Marcher debout dans le potopoto du Congo ? Une lecture de Charles Djungu-Simba (J. P. Mbelu)
En effet, lun des dignes fils que le Congo compte encore aujourdhui vient de publier un livre (à lire absolument !) qui se veut un ‘Carnet de détour au pays natal, dix ans après avoir quitté le Congo comme exilé politique pour un pays dadoption,
De septembre 2006 à avril 2007, Charles Djungu-Simba notera, dans ‘son carnet de bord, ce quil a vécu, a vu, a partagé avec ses compatriotes et entend deux sans se priver démettre de temps en temps un point de vue personnel sur ‘le drame du Congo. Dix ans après, à la manière des assassins, Charles Djungu-Simba a choisi de « retourner sur le lieu du crime. » (p.9) Dix ans après la guerre de prédation imposée au Congo, linterminable transition congolaise et les élections dites démocratiques, libres et transparentes.
I. La guerre permanente
Qua-t-il constaté ? Un pays qui nest jamais sorti de la guerre. « Cest un tout autre pays, écrit Charles, que les yeux quinquagénaires découvrent lorsque je foule à nouveau le sol de Kinshasa un certain 11 septembre 2006. Jéprouverai le même sentiment à Goma, à Kindu, à Bukavu et dans dautres localités congolaises où mes occupations me mèneront. On a du mal à croire que le pays est réellement sorti de la guerre à la fois parce que la pénurie, mieux la panne est générale, et que le peuple congolais na jamais fait preuve dautant dinventivité et de combativité pour conjurer son sort. » (p.9-10) (Nous soulignons) Ce constat nest pas misérabiliste. Il est paradoxal. Il dévoile un drame et bat en brèche certains préjugés. « Le drame du Congo, note Charles, ce nest pas le fait dexhiber la misère dans un pays aux potentialités fabuleuses, mais de voir combien la course effrénée au gâchis, au gaspillage, a fini par étouffer le sens de leffort, combien la culture de la prédation, de la cueillette a pris le pas sur lamour du travail. » (p.10) ‘Nuages sur Bukavu présente lavantage de battre en brèche certains préjugés et certains clichés. Contrairement à une certaine littérature faisant de tous Congolais des naïfs à vie, les compatriotes rencontrés par le Docteur Charles Djungu-Simba ne sont pas dupes ; ils nont pas besoin de la météo pour savoir quil va pleuvoir. Ils savent quil suffit de regarder du côté du Rwanda. Car, « cest de là que viennent les pluies que nous redoutons ici. Les pluies, et tout le reste. » (p.14) Le constat de Charles trahit à la fois une foi en laurore et limpuissance dont certaines filles et certains fils passionnés du Congo font lexpérience. Comme eux, il se rend compte quen lui cohabite sa passion pour le Congo et son courroux de ne pas vivre dans le coude à coude quotidien avec ceux qui croient en laurore. Cest fort de sa foi en laurore que Charles entreprend au Kivu un projet de télévision qui « piétine, tarde à décoller faute dun investissement conséquent. » (p.119) Sa foi en laurore est critique. Sil sait avec ses compatriotes que « toutes les pluies (et tout le reste) viennent du Rwanda », il naccepte pas que le Rwanda soit «lalibi facile pour beaucoup de Congolais incapables de trouver ailleurs des justifications à lincivisme et à lincurie nationale. On connaît la chanson : si ça ne marche pas chez nous, la faute est aux comploteurs qui envient nos richesses… » (p.34). Le comportement de nos populations pendant les élections illustre cet incivisme et cette incurie nationale. « (…) cétait au candidat député qui distribuerait le plus dargent, qui ferait preuve de plus de générosité que les suffrages seraient donnés. A Bukavu comme à Goma, le montant minimal de limpôt électoral revenait à léquivalent en francs congolais dun dollar américain, une aubaine pour maints ventres en grève de la faim chronique et involontaire. » (p.40) En effet, « le temps de la campagne, les résidences des candidats sétaient transformés en cours de miracle. Pour le commun des mortels, ce potlatch national navait rien dimmoral : ceux qui avaient amassé plus devaient de distribuer aux autres. » (p.40)
