A qui profite la musique congolaise ?

La musique congolaise est aujourd’hui reconnue au niveau planétaire comme étant un produit de valeur. Elle constitue un voile éclatant qui cache admirablement la conduite honteuse et ignominieuse des politiques congolais. Mais si aujourd’hui tous les musiciens congolais sont unanimes au sujet de la bonne santé de leur musique, plusieurs se posent la question de savoir à qui profite réellement cette musique congolaise qui s’exporte bien.

Cette question, loin d’être innocente, découle d’une observation minutieuse des milieux musicaux du pays, (musiciens, producteurs nationaux, distributeurs, ministère de la Culture et des Arts). Il ressort de cette observation que les milieux musicaux congolaise profitent de cette vitalité de la musique congolaise. Les raisons découlent avant tout de l’environnement économique précaire du pays. Mais au-delà de cet aspect d’ordre général, il y a également le fait que les musiciens congolais, leurs producteurs, les distributeurs et le gouvernement ne sont pas organisés. La Soneca qui est chargée de recouvrer les droits d’auteurs n’arrive pas à faire correctement son travail, à cause du petit nombre de percepteurs ; et les quelques rares sommes d’argent qu’on recouvre à l’étranger sont détournées au détriment des ayants droit.

Au niveau de la production discographique, on pense que le Congo est au bout de ses forces. Il n’y a plus de producteurs congolais. D’autres sont décédés, les rares survivants sont lassés. Ce sont plutôt des producteurs étrangers qui profitent de la musique depuis les années 40 : Janseens de la Société belge du disque, la Sobedi, avec Nico Jeronimidis des éditions Ngoma, Papadimitriou, Moussa Benathar des éditions Opika, les éditions CEFA par M. Bill Alexandre, etc.

Aujourd’hui, les exemples les plus illustratifs sont ceux des maisons d’éditions et de productions Sonodisc, l’actuelle Sono Next Music, Syllart Productions du Sénégalais Amadou Sylla, qui a produit tous les grands noms de la musique congolaise durant près de 25 ans. Ndiaye Production, le deuxième, de M. Amadou Ndiaye, opérateur culturel et économique sénégalais, qui accapare la plus grande part dans la production et la distribution discographique au pays. Ce dernier est aussi le propriétaire du plus grand studio d’enregistrement kinois, la N.D. Duplication. Le troisième exemple, ce sont les éditions SIPE Productions du Camerounais Simon Njonang Lohwe. Cette dernière a produit plusieurs groupes musicaux, notamment Bik Satr de Défao Matumona, Zaïko Nkolo mboka, Empire Bakuba, J.B Mpiana, Wenge BCBG.

Aujourd’hui, la ville de Kinshasa ne compte que trois studios d’enregistrement : les studios N.D. Duplication de M. Amadou Ndiaye, M’ekko de M. Jean-Louis Onema et de l’Institut congolais de l’audiovisuel.

Les producteurs congolais sur place et ceux qui sont installés ailleurs ne fournissent pas d’effort pour produire des musiciens congolais.

L’on se rend donc compte que la musique congolaise ne profite qu’aux étrangers. Cet état de choses découle malheureusement de la mentalité qui veut qu’on accorde plus de crédit qu’à celui qui vient de l’étranger. Le rôle de l’artiste au sein d’une société est irremplaçable. Outre que cet homme assure le maintien d’un équilibre social indispensable à toute paix pour la société, il dresse le flambeau de son peuple sur l’échiquier mondial, oeuvrant à la promotion de l’image de marque du pays. Alors qu’on ne s’étonne pas que les musiciens congolais meurent pauvres.

Il existe un contraste écœurant entre le renom des artistes congolais, toutes tendances confondues, et la manière dont la plupart terminent leur vie. Faut-il évoquer les cas encore frais dans nos mémoires de Joseph Mulamba dit Mujos, Samunga, Cheickdan, Mutombo Buitshi, Ntesa Nzitani dit Dalienst, Julien N’Damvu, Mboyo, Mbuta Matima, Chiro Mvuemba, Manoka De Saio, et ceux nombreux des musiciens, plasticiens, comédiens, etc. Et lorsqu’un artiste tombe malade, surtout s’il n’était plus en activité et que les soins lui fassent défaut, on l’oublie. A sa mort, les services publics interviennent lors des funérailles. Ils sont enterrés comme des princes. C’est scandaleux. Raison pour laquelle le premier romancier congolais Paul Lomami Tchibamba et le dramaturge Mobyem Mikanza ont refusé les couronnes, les caveaux en carreaux et tout le tralala indécent que les hommes aiment étaler pour se faire voir. Au lieu qu’on l’enterre au cimetière de la Gombe, Lomami Tchibamba a préféré le cimetière de Kinsuka, sur la route des caravanes d’esclaves.

