Rap – la première fois de Lexxus (Le Vif Express)

 

"Avec les gens du quartier, on a dû se cotiser pour fabriquer un panneau en métal et le poser au bout de la rue, sur le trou béant. Sinon, c'était impossible de passer en voiture… » Dans l'une de ses deux Mercedes d'occasion, Alex, alias Lexxus, 28 ans, chemine dans les rues défoncées de la capitale congolaise. Un matin de juin banal, où l'électricité et l'eau sont aux abonnés absents, on le rencontre dans la cour familiale, entre tante et grand-mère. « On a l'habitude des coupures, c'est pour cela que la rue est si calme, sans aucune musique. » Inutile de dire que le studio d'enregistrement aménagé dans l'arrière-cour ressemble à un grand jouet mort : pas de hip-hop sans électricité… Kinshasa forge une philosophie de (sur)vie obligatoire nourrie par des années de guerre. Si les rues ressemblent souvent à des poubelles, et sont donc porteuses de maladies, c'est que le ramassage des ordures est pour le moins aléatoire. « Donc on paie des privés pour le faire », dit Lexxus, complétant l'équation corruption-chaos. 

 

Dans ses chansons dopées par la colère, l'amertume de la guerre, la dénonciation de la mondialisation, Alex manie le rap sans langue de bois, parfois avec de jolis chants locaux. « J'ai choisi la langue française parce qu'elle est encore le point commun de nos 450 ethnies », précise-t-il. Kasaïen arrivéà Kin à l'âge de 12 ans, il tente aujourd'hui de faire vivre le hip-hop au royaume de la rumba et du dombolo. La transgression n'est pas seulement dans les paroles, mais aussi dans la rugosité musicale : Lexxus et son groupe PNB (Pensée Nègre Brut) réussissent quelque chose de fort. « Pour nous, le ghetto est mental. Mobutu avait tout interdit et, paradoxalement, les gosses de riches revenaient au pays avec des disques de Public Enemy ou de Grand Master Flash. »

 

Dans ce Congo où triomphe le piratage, Lexxus emprunte la débrouille pour vendre son premier mini-album artisanal directement par GSM et Internet. Il reçoit des commandes téléphoniques, ce qui fait passer le temps lorsque sa bagnole renâcle à démarrer, événement fréquent. Le rapper devait venir à l'édition 2006 de Couleur Café après une invitation personnelle du patron, Patrick Wallens : les visas n'ont pas été accordés. Lexxus craignait donc le même scénario pour cette année, mais le meilleur est arrivé. On le retrouve donc, comme un grand gamin choqué, à Bruxelles, fin juin, pour son premier voyage hors Afrique. « Quand on va en Belgique ou en France, toute la famille attend que vous rameniez beaucoup de choses au pays… »

 

Au Musée de l'Afrique centrale, à Tervueren, et dans son somptueux parc, Lexxus accuse le coup : trop d'allées vertes, trop de clarté, trop d'emphase architecturale. On s'arrête devant le portrait de Léopold II et, puis, des photos de chicote remettent la cruauté du colonialisme en place. Un autre cliché – celui d'un bon missionnaire devant une classe de « sauvageons » – déclenche des commentaires sur les contradictions du Congo actuel. Et Lexxus ajoute : « Vous les Européens, avez perdu le sens de la religion, nous, au contraire, sommes tombés dans une multitude de cultes. Et si, à Kin, on vous traite de sorcier, vous êtes foutu… »

 

© Le Vif Express – Philippe Cornet, 21.09.07

 

Lexxus et son groupe Pensée Nègre Brut sont en concert avec Pitcho, le 27 septembre, au Théâtre national ; le 28 septembre, à Anvers ; le 12 octobre, à Bièvres ; le 13 à Rebecq (www.yambi.be).

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