La plume au service de la démocratie. Ecrivains congolais, que faites-vous pour votre pays ? par Bernard Ilunga (Afriqu'Info)

Pour beaucoup de gens, la littérature, c’est du bavardage creux, de la rêverie, des opinions inconsistantes, etc. "Pourtant, les gens ‘sérieux’, ceux qui ont le pouvoir censurent des livres, les interdisent ; ils emprisonnent des poètes et des romanciers ou bien ils les exilent. Ils ont manifestement peur de la littérature. Pourquoi ? Parce que la littérature est aussi un pouvoir. Par ses images, ses symboles, sa musique, ses rythmes, elle a la puissance d’évoquer pour nous des possibilités d’existence que notre monde ou notre société ne réalise pas. Elle nous fait sentir que nous pourrions être autres que nous ne sommes, que les choses pourraient se passer autrement qu’elles ne se passent dans notre milieu, dans notre société, dans notre monde. Ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver"(1). La littérature est un pouvoir. Elle transforme la société de l’intérieur, à son insu pour ainsi dire. La littérature, c’est comme du levain dans la pâte. Bien des grandes révolutions dans l’histoire de l’humanité ont été le fait des écrivains. Les idées de "Liberté-Fraternité-Egalité" de la Révolution Française ont été injectées dans la masse par des écrivains, Jean-Jacques Rousseau et les autres. Plus près de nous, qu’on pense à Sartre. Le succès incontestable de Sartre en France après la seconde guerre mondiale est moins dû à ses oeuvres philosophiques, qui du reste sont difficiles à lire, qu’à ses oeuvres littéraires. Avec ses pièces de théâtre, Sartre a agit sur des générations entières de jeunes et d’intellectuels français et autres. Je passe sous silence les Diderot, les Voltaire, le Mallarmé, les Hugo, les Mauriac, etc. La littérature est un pouvoir. Elle est une contestation de l’arbitraire. Et puisque par définition, la littérature n’est jamais quelque chose d’ésotérique, elle est la nourriture de la masse. A travers ses fantaisies, à travers le courage ou la lâcheté de ses personnages, la littérature tire le peuple (je préfère parler de la masse) de son sommeil, de sa léthargie ; le contraint à réfléchir sur sa vie ; et lui dit que les choses peuvent toujours être mieux qu’elles ne sont maintenant. La littérature a toujours été un combat contre le fatalisme et le défaitisme. Ce qui est arrivé, dit-elle, aurait pu ne pas arriver si… et n’arrivera pas une fois encore si… Elle nous apprend que rien n’est finalement définitif. La littérature enlève les bâillons qui empêchent les masses de voir, aiguisent leur esprit critique, les stimulent à l’action. Une bonne littérature n’est jamais neutre : elle prend toujours position pour la vie (bien sûr l’écrivain peut toujours se tromper). L’art pour l’art, ça n’existe jamais ! La littérature est une prise de position dans la marche concrète des affaires de la "res publica", sinon, on ne comprendrait pas que "ceux qui ont le pouvoir" persécutent les écrivains.

 

Et pour notre pays, quel rôle peut jouer un écrivain en ces temps des turbulences politiques ? Sa mission : éclairer les masses, les éveiller à la démocratie, aux valeurs patriotiques, et j’ajouterais volontiers, former les jeunes aux valeurs morales. Quand on voit le héros d’un roman, par exemple, se sacrifier, au risque de tout perdre, pour une cause noble, ça vous donne, inconsciemment ou non, l’envie de l’imiter. Ce que fait le héros dans un univers imaginaire, nous sommes stimulés, inconsciemment ou non, à l’appliquer dans la vie réelle. La littérature est en effet un formidable pouvoir d’action. Après lecture des Trois femmes dans la tourmente, un recueil de nouvelles publié au pays aux Ed. Médiaspaul, une fille, dans les vingt ans, écrit à l’auteur : "Je suis en train de vivre le même drame que l’héroïne de l’une de vos nouvelles. Son courage, et les réponses qu’elle a données à son problème m’ont inspiré une action positive en vue de sortir, moi aussi, du pétrin. D’ores et déjà, je me suis engagée dans l’action…" Il n’y a pas meilleure consolation pour un écrivain ! Du moins s’il n’écrit pas seulement pour les pognons , et mieux encore s’il est un écrivain doublé d’un éducateur. Du reste, qu’il le veuille ou non, l’écrivain remplit aussi les fonctions d’éducateur.