Pour tenter de soulager le sort pitoyable des artistes, feu président Mobutu avait créé le Fonds Mobutu Sese Seko. A deux reprises, en 1980 et en 1981, ce fonds a évacué Grand Kallé en Belgique pour des soins. Mais ce fonds fut géré par des prédateurs, et il s’est dilué dans l’océan des cupidités. Et l’artiste producteur et grand pourvoyeur de devises à travers la Soneca et le Fonds de promotion culturelle, est méprisé, exploité, privé de ses droits.

QUE FONT LES INSTITUTIONS ET LES GROUPEMENTS?

L’Union des musiciens congolais qui est censée regrouper tous les musiciens de la République pour encadrer et sauvegarder leurs intérêts ne remplit pas son rôle. Et les musiciens ne tiennent pas compte de cette structure. L’Umuco ne fait rien pour mobiliser les musiciens pour décider de leur sort, assurer et garantir aux artistes un salaire au mois et s’assurer un revenu régulier, exiger que les patrons des groupes musicaux signent des contrats avec leurs employés, négocier des subventions pour faire concurrence sur le marché. L’Umuco doit insister auprès des instances étatiques, afin que les stations de radio et télévisions paient les redevances aux artistes, etc.

Le Syndicat national des musiciens congolais (Synamco en sigle) que dirige M. Moniania Roitelet forunit, depuis sa création, de gros efforts pour améliorer les conditions sociales des artistes-musiciens. Mais quand les décideurs se réunissent, ils n’associent pas le Synamco. La Société nationale des éditeurs, compositeurs et auteurs, la Soneca, créée en 1969, par le général Joseph-Désiré Mobutu n’a connu que des problèmes de mégestion depuis ses débuts. Le Fonds de Promotion Culturelle a été créée par l’ordonnance-Loi n°87-013 du 3 avril 1987, pour financer l’activité et la production artistique. Il perçoit 5 % sur le produit de vente des cassettes vidéo, 2% sur le produit de vente de chaque disque congolais, 5% sur les recettes brutes de spectacles, shows, concerts, ballets, théâtres, etc. 5% sur les revenus des artistes, musiciens et écrivains distribués par la Sonéca, 5% sur les factures de prestations publicitaires, par panneau, affiches, signes graphiques, radio, télévision ou presses écrites, etc. Que font réellement les dirigeants de cette institution avec les milliers de dollars perçus ? Pourquoi l’argent des artistes prend-il une autre destination ?

La Commission Nationale de la Censure de la Chanson, structure relevant du ministre de la Justice, est chargée de surveiller les bonnes mœurs dans les chansons et les spectacles. Pour cela, aucun support musical ou de spectacle ne peut être exécuté publiquement sans son autorisation. Pour diffuser un album, une taxe est versée au Trésor public. La commission perçoit 10 $ US par chanson pour les cassettes audio et 10 $ US par chanson pour les images vidéo. A propos de frais administratifs, la commission perçoit 10 $ US par chanson pour une cassette audio et 10 $ US et 10 $ US par chanson pour une cassette vidéo. Ces sommes n’aident en rien la musique congolaise.

Le Fonds d’Assistance Sociale aux Artistes et Ecrivains Congolais, le FASAEC, avait à sa création, la mission d’améliorer la situation sociale des artistes et des écrivains congolais. Jusqu’à ce jour, la situation de ces créateurs d’œuvres de l’esprit n’a jamais été améliorée. La cellule technique de lutte Contre la piraterie de l’Inspection générale de Police judiciaire doit veiller à la protection des œuvres des musiciens congolais contre les pirates qui s’enrichissent illicitement au détriment des artistes.

L’Amicale des Musiciens Congolais, AMC en sigle, issue des accords de Maisha Park, ne regroupe que des leaders de groupes musicaux. En réalité, l’Amicale n’est pas une structure forte. Ses leaders ne discuteront jamais du statut de musiciens. Ils ne défendront que leurs intérêts.

EST-CE QUE L’ON PEUT VIVRE DE SA MUSIQUE?

Naturellement oui. Mais, beaucoup moins d’entre eux vivent de leur musique. Pour être reconnu et pour pouvoir s’exporter et vivre, le musicien congolais se débrouille seul, sans le concours de l’Etat. Il existe des orchestres mais pas de statut, pas une législation précise sur les musiciens, les arrangeurs, etc.. Les musiciens travaillent au noir, ils vivent dans un chômage déguisé et ils n’ont pas d’avenir sûr. Ils ne comptent que sur les mabanga (réclame et dédicace), la publicité des sociétés brassicoles et les voyages en Europe, pour les uns et non pour les autres. La musique congolaise ne profite pas aux musiciens, non plus au Trésor public. Que dire de la situation sociale des artistes qui n’est toujours pas claire ? L’Etat doit se pencher sur l’hécatombe des artistes musiciens.

JEANNOT NE NZAU

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