Congo : Quelles sont les causes de son retard littéraire ? (MBUYAMBA KANKOLONGO)

Le retard historique de notre littérature est imputable à la politique coloniale dans ce domaine.

1. On déplore d’abord le manque de contact de l’ex-Congo belge avec l’ex-Afrique française pour des raisons politiques et qui avaient empêché l’influence des écrivains africains dans ces pays de s’exercer dans notre pays. Ainsi comme l’écrira plus tard Mudimbe, pendant la belle période de la négritude qui, entre 1945 et 1960, voit naître et se multiplier les expressions littéraires d’une conscience africaine, l’Afrique belge, coupée de l’Afrique française pour des raisons politiques, ignorera même le concept de la négritude.

2. Il y a ensuite l’instruction dispensée par les coloniaux qui visait surtout à former des catéchistes, des instituteurs primaires, des commis dactylographes pour assurer les charges dans les missions et dans l’administration. Aussi des évolués, fruits des écoles coloniales, étaient-ils mal préparés à lire et à écrire. Ils ne pouvaient donc pas promouvoir une authentique littérature de langue française.

3. On peut citer également le peu d’intérêt montré d’une façon générale par nos colonisateurs pour la littérature de leur colonie, car pendant que dans d’autres colonies d’Afrique, les colons anglais ou français accordaient aux auteurs autochtones la possibilité d’exprimer leurs idées par écrit, nos anciens colonisateurs, eux, ne faisaient rien pour promouvoir une littérature coloniale. Peut-être craignaient-ils de favoriser par là un mouvement d’éveil de la conscience des Congolais d’alors qui finirait par remettre en cause l’ordre établi. Bref, pendant la colonisation, les conditions socioculturelles n’ont pas permis l’éclosion d’une véritable littérature congolaise de langue française.

CAUSES ACTUELLES

Nombreuses sont les causes qui entravent actuellement l’épanouissement normal de la littérature congolaise de langue française. Elles ont été mises en relief par de nombreux critiques littéraires.

1. la principale cause souvent évoquée est le manque de maturité de la plupart de nos littérateurs. C’est ce que Gudijika appelle l’adolescence de notre littérature. Cette adolescence se ressent non seulement dans cette diversité des thèmes inexplorés sans trame traditionnelle où viendraient s’accumuler les nouvelles originalités mais aussi par l’influence manifeste des grands (écrivains) qui plane sur le fond et le style des nôtres et encore par la recherche, le tâtonnement de jeunes talents en quête d’affirmation et d’inspiration. Ce qui fait que beaucoup d’écrits de nos écrivains manquent d’originalité, les écrivains négligeant de s’inspirer à la source abondante et inépuisable nous léguée par les ancêtres. Cette adolescence se remarque également à l’âge de la majorité de nos écrivains. Bien rares sont ceux parmi eux qui ont atteint trente cinq ans. Il s’agit pour la plupart de jeunes étudiants ou jeunes gens fraîchement sortis de notre Alma mater.

2. Un deuxième fait qui ne permet pas l’épanouissement de notre littérature est l’absence d’intérêt d’une grande portion des Congolais pour les écrits de leurs concitoyens. Les lecteurs congolais semblent sous-estimer a priori des écrits des écrivains congolais qu’ils considèrent d’avance sans intérêt.

3. Il faudra citer également les problèmes d’édition : les maisons d’édition sont en nombre trop insuffisant et n’arrivent pas à éditer beaucoup d’ouvrages des auteurs congolais. La raison de cette situation est à chercher probablement du côté du public congolais qui ne semble pas beaucoup s’intéresser aux choses de l’esprit. Et comme les maisons d’édition ne sont pas des œuvres philanthropiques, leurs responsables doivent veiller à ce qu’elles ne travaillent pas à pure perte. Or, les éditeurs constatent souvent avec grande amertume que les ouvrages édités restent invendus ou se vendent avec une lenteur déconcertante. D’où une certaine réticence pour accepter d’éditer n’importe quel manuscrit et le faible tirage enregistré pour les manuscrits acceptés. Ce fait pousse également les éditeurs à exiger de plus en plus un acompte d’auteur à quiconque veut faire éditer son manuscrit.

4. Il y a enfin le problème de critique littéraire. Elle est, si pas inexistante, écrivait, il y a plus de vingt ans, Mukala Kadima-Nzuji, lui-même critique littéraire bien connu, en tout cas à l’état embryonnaire. En RDC, on compte plus de chroniqueurs sentimentalistes et amateurs du dimanche que des critiques avertis. La critique pour ces gens-là se réduit à des coups d’encensoirs, de congratulations et d’apologies de mauvais goût. Or, le rôle des critiques devrait être d’aider les jeunes écrivains à s’améliorer par une critique objective et non partisane. Heureusement, ces dernières années, les choses ont beaucoup changé dans ce domaine avec les contributions de nouveaux critiques littéraires que sont Alphonse Mbuyamba, Antoine Lema Lema, Patrice Nyembwe Tshikumambila, Mulongo Kalonda-Ba-Mpeta, etc. Leurs études et analyses font aujourd’hui honneur à la critique littéraire congolaise.

Les différences causes, que nous venons d’évoquer pour expliquer le retard littéraire de la Rd-Congo, sont solidaires : ainsi le manque d’intérêt pour la production littéraire congolaise entraîne à son tour la réduction du tirage dans les maisons d’édition et ce manque pourrait à son tour s’expliquer par la qualité souvent quelconque des brochures et des plaquettes présentées.

Pour chercher à briser ce véritable cercle vicieux, la première chose à faire nous semble être de faire bien connaître notre littérature au peuple congolais, de l’introduire à l’école à tous les niveaux et d’améliorer l’encadrement de nos jeunes littérateurs.

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Critique littéraire

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