Marine Issumo (MePharTech) relativise "l'instabilité qui règne au Congo"

Marine ISSUMO est née à Kinshasa et a vécu aussi bien en Belgique qu'au Congo. Elle a créé sa propre société, il y a près de quatre années, qu'elle exploite à Lubumbashi, MePharTech SPRL. En plus de ses obligations professionnelles, elle a été présidente du Rotary Club Lubumbashi Etoile.

MePharTech est distributeur d’appareils, équipements, consommables médicaux, instruments chirurgicaux et accessoires de laboratoire (y compris réactifs). La société revend aussi des livres médicaux et des spécialités pharmaceutiques sur commande spéciale. "Toute la marchandise provient de la Belgique", déclare Mme Issumo. "En Belgique, j'ai des fournisseurs comme les sociétés Michiels S.A.(Bruxelles) et Cypress Diagnostics (Langdorp).Tout récemment, lors de la dernière mission commerciale de l’Awex à Lubumbashi, elle a conclu des accords de représentation avec deux autres firmes belges : Somers N.V. (Semences) et V.M.D. (Produits Vétérinaires). Son souci étant « Votre Santé est notre Priorité », l’ajout de ces deux activités lui permet « de fermer la boucle ». « Une alimentation saine par une agriculture variée et la consommation du produit d’un élevage sain permet de construire son capital santé et ainsi de réduire les risques de maladies et autres conséquences dues à un régime alimentaire déséquilibré ou malsain ».

En ce qui concerne les investissements, il n’est pas nécessaire attendre le jour où le Congo sera définitivement stable. La notion de stabilité est très aléatoire, très subjective quel que soit le pays où l’on se trouve. "Plus l'économie se redressera, plus le climat politique s'améliorera aussi. Un homme d'affaires averti doit pouvoir déterminer quelle est la somme d'argent qu’il peut « risquer ». Ce sera ce montant qu’il pourra investir dans un pays comme le Congo."

La gérante de MePharTech n’a pas pu confirmer si créer une société au Congo est plus difficile qu’ailleurs. "Quand on démarre, c'est bien difficile, il faut se battre, ça oui: il y a tant de lois et de taxes dont on peut ignorer l'existence. Le principal : croire en son projet". Mme Issumo conseille au nouvel investisseur de s'adresser à un consultant local et de profiter du savoir-faire acquis par les entreprises déjà établies."

"Chaque choix comprend des avantages et des inconvénients. J’ai eu l’opportunité de démarrer dans un secteur qui n’existait plus : la vente de matériel médical… tout ce qui touche de loin ou de près le secteur médical, hospitalier. Les utilisateurs s'étaient habitués au fait qu'il fallait s’approvisionner à Kinshasa ou de l’autre côté de la frontière en Zambie ou encore plus au Sud. Des commissionnaires se partageaient ainsi cette distribution. La notion d’un prix réel d’un article, produit, équipement s’était tout doucement diluée. Les intermédiaires s'enrichissaient parfois de manière hors normes. Mon affaire marche assez bien, avec des hauts et des bas. Je suis devenue un fournisseur de référence à Lubumbashi, et notre clientèle vient de tout le Katanga et parfois même du Kasaï."

Expatriés

"Les expatriés à Lubumbashi constituent un petit monde à part, les nouveaux arrivés européens se sentent souvent « exclus ». Kinshasa est une ville qui fascine et elle revêt un caractère multiculturel. Dans la province du Katanga, on ressent parfois encore certains relents du paternalisme, une relique de l'époque coloniale. Cet esprit tend cependant à disparaître."

Marine Issumo peut apporter maints conseils aux Belges qui souhaitent investir au Congo, en particulier aux PME. "L'insécurité existe mais est fort relative au Congo; l'Est est la seule partie du pays où il persiste néanmoins une forte insécurité. Un respect des lois, de la législation sociale et fiscale et une vie simple permet d’évoluer correctement.

De grandes sociétés telles que Vodacom et Celtel ont engagé de gros investissements au Congo. A la suite de ces implantations, des localités retirées au fin fond des provinces ont découvert la bénédiction de la télécommunication. "Beaucoup de Congolais ont commencé à utiliser un téléphone portable, un vrai pas en avant pour le Congo. Cet instrument permet de communiquer et de soutenir aussi un essor de l'agriculture à l'intérieur du pays. On constate aussi qu'à plusieurs endroits dans le pays, les habitants commencent à réparer les routes. Dans ce domaine, l’Etat a encore beaucoup à réaliser. La reconstruction du Congo est un défi tellement gigantesque qu'il faudra beaucoup d'années pour parvenir au but.

Mais il y bien quelques grands projets qui reçoivent le soutien de la Banque Mondiale, de l' Union Européenne, Coopération technique belge et autres bailleurs de fonds."

Au Congo, il y a assez de place pour ceux qui veulent venir investir, déclare Mme Issumo. "Parfois, les expatriés qui résident depuis quelques générations esquissent une image un peu sombre du pays pour effrayer les nouveaux entrepreneurs potentiels. Mais ces mêmes individus ne quittent pas le pays, tout simplement parce que la plupart, tout compte fait, parviennent à maintenir leur niveau de vie. Souvent, ils prétendent ne pas trouver d’acquéreurs pour leurs entreprises, mais ce n’est pas toujours le cas. D'ailleurs, on remarque que ces mêmes hommes d’affaires financent de nouveaux investissements assez régulièrement. Très souvent, il y a une grande différence entre les paroles et les actes des Belges ou même autres expatriés sur place."

Opportunités

Pour Marine Issumo, tout secteur offre des opportunités. Le Congo exprime un très grand besoin d'investissements dans les voies routières, ferroviaires et fluviales