Entretien avec Hallain Paluku, auteur de BD
Hallain Paluku Artiste Congolais résidant à Bruxelles est un ancien de lAcadémie des Beaux-arts de Kinshasa. Il vient de sortir aux éditions La Boite à Bulles sa première Bande Dessinée intitulée Missy. Une Œuvre à découvrir. Sortie officielle ce jeudi 02 novembre 2006 en Belgique et en France. Il en parle dans lentretien ci-dessous quil a eu avec notre collaborateur Coco Zingila :
Bonjour Hallain Paluku, comment allez-vous ?
Bonjour Coco Zingila, ça va très bien Merci !
Je vous laisse vous présenter, lArtiste que vous êtes, à nos lectrices et lecteurs
Jai vu le jour en 1977. Comme la plupart des enfants, je prenais plaisir à dessiner. Et alors que dautres lâchaient le crayon en devenant adultes, moi je lai gardé jusquà aujourdhui. Il fut un temps où je rêvais de devenir juriste ou encore journaliste. Mais finalement cest le crayon qui la emporté. Et jen suis heureux. Car dans lart on trouve une certaine liberté quon na pas forcément ailleurs. Tout petit, je mamusais à reproduire des personnages de Hergé, Barly Baruti, Roba, Peyo, Franquin et dautre auteurs de la BD franco belge. Par la suite, jai commencé à raconter de petites histoires à deux balles sur des pages que jarrachais parfois de mes cahiers de cours. Parfois je vendais ces dessins à mes camarades de classe Après mon passage à lAcadémie des Beaux-arts de Kinshasa, où jai appris certaines techniques de graphisme, je me suis lancé dans le dessin de presse et la bande dessinée. Jai collaboré avec un bon nombre de journaux et magazines et décroché quelques prix au passage. Aujourdhui, jai laissé tomber le dessin de presse pour me consacrer entièrement à ma carrière dans la bande dessinée, qui a réellement commencé en 1997 après ma participation à une exposition au centre Wallonie Bruxelles de Kinshasa. Jen profite, dailleurs, pour témoigner ma reconnaissance à Philippe Mwabi, cet ami grâce à qui jai découvert ce centre quelques années auparavant, où jétais de plus en plus en contact avec le monde de la BD. Jai par ailleurs participé à de nombreux ateliers de BD (… )
Hallain, Aujourdhui vous êtes un auteur confirmé. Dites-moi, quel style de BD influence votre travail ?
Confirmé, je ne pense pas. Car jai encore un long chemin à parcourir. Dun point de vue graphique et narratif, mes influences sont dans la bande dessinée franco-belge. Le premier contact que jai eu avec le 9 ème art était au travers dun album dAstérix dont je ne me souviens plus le titre. Je devais avoir 5 ans. Jai baigné dans Lucky-Luck, Gaston Lagaffe, Achille Talon, Spirou, etc. Mais je minspire également du cinéma qui est un art que jaime beaucoup et que je voudrais bien faire plus tard.
Où trouvez-vous linspiration ?
Le sujet que je traite sinspire de tout et de rien. Très souvent cest la vie de tous les jours. Parfois il suffit dune phrase ou justed un mot pour quune idée me vienne à lesprit. Mes histoires ont toujours été humoristiques. Mais pour lalbum Missy, je suis carrément allé à lopposé de mon genre. Et ça me plait bien de pouvoir varier ainsi.
A propos, "Missy" est votre premier album ; si on en parlait ?
Lhistoire raconte les déboires affectifs de Missy, une femme que les hommes ne convoitent que pour ses rondeurs, mais avec qui personne ne veut vraiment tisser une relation sérieuse. Strip-teaseuse dans un cabaret, Missy doit son succès sur scène à ses formes généreuses qui font fantasmer tous les hommes. Mais elle décide de maigrir dans lespoir de trouver un homme qui verra en elle une femme et non simplement un objet de fantasme.
Nous vivons dans une société qui impose un certain canon de beauté si bien que la femme idéale aujourdhui, cest celle qui se rapproche des images que nous voyons souvent dans la Pub. Pourtant, je pense que beaucoup dhommes aiment les rondes (et jen fais partie). Mais nous subissons tellement de pression que sortir du moule des canons communs et safficher en public avec une femme ronde nest pas si évident.
Lironie dans lhistoire, cest que Missy cherche loin à lhorizon ce que lui offre un homme à ses côtés. Chaque fois, Mario vient ladmirer danser sur scène, non pas parce quil fantasme comme tout le monde sur les formes de Missy, mais surtout parce quil est épris damour pour elle. Mais Missy ne veut pas en entendre parler et lignore complètement car il ne correspond peut-être pas à son idéal masculin. Missy fait ainsi subir à Mario ce quelle reproche aux autres. Dans un sens cest une BD qui ne ménage personne.
Doù vous est venue lidée de créer "Missy ?"
Le premier dessin de Missy que jai fait date de 1999. Je me rappelle que je dessinais en pensant à ma copine de lépoque, qui nétait pas du tout ronde dailleurs. Jétais parvenu à faire un dessin représentant une sculpture inspirée de ses formes. A lépoque je ne pensais pas pouvoir en faire une BD. Mais le dessin
mavait tellement plu que je nai pas arrêté de dessiner des femmes dans le même style. Plus jen dessinais, plus le personnage prenait des formes et plus le style de dessin muait vers un graphisme proche de celui de la bande dessinée. Progressivement lidée me venait de raconter une histoire qui mettrait en scène ce personnage.
