ESSAIS DE PROMOTION RURALE EN PAYS SUKU (Henri Schwis, SVD )

  Manque des protéines dans l’alimentation de la population.

 

 L'alimentation de la population manque des protéines. Tout d'abord, le manioc qui est la base de l'alimentation est insuffisant, du moins en ce qui concerne les années passées. Pour des raisons que j'ignore, il y a cette année une amélioration. Le gibier y est très rare. Il y a des familles qui, durant toute une année, ne mangent jamais de viande, pas même lors des feux de brousse. Si actuellement on brûle la grande brousse, il peut y avoir une dizaine et même une vingtaine de villages qui participent à ce genre de chasse par le feu. Tout au plus pourrait-on tuer deux antilopes et c'est tout. Au fond, le feu de brousse est un amusement et un nettoyage du paysage.

 

 L'élevage traditionnel produit très peu. Dans certains villages, les vieux possèdent une douzaine de chèvres, quelques cochons, et les femmes élèvent trois à quatre poules mais guère plus. Je n'ai jamais rencontré une femme qui ait dix poules.

                 Augmenter la production du manioc.

 

 Si on arrivait à augmenter la production du manioc, ce serait très difficile de trouver des moyens pour l'acheminer vers les centres. Les plus proches sont Kikwit et ensuite Kinshasa. Or le marché de Kikwit est saturé de manioc, et Kinshasa est à 600 km. A Kimbongo, les gens ont fait une expérience d’augmenter la production de manioc, mais elle s'est avérée inefficace car le manioc était payé moins cher à Kikwit qu'à Kimbomgo.

          Exode rural : c'est le départ massif des gens vers Kinshasa.

 

 Un deuxième point qui rend le développement difficile dans la région Suku c'est le départ massif de la population vers Kinshasa. J'ai commencé une petite enquête qui va être poursuivie dans la région de l'autre côté de l'Inzia à

 

Moboso. Là, il y a une population relativement nombreuse, mais j'ai constaté qu'entre les années 1963 et 1970 les catholiques ont émigré. Il faut souligner en passant, qu'ils n'étaient pas nombreux et qu'ils étaient courageux: il faut un certain courage pour changer de religion. Donc j'ai constaté en consultant les fichiers datant de 1963 que plus de 60% des chrétiens ne sont plus là aujourd'hui. Et non pas seulement les hommes, les femmes, mais aussi les familles entières ont quitté la région.

Problèmes dl'élevage : Les planteurs ne voient pas l'utilité de travailler pour des bêtes.

 

 Le seul moyen pour améliorer l'alimentation de la population est de passer par l'élevage. Nous avons d'immenses terres non exploitées où on peut mettre des milliers de bêtes. Mais tout cela suppose un changement de mentalité. Or les gens ne sont pas habitués à élever n'importe quelle bête, pas plus les poules, les chèvres, les ovins que les bovins. Ils n'ont aucune expérience des soins et des contraintes de l'élevage. Et ils ne voient pas l'utilité de travailler pour des bêtes. Par exemple ils n'ont jamais fait un champ de maïs pour nourrir leurs poules, des chèvres ou des bovins. Vous ne trouvez aucune expérience de ce genre-là dans toute la région.

          Absence des fermes dans la zone.

 

 Dans cette région, vous ne rencontrez pas de ferme. Depuis trois ans, quelques enseignants ont commencé à établir une ferme, mais comme aucun d'entre eux n'avait reçu une formation en ce sens, cela n'a pas marché. Les gens doivent voir une démonstration de ce que l'on peut faire pour améliorer la nutrition.  Nous avons d'abord fait démarrer l'expérience à la mission même, avec un grand jardin, toutes sortes de légumes et d'arbres fruitiers notamment des papayers. Nous élevons beaucoup de poules, de canards, de pigeons et des moutons que nous soignons avec plus ou moins de succès.

 Les gens viennent souvent nous demander soit une papaye, ou d'autres fruits, ils viennent parce qu'ils voient que nous avons beaucoup de choses. Chaque fois, je réponds à leur demande: "Non, je ne donne rien, ni papaye ni autre chose. Si vous voulez, je vous donne les graines de papayer que vous pourrez planter. Au bout de six mois vous pourrez récolter vous-même les premiers fruits". Cette attitude a pour but de leur prouver que l'on peut vivre autrement. Ils disent: "Oui! chez vous cela réussit, mais chez nous cela ne peut pas réussir". Et C'est toujours la même excuse pour s'abstenir de faire l'effort demandé.