Tenté de prendre le Rwanda, sa discipline et lordre que ses dirigeants y imposent comme modèle, Charles apprend de son compatriote Byabuze, jadis emprisonné au Rwanda, que tout le Rwanda est « une vaste prison avec pour geôlier, le maître de Kigali. » (p.113) Citant Colette Braeckman, Charles Djungu-Simba confirme les propos de Byabuze. Il note : « Officiellement, il ny a plus de Hutus, plus de Tutsis. Rien dautre que des citoyens rwandais, tous engagés dans la bataille pour le développement. La réalité est cependant plus subtile : des Tutsi rentrés dexil se sont constitué de grosses fortunes, reposant entre autres sur lélevage ou sur limmobilier, et ils tiennent le haut du pavé, tandis que les projets de développement dans les campagnes ont été abandonnés au profit de travaux dits à « haute intensité de main doeuvre » mais où les salaires sont dérisoires, de lordre dun dollar par jour…Les séquelles du génocide sont toujours là (…) » (p.114) Citant Colette Braeckman, Charles souligne le paradoxe du Rwanda : « A première vue, larmée, la police assurent une sécurité inconnue ailleurs en Afrique, qui amène les Etats-Unis à préparer de grands projets dordre militaire. Mais au sein dune grande partie de la population, la peur persiste, alimentée par un sentiment de surveillance constante, par la crainte dune jalousie, dune vengeance, dune dénonciation… » (p.115)
II. La foi en laurore
La redécouverte du Congo permet à Charles Djungu-Simba de se rendre compte quil y existe des zones de non droit pour les autochtones mais tout en étant des vaches laitières pour les prédateurs de tout bord. Tel est le cas du Nord et du Sud-Kivu. Un exemple. « Le Bulega (…) croupit dans la misère, mais le Bulega (…) ne cesse dattirer des prédateurs : à défaut des routes, des petits aérodromes ont été aménagés ci-là et sur lesquels se posent nuit et jour des petits avions à la recherche de lor, de la cassitérite et du coltan qui abondent dans cette contrée. » (p.82)
Le détour par le Congo a facilité la revisitation certains concepts et certaines expressions comme celles désignant les soldats de la Monuc comme étant des « soldats de la paix ». A Goma, « lappellation fait à la fois lunanimité et…grincer des dents ! (…) Ces hommes qui bombe vaillamment le torse la journée en exhibant leur terrible artillerie se claquemurent, la nuit venue, sous leurs tentes comme le font dans leurs carapaces les tortues géantes de Galapagos. Et ce à la grande satisfaction des gangs de truands et autres bandes armées incontrôlées qui écument les nuits de Goma. » (p.32-33)
‘Nuages sur Bukavu met à nu le drame permanent de lintellectuel congolais : « il fallait me décider entre continuer à tourner en rond dans la cage belge où nul ne se soucie de vos compétences et sauter sur occupation au Congo qui permet de vous rendre utile à défaut de vous enrichir. » p.119 Il corrige une certaine vue pessimiste de certains membres de la communauté congolaise de la diaspora sur leurs compatriotes restés au pays. Au contact de ces derniers, Charles Djungu-Simba sest donné une mission (pour la diaspora) : « (…) je vais leur dire que les gens vivent aussi là-bas, quils vivent peut-être mieux que nous dans nos cages dorées de la diaspora. Ils vivent dans un environnement, certes difficile, mais dont ils ont réussi à conjurer les démons. » (p.43) Ces compatriotes ont vite compris quil ne fallait plus rien attendre des politiciens. Ils ont compris que les chars et les mortiers pouvaient être déployés à Kinshasa le 22 et le 23 mars dans une futile guerre entre Bemba et Kabila et être absents du front des Kivus ! (cfr p.98)
‘Nuages sur Bukavu est un témoignage que « la tragédie du Kivu nest pas une fatalité et le sacrifice de tous ces morts que nous déplorons ne doit pas être vain. » (p.118) Ce livre est une profession de foi en une aurore possible et en une mission. Surtout pour Charles Djungu-Simba. Il avoue : « Le Kivu me tenaille les tripes, le Kivu mappelle ; et quimporte la menace de ces nuages malveillants qui pend au-dessus de ses collines, je saurai moi aussi marcher debout dans le potopoto de Bukavu… » (p.120)
III. Relever les défis majeurs
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Mais marcher debout dans le potopoto( de Bukavu et du Congo) exige que certains défis soient relevés. Doù limportance de la postface du livre de Charles Djungu-Simba. Il est un complément indispensable au ‘carnet de bord de notre compatriote.