 

Alors, le combat d’un écrivain pour la démocratie passe aussi par ses livres. Et peut-être s’exprime-t-il mieux, ce combat, dans ses livres. Quand Djungu Simba écrit son On a échoué (publié aux Ed. du trottoir), il apporte sa contribution au débat pour la démocratie, il propose dans ce roman un modèle de société qu’il juge meilleur. Il stigmatise l’arbitraire, la bêtise, l’exploitation de l’homme par son compatriote, etc. Stigmatisant, il propose les voies et moyens pour sortir de la boue. La mort faite homme de Pius Ngandu Nkashama est un véritable cri, un non crié de vive voix contre les systèmes de mort dans lesquels ont versé les régimes africains. Malheureusement, ce roman volumineux, publié en Europe est peu connu au pays… D’ailleurs, son style ne le met pas à la portée de tous. Kagomba Lulumba publia, en pleine période du mobutisme, un véritable réquisitoire contre ce régime, dans son roman intitulé Misère au point (Ed. Impala). "Un autre rire et un autre sourire sont possibles, y lit-on, pas seulement ce sourire qui tourne au rictus et ce rire où domine le sanglot". Et dernièrement, juste au moment où le mobutisme tombait, comme un fruit mûr, à l’Harmattan est paru Les Naufragés de l’histoire, d’un compatriote. Ce roman chante l’espoir du peuple en une autre vie, un peu plus digne d’être appelée vie humaine et encourage à se garder propre malgré le climat pourri dans lequel on baigne.

 

Mesdames et messieurs les écrivains congolais, donnez-nous à lire… Faites entendre votre voix. Parlez, je voulais dire, prêchez à temps et à contretemps. Inondez-vous de romans, de contes, de nouvelles… Dites-nous sur tous les tons que les choses peuvent être autres qu’elles ne sont maintenant. Dites-nous que nous sommes les artisans de notre propre destin. Insufflez-nous le courage pour l’action salvatrice, rénovatrice. Ne vous taisez surtout pas. Faites-vous les chantres de la démocratie, les défenseurs des droits de l’homme. Vous êtes la voix de ceux qui n’ont pas de voix. Vous êtes les yeux de ceux qui n’ont pas d’yeux, ou qui les ont mais préfèrent les tenir fermés. Ecrivez, inventez… Le peuple congolais ne peut pas se passer de vous. Par-dessus tout, conservez jalousement cette liberté d’esprit qui fait justement que l’écrivain soit écrivain et non un troubadour. Si possible, faites-vous publier au pays. Vos livres publiés en Europe, c’est pour les Européens ! ! ! Le peuple congolais n’a pas assez de moyens pour se payer ces livres aux prix prohibitifs, et même introuvables dans bien des libraires du pays. Quand vous écrivez, visez le peuple congolais. C’est vrai, la littérature est internationale, mais le moment historique que nous traversons vous impose le devoir patriotiquement moral de contribuer, vous aussi, à l’avènement d’un pays où il fait bon vivre. Ecrivez donc ! Parlez-nous de la vie concrète, non des héros "emportés par une destination astrale".

 

"Tu parles bien, me direz-vous, comment écrire dans un pays peuplé d’analphabètes, dans un pays où ceux qui savent lire préfèrent plutôt compter, puisque compter c’est rentable ?" Même dans ce cas, chers compatriotes de la plume, écrivez ! Le peu d’hommes et de femmes qui vous lisent répandront vos idées, si elles sont valables. Le changement a toujours été initié par une élite. La masse le traduit en actes et le finalise. En tout état de cause, écrivez ! Ecrivez même si, par impossible, il n’y avait qu’un seul congolais à vous lire.

 

J’aimerais avoir les opinions des compatriotes sur le rôle des écrivains congolais dans la démocratisation des institutions de notre pays. Et si par hasard, un écrivain me répondait, je n’en serais que trop heureux. Comme vous l’aurez remarqué, je n’ai pas épuisé le thème que je me suis proposé de traiter dans cet article, histoire de ne pas être trop long. A suivre donc.

 

Nous tenons aux… Non, nous autres, on ne tient à rien ! C’est pourquoi on voudrait convaincre plutôt que vaincre.

 

(1) F. Eboussi Boula, A contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1990, p. 110.

 

Patriotiquement vôtre,

 

Bernard Ilunga

© Afriqu'Info asbl.

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