Quaviez-vous ressenti une fois en face de ce que lon peut qualifier de votre premier bébé, et avez-vous le sentiment davoir procréé ?
Jétais tout excité et nerveux quand jai reçu le colis qui contenait les premiers exemplaires. Mais quand jai ouvert le colis et que jai touché le bouquin, javais une sensation de joie immense. Jimagine que les mères doivent ressentir la même chose, voire plus, au moment où elles prennent pour la première fois leur bébé dans les mains. Mais javoue que laccouchement a été une épreuve douloureuse. Car je traversais des hauts et des bas, très souvent des bas, pendant que je travaillais sur cet album. Et longtemps jai cru que je ny arriverai pas. Dieu merci, mes efforts nont pas été vains.
Comment avez-vous rencontré Benoît le scénariste et Svart le coloriste avec qui vous avez travaillé ?
Au départ, je voulais juste faire une BD dans la quelle on suivrait ce personnage dans ses moments les plus intimes sans vraiment raconter une histoire avec un début et une fin logique. Une sorte de BD réalité. Juste une envie de représenter mes fantasmes. Javais fait quelques planches que javais placées sur un site Internet. Cest là que Benoît le scénariste avait découvert Missy. Aussitôt il mavait contacté pour me proposer une collaboration. En quelques jours, il avait déjà écrit lébauche de lhistoire quil a développée par la suite. Dans un sens, le scénario de Benoît a vraiment donné vie au personnage. Quelques mois plus tard, Svart le coloriste a embarqué dans laventure, apportant sa touche de couleur qui a encore enrichi la BD. . Nous avons ainsi monté le projet à trois. Et dire quon ne sest jamais rencontrés. Toute notre collaboration sest faite de manière virtuelle : sur le net.
Peut-on dire que "Missy" est un album engagé pour la cause des femmes rondes ?
Non, pas du tout. Cest un album qui parle dune femme et de ses déboires sentimentaux. Benoît Rivière, en écrivant le scénario, navait pas du tout lintention dêtre la voix des femmes rondes. Il sest fait quil est tombé sous le charme du personnage et que cette femme lui inspirait une certaine mélancolie. Cest ainsi quest née cette histoire. En revoyant quelques détails, le scénario aurait pu sappliquer à nimporte quelle autre femme. Le personnage était déjà là, avec ses rondeurs, le scénario sest adapté. Jai lhabitude de dire que le scénario a parlé dune femme et le dessin a choisi une ronde.
"Missy" na pas de visage, est-ce fait exprès ou ne vouliez-vous pas quelle ressemble à quelquun dans votre entourage ?
Labsence de visage, cest pour rester fidèle à la première version du dessin qui nen avait pas. Mais cétait aussi un défi technique que d arriver à faire une BD avec des personnages sans visage pour transmettre les sentiments par lexpression corporelle. Jespère avoir réussi. Avec Benoît nous en avions souvent discuté, si bien quun test avec visage avait été fait mais ce nétait pas convaincant. Je pense que ce qui peut attirer dans cette BD cest aussi labsence de visage. Lexpression corporelle suggère le sentiment, le lecteur simagine lui-même lexpression du visage. Une interaction qui peut être intéressante, je crois.
Sortir un premier album de BD est souvent un parcours de combattant, avez-vous rencontré des difficultés pour trouver un éditeur ?
Oui comme pour la plupart des débutants, ce nest pas évident. Sauf coup de chance. Les éditeurs ne croyaient pas du tout en cette bande dessinée. Je peux les comprendre. Une bande dessinée avec des personnages sans visages, ce nest pas courant. Quand on lit une BD on a toujours envie de voir les personnage, parfois de sidentifier à eux. Alors on sattache. Ca fait vendre aussi. Cest un peu comme dans la vie de tous les jours. On sattache aux personnes quon connaît et le visage y est pour beaucoup. Mais heureusement on a eu la chance que La Bôite à Bulles sintéresse à notre projet. Je pense quils ont su cerner la performance artistique qui a été tentée dans ce projet. Cette maison dédition a sûrement compris, ce que jappellerais modestement, la force dexpression quapporte labsence de visage dans cet album. Oui ça a été difficile. Quand on envoie des projets par courrier postal et que plusieurs fois après des semaines dattente on se voit répondre négativement, ça donne envie de tout abandonner. Mais cest là quintervient la détermination.
Quest-ce qui vous anime, est-ce la détermination ou lenvie ?
Premièrement, cest lenvie qui manime. Une envie de faire des choses que jaime, une envie de réussir dans ce que jaime. Pour y arriver, il faut être déterminé sinon on sarrête en chemin.
Quaimeriez-vous que les lecteurs retiennent de "Missy" ?
Jaimerai quon retienne son visage. Ce visage qui peut être celui de nimporte quelle femme en mal damour.
Hallain Paluku, Merci et bonne chance à "Missy".
Merci à vous
Propos recueillis depuis Bruxelles par Coco Zingila ( pour AEM) Berne, (Suisse)
"Missy"
Editions La Boite à Bulles, www.la-boite-a-bulles.com