La postface situe les défis au niveau national, au niveau régional et international. Au niveau national, la mise en place dun Etat de droit demeure une urgence. « Le deuxième défi est de privilégier le choix des hommes compétents et à même dimpulser un leadership fort à lintérieur comme à lextérieur du pays. » (p.170). Le rétablissement de lautorité de lEtat sur lensemble du territoire national constitue le troisième grand défi. Son relèvement implique au préalable la réconciliation nationale, la formation dune armée et dune justice indépendantes, le désarmement, la démobilisation des combattants étrangers et congolais ainsi que leur insertion dans leurs sociétés respectives. Présentement,cet objectif est loin dêtre atteint. « Au niveau régional, les nouvelles autorités devraient faire une pression politique, et diplomatique en faveur du dialogue inter-rwandais et inter-ougandis car le succès de la démobilisation est à ce pris ; user de tous les moyens légaux pour faire cesser le pillage des richesses nationales légaux pour faire cesser le pillage des richesses nationales par les pays voisins et lointains (…) » (p.173) Les termes dune coopération et dune sécurité régionales doivent être négociés de façon que chaque pays en tire profit ; et le peuple congolais un peu plus que les autres. Lutter contre le trafic darmes et sengager dans une lutte demandant réparation des torts causés au pays par les pillages et les guerres successives de prédation devrait être lune des préoccupations majeures des gouvernants actuels. Il est souhaitable d « instituer au sein de lAssemblée nationale une commission spéciale chargée du suivi de la promotion et de la protection des intérêts du pays (concilier ceux-ci avec les intérêts des bailleurs des fonds, tel devrait être le leitmotiv de la politique gouvernementale). » (p.174). Pour Stanislas Bucyalimwe Mararo, auteur de la postface, le Congo actuel fait face à une triple pesanteur. « A savoir, la logique des composantes (particulièrement les groupes armés qui ont dirigé la transition, se sont transformés en partis politiques et tiennent à ne pas disparaître dans ce nouveau paysage congolais), le piège rwando-ougandais et les diktats des bailleurs de fonds dont la Banque mondiale est lavant-garde (…), les autorités élues se trouvent confrontées à un travail de titan. » (p.175) Comment abattre ce travail titanesque ? En usant de beaucoup de doigtée en vue de concilier idéalisme et réalisme. « Ce qui nest pas évident dans le contexte actuel où les Grands de ce monde recourent à plusieurs mécanismes, y compris la RPC (la reconstruction post-conflit), pour contrôler et sapproprier les richesses des pays du Sud. » (p.175) Alors, que faire ? Est-ce possible de compter sur les autorités dont la légitimité politique acquise à coup des dollars ne font rien dautre que naviguer à vue tout en étant des membres actifs des réseaux mondiaux de prédation ? Faut-il compter sur lappui dune communauté internationale dominée par les multinationales et « les petites mais du capital » afin de concilier idéalisme et réalisme ? Ou réanimer la foi en laurore en prenant appui sur « le petit reste » de nos populations ayant tué symboliquement les hommes et femmes liges (du Nord et du Sud) de la mondialisation de la prédation ? (A suivre)
J.-P. Mbelu