La plume au service de la démocratie. Ecrivains congolais, que faites-vous pour votre pays ? par Bernard Ilunga (Afriqu'Info)
Pour beaucoup de gens, la littérature, cest du bavardage creux, de la rêverie, des opinions inconsistantes, etc. "Pourtant, les gens ‘sérieux, ceux qui ont le pouvoir censurent des livres, les interdisent ; ils emprisonnent des poètes et des romanciers ou bien ils les exilent. Ils ont manifestement peur de la littérature. Pourquoi ? Parce que la littérature est aussi un pouvoir. Par ses images, ses symboles, sa musique, ses rythmes, elle a la puissance dévoquer pour nous des possibilités dexistence que notre monde ou notre société ne réalise pas. Elle nous fait sentir que nous pourrions être autres que nous ne sommes, que les choses pourraient se passer autrement quelles ne se passent dans notre milieu, dans notre société, dans notre monde. Ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver"(1). La littérature est un pouvoir. Elle transforme la société de lintérieur, à son insu pour ainsi dire. La littérature, cest comme du levain dans la pâte. Bien des grandes révolutions dans lhistoire de lhumanité ont été le fait des écrivains. Les idées de "Liberté-Fraternité-Egalité" de
Et pour notre pays, quel rôle peut jouer un écrivain en ces temps des turbulences politiques ? Sa mission : éclairer les masses, les éveiller à la démocratie, aux valeurs patriotiques, et jajouterais volontiers, former les jeunes aux valeurs morales. Quand on voit le héros dun roman, par exemple, se sacrifier, au risque de tout perdre, pour une cause noble, ça vous donne, inconsciemment ou non, lenvie de limiter. Ce que fait le héros dans un univers imaginaire, nous sommes stimulés, inconsciemment ou non, à lappliquer dans la vie réelle. La littérature est en effet un formidable pouvoir daction. Après lecture des Trois femmes dans la tourmente, un recueil de nouvelles publié au pays aux Ed. Médiaspaul, une fille, dans les vingt ans, écrit à lauteur : "Je suis en train de vivre le même drame que lhéroïne de lune de vos nouvelles. Son courage, et les réponses quelle a données à son problème mont inspiré une action positive en vue de sortir, moi aussi, du pétrin. Dores et déjà, je me suis engagée dans laction…" Il ny a pas meilleure consolation pour un écrivain ! Du moins sil nécrit pas seulement pour les pognons , et mieux encore sil est un écrivain doublé dun éducateur. Du reste, quil le veuille ou non, lécrivain remplit aussi les fonctions déducateur.
Alors, le combat dun écrivain pour la démocratie passe aussi par ses livres. Et peut-être sexprime-t-il mieux, ce combat, dans ses livres. Quand Djungu Simba écrit son On a échoué (publié aux Ed. du trottoir), il apporte sa contribution au débat pour la démocratie, il propose dans ce roman un modèle de société quil juge meilleur. Il stigmatise larbitraire, la bêtise, lexploitation de lhomme par son compatriote, etc. Stigmatisant, il propose les voies et moyens pour sortir de la boue. La mort faite homme de Pius Ngandu Nkashama est un véritable cri, un non crié de vive voix contre les systèmes de mort dans lesquels ont versé les régimes africains. Malheureusement, ce roman volumineux, publié en Europe est peu connu au pays… Dailleurs, son style ne le met pas à la portée de tous. Kagomba Lulumba publia, en pleine période du mobutisme, un véritable réquisitoire contre ce régime, dans son roman intitulé Misère au point (Ed. Impala). "Un autre rire et un autre sourire sont possibles, y lit-on, pas seulement ce sourire qui tourne au rictus et ce rire où domine le sanglot". Et dernièrement, juste au moment où le mobutisme tombait, comme un fruit mûr, à lHarmattan est paru Les Naufragés de lhistoire, dun compatriote. Ce roman chante lespoir du peuple en une autre vie, un peu plus digne dêtre appelée vie humaine et encourage à se garder propre malgré le climat pourri dans lequel on baigne.
Mesdames et messieurs les écrivains congolais, donnez-nous à lire… Faites entendre votre voix. Parlez, je voulais dire, prêchez à temps et à contretemps. Inondez-vous de romans, de contes, de nouvelles… Dites-nous sur tous les tons que les choses peuvent être autres quelles ne sont maintenant. Dites-nous que nous sommes les artisans de notre propre destin. Insufflez-nous le courage pour laction salvatrice, rénovatrice. Ne vous taisez surtout pas. Faites-vous les chantres de la démocratie, les défenseurs des droits de lhomme. Vous êtes la voix de ceux qui nont pas de voix. Vous êtes les yeux de ceux qui nont pas dyeux, ou qui les ont mais préfèrent les tenir fermés. Ecrivez, inventez… Le peuple congolais ne peut pas se passer de vous. Par-dessus tout, conservez jalousement cette liberté desprit qui fait justement que lécrivain soit écrivain et non un troubadour. Si possible, faites-vous publier au pays. Vos livres publiés en Europe, cest pour les Européens ! ! ! Le peuple congolais na pas assez de moyens pour se payer ces livres aux prix prohibitifs, et même introuvables dans bien des libraires du pays. Quand vous écrivez, visez le peuple congolais. Cest vrai, la littérature est internationale, mais le moment historique que nous traversons vous impose le devoir patriotiquement moral de contribuer, vous aussi, à lavènement dun pays où il fait bon vivre. Ecrivez donc ! Parlez-nous de la vie concrète, non des héros "emportés par une destination astrale".
"Tu parles bien, me direz-vous, comment écrire dans un pays peuplé danalphabètes, dans un pays où ceux qui savent lire préfèrent plutôt compter, puisque compter cest rentable ?" Même dans ce cas, chers compatriotes de la plume, écrivez ! Le peu dhommes et de femmes qui vous lisent répandront vos idées, si elles sont valables. Le changement a toujours été initié par une élite. La masse le traduit en actes et le finalise. En tout état de cause, écrivez ! Ecrivez même si, par impossible, il ny avait quun seul congolais à vous lire.
Jaimerais avoir les opinions des compatriotes sur le rôle des écrivains congolais dans la démocratisation des institutions de notre pays. Et si par hasard, un écrivain me répondait, je nen serais que trop heureux. Comme vous laurez remarqué, je nai pas épuisé le thème que je me suis proposé de traiter dans cet article, histoire de ne pas être trop long. A suivre donc.
Nous tenons aux… Non, nous autres, on ne tient à rien ! Cest pourquoi on voudrait convaincre plutôt que vaincre.
(1) F. Eboussi Boula, A contretemps. Lenjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1990, p. 110.
Patriotiquement vôtre,
Bernard Ilunga
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