Depuis près de deux siècles, cette maladie sévit essentiellement en Afrique noire, notamment en RDC où on enregistre jusqu’à 40 % de ‘‘drépanoprévalence’’, si l’on considère en plus, les individus sains susceptibles de transmettre le gène déficient. Les scientifiques y observent une corrélation avec le paludisme, au regard de sa présence sous les tropiques. Chaque année naissent en Afrique 300.000 drépanocytaires dont 50% n’ont aucune chance de fêter leurs cinq ans. Un record qui ne fait pas de cette maladie une priorité comme le VIH/SIDA ou la tuberculose, peut-être parce que la barrière raciale dont elle est caractérisée ne peut toucher les bailleurs de fonds. La drépanocytose reste une maladie orpheline.
  

Les mille et un visages d’une hémoglobinopathie

 
L’anémie falciforme est un trouble génétique héréditaire chronique. Elle induit la formation d’une protéine anormale, l’hémoglobine S qui attaque les globules rouges. Lorsqu’un individu porte un gène sain (A) et un gène malade (S),  il ne présentera aucun signe clinique de la maladie, par contre, il pourra transmettre la déficience génétique à son enfant. Si son conjoint est aussi AS, l’enfant naîtra à 50 pc de chance AS, à 25 pc sain (AA) et 25 pc avec deux gènes malades (SS). C’est la forme dite homozygote qui se révèle symptomatique par des crises douloureuses, des signes généraux d’anémie suivis des complications chroniques (infarctus, insuffisance respiratoire, tête fémorale, ulcération des jambes).

Un supplice d’enfer

La douleur est le fait de l’anémie, qui prive d’oxygène les globules rouges défectueux qui prennent (après 20 jours, contre 120 pour ceux d’un individu normal) la forme de faucille et obstruent les artères. Des crises parfois de niveau trois sur l’échelle de douleur de l’OMS (la morphine s’avère parfois inefficace), surviennent et touchent les os et les organes jusqu’à engendrer, en cas de fréquence rapprochée, un handicap moteur ou sensoriel. Les restrictions dures à vivre ou à accomplir transforment le quotidien en enfer. La souffrance est aussi morale. Les mariages et les emplois font l’objet de sélection. Les regards des autres foudroient plus qu’on peut l’imaginer. Des soucis du physique surgissent à la puberté, et encore plus difficile à vivre, les amis se réfèrent à eux en termes mortifiants (‘akufa lobi’, moribond en lingala). La scolarité est émaillée d’interruptions occasionnant le retard dans le cursus, ce qui leur fait parfois perdre la foi en leur vocation. Beaucoup de parents jettent l’éponge et les jeunes s’en culpabilisent. Ils sont qualifiés de sorciers par des ‘‘serviteurs de Dieu’’, et traînés aux gémonies de la société. L’espérance de vie est très courte et on dénombre des cas des suicides.  Ainsi les médecins préconisent les services de psychologues pour amener les jeunes à la réconciliation avec leurs corps. Il faut cependant signaler la bravoure de certains malades qui vont à l’assaut du double supplice par la foi et l’espoir, en choisissant de souffrir en silence.

Biologie et traitements

La drépanocytose est diagnostiquée à la maturité de l’hémoglobine S dans la cellule (6 à12 mois). Pour déceler les cellules falciformes qui accusent une absence d’HbA, dits drépanocytes, on procède par le frottis sanguin ou par électrophorèse. Les crises violentes désarment parfois les médecins. La prise en charge commence par le patient, conseillent les associations, car beaucoup de drépanocytaires arrêtent de se soigner par lassitude. Certains tradi-praticiens et des marchands de rêves profitent de cette détresse    pour vendre des décoctions et des faux vaccins. Mais l’essentiel du traitement consiste à la prise en charge des symptômes résultant des crises, caractérisée par la transfusion en cas d’anémie. Cependant, en 2001, une équipe internationale coordonnée par Philippe Leboulch du MIT (Cambridge, Massachusetts, EU) et de l’unité INSERM 111 (Hôpital St Louis, Paris), a mis au point une thérapie génique de transfert de gène permettant de corriger un modèle murin humain de la globine âA défectueux. Les résultats ont été jugés encourageants au regard de la stabilité observée du transgène.

Les espoirs sont permis

L’Afrique peut sortir la drépanocytose du ghetto et l’établir priorité de santé publique. Pour cela, Antoinette Sassou et Viviane Wade, premières dames du Congo et du Sénégal, membres du comité de parrainage du Réseau francophone de lutte contre la drépanocytose (RFLD), misent sur le pouvoir de l’information. On compte également Docteur Emile-Derlin Zinsou, ancien Président du Bénin, Edwige Ebakisse et le professeur Gilles Tchernia, respectivement présidente et vice-président du RFLD. On peut d’ores et déjà évoquer la découverte par le médecin béninois Dr Jérôme Fagla Médégan du VK 500, premier remède miracle contre la drépanocytose, reconnu par l’Institut français de la propriété industrielle qu’un laboratoire français a accepté de fabriquer.

En RDC, le Dr Manzombi, personne ressource lui-même, anime comme il peut l’unique petit centre de Yolo-Sud à Kinshasa, et qui reçoit des malades venant même de Congo-Brazzaville et d’Angola. Il mène un plaidoyer pour obtenir des autorités congolaises de relancer le Programme national de lutte contre la drépanocytose (PNLD) toujours au stade embryonnaire depuis 1974, sans bureau ni budget.

Partout en Afrique, des associations sensibilisent et orientent les malades sans un véritable éperon de la part des pouvoirs publics. Objet d’un palmarès inquiétant, la drépanocytose a du mal à quitter officiellement son statut de maladie orpheline. Un autre type de malformation génétique avait sévit dans le pourtour méditerranéen et a été éradiqué par le passé. C’est une piste. Des centres sous-régionaux spécialisés sur cette anémie falciforme devraient prochainement voir le jour au Sénégal et au Congo-Brazzaville.

En janvier 2006 le footballeur Lilian Thuram a reçu à Paris son titre d’ambassadeur de bonne volonté de l’Organisation internationale de lutte contre la drépanocytose (OILD) ‘‘initiative visant à éveiller les consciences sur la nécessité de sensibilisation autour de la première maladie génétique au monde’’.
L’Unesco et l’Union africaine ont reconnu la drépanocytose comme étant une priorité de santé publique. Prochain challenge : convaincre l’OMS.

Emmanuel Makila

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