              Sensibiliser et convaincre les gens.

 

 Mais nous sommes tout de même arrivés à les sensibiliser et à les convaincre qu'ils peuvent avoir ces choses sur leur terre, A condition évidemment qu'ils le veuillent. Dans les entretiens avec les hommes, surtout avec les jeunes garçons chômeurs qui restent au village ils nous posent souvent la question:

 

"Mais que pouvons-nous faire? " je leur suggère de faire de l'élevage de chèvres par exemple. L'argument le plus fréquent est le suivant: "Mais nous n'en avons pas au départ, et puis nos parents ne peuvent le permettre." -"Oui, mais votre parenté a de l'argent et des chèvres, vous pourriez leur en demander." "Non! il se peut que nous ayions un peu d'argent pour acheter une chèvre, mais les jeunes ne peuvent le faire.

 

"Par contre si vous nous aidez, les aînés ne pourront s'en mêler et nous pouvons avec vous fonder une ferme et cela marchera." Ce sont leurs arguments, on ne sait pas ce qu'ils valent mais voilà la situation.

 

Il y a cinq ans nous avons commencé à la mission l'élevage du gros bétail. Un petit troupeau d'environ quarante bêtes. Il compte actuellement cent cinquante têtes de bétail. On a acheté un nouveau troupeau de trente bêtes à Sia. Ce deuxième contingent est destiné au métayage. Mais je ne veux pas parler des bovins, d'autres qui sont spécialisés en la matière le feront plus loin.

 

        Ferme modèle, orientée vers l'élevage.

 

 Je continue donc avec les jeunes qui avaient demandé que je les aide à commencer une petite ferme. Le premier essai était à Kisikidi. Un jeune homme d'environ vingt-cinq ans désirait se marier. Je lui ai dit: "je vais te donner quelques bêtes tu chercheras deux ou trois autres compagnons qui voudront se mettre avec toi. Et vous lancez une petite ferme." Ce premier point réalisé, nous avons établi un contrat ainsi défini: "Je vous donne 10 chèvres et un bouc. Après deux ou trois années vous devez me rendre le même nombre de chèvres que je vous ai données. je calculerai les bêtes; si après deux ans il y en a dix, après trois ans il faut en avoir au moins vingt à trente et c'est encore peu". Ils ont approuvé et promis de rendre le prêt au bout de deux années. Nous avons construit une petite ferme dans un bon endroit.

             Les jeunes gens pensaient qu'ils étaient des salariés.

Mais dès le début, les difficultés commencèrent. Ces jeunes gens pensaient qu'ils étaient des salariés et attendaient d'être payés comme tels. Et pourtant je leur avais bien spécifié que je n'entrais pas dans toutes ces questions. je leur donnais les chèvres et pour le reste ils devaient s'en occuper. S'ils voulaient partir, cela ne me regardait pas; ils retourneraient vivre dans leur village sans rien faire. Deux garçons sont partis, un seul est resté et il était tout jeune. Alors à la place de ce petit garçon qui est parti à son tour, le promoteur a choisi un homme plus courageux au travail. Il avait à peu près une quarantaine d'années et était accompagné de sa femme et de quelques bampangi (parents). Ensemble, ils ont repris l'élevage des chèvres. Mais dès le début, une bonne moitié des bêtes a crevé. je n'en connais pas les raisons mais j'avoue que ce manque de succès était décourageant. De plus, le promoteur est parti emportant une certaine somme -cinq zaïres je crois- pour aller à Kinshasa. C'est peu je l'avoue, mais c'était un nouveau coup dur pour eux. Celui qui était le plus enthousiaste est resté avec un jeune garçon qui, à son tour, est parti lui aussi. Seul le vieux est resté et il semble qu'il a du succès.

 

           Métayage de petit bétail.

 

 Dans un autre endroit, on a essayé le même système avec dix chèvres données au départ. Deux des trois garçons sont partis mais le restant a pris avec lui deux vieux. Puis il a manifesté le désir de partir en congé à Kinshasa je lui ai dit: "C'est votre affaire, mais si vous partez, je n'entrerai plus dans votre ferme; je ne veux plus m'en occuper." Le garçon est quand même parti. Les deux vieux sont venus me supplier mais je leur ai dit: "Je n'accepte plus ce système, on va changer maintenant. Toute la ferme va rester entre vos mains. Il reste à votre compte six chèvres, les autres sont crevées, alors vous les gardez en métayage moitié pour nous, moitié pour vous." Et maintenant les deux vieux sont là avec leurs six chèvres je ne sais pas comment cela va continuer!

 

           Après l'échec, changement de formule.

 

 Il y a eu un troisième essai basé sur le même système de prêt, mais nous y avons ajouté une autre formule: "Les dix chèvres que nous vous prêtons doivent être rendues après deux ou trois ans. Pendant ce laps de temps vous serez payés. Non pas un vrai paiement, puisque la somme mensuelle sera d'un zaïre-cinquante, mais cet argent entre dans les comptes de la ferme et il doit aussi être remboursé lorsque le troupeau de chèvres aura augmenté. En fait ces petites sommes sont des risque, mais pour aider trois ou quatre garçons il faut quand même risquer quelque chose.

 

 Il me semble que cette expérience va réussir. Le troupeau a augmenté malgré quelques pertes au début. A l'heure actuelle, ils ont 17 ou 18 chèvres je crois. Evidemment nous en sommes aux suppositions, mais il y a là quatre jeunes garçons qui ont passé chez nous à Matari. Ils se sont installés après leur baptême et jusqu'ici, personne ne parle de partir. Le premier désire se marier et une fois qu'il le sera, il y aura un espoir de stabilité. Tout d'abord, les hommes peuvent construire une maison, un enclos pour les chèvres. Ils cultivent le maïs pour donner aux chèvres une nourriture complémentaire. On pourrait leur reprocher leurs nombreuses promenades, mais ils s'occupent de leurs chèvres et font aussi de petits champs pour eux-mêmes. Lorsque je vais leur rendre visite, ils sont ordinairement là, avec des poignées d'épis de maïs.

 

         Un étang pour la pisciculture.

 

 En plus, ils ont commencé à faire un étang pour les poissons; il est presque achevé et on va y mettre des poissons. Conjointement, ils auront aussi des canards que nous avons commencé à élever à la mission-même où l'on a construit une petite fermette pour cet élevage. Il y a là un enclos avec un étang et une petite maisonnette pour loger les canards. Au début, nous en avions cherché quelques-uns dans la région; maintenant on a fait venir de Belgique deux cent cinquante petits canetons. Cet élevage s'avère difficile, une partie de ces canards a crevé et on ne sait à quoi l'attribuer, peut-être à la mauvaise nourriture. Pour réussir cet élevage il faut une bonne nourriture importée de Kinshasa. Nous avons également commencé avec une vingtaine d'oies, mais nous en sommes encore au stade des suppositions quant à l'issue de ce nouvel élevage. Il est prévu de donner quelques canards aux jeunes garçons pour qu'il aient un peu de variété.

 

            Découragements

 

 Nous sommes néanmoins un peu découragés au sujet des expériences de toutes ces fermes, on a vu que cela ne va pas lorsque les garçons dont pas reçu de formation de fermier. Comme il n'y a eu aucune expérience de ce genre dans la région, c'est donc une nouveauté et c'est difficile. Nous nous sommes dit que même s'il fallait investir cela ne ferait rien, ce qui compte c'est une expérience qui prouve que cela est possible dans la région. Il faut convaincre les gens afin qu'après l'avoir vue ils aient envie de la faire à leur tour.

 

          Formation d'éleveurs et d'agriculteurs

 

 Nous avons donc eu l'idée suivante: profiter du passage des garçons au catéchuménat pour les former au métier d'éleveurs et de fermiers. L'ancien système de catéchuménat subsistait encore à la mission et une vingtaine de garçons devait y rester deux ans afin de se préparer à leur baptême, mais en dehors des cours d'instruction religieuse ils ne faisaient pratiquement rien. Nous avons pris un jeune homme qui avait passé deux années au centre social de Kenge et ensuite de Panzi où il avait suivi la formation agricole.

 

  Extrait du volume

      ceeba I, 5 :        

         Agriculture et Elevage 

      dans l'entre Kwango-Kasai.

                Diffusion:    Hochegger@steyler.at 

                                 

         Henri Schwis, Auteur

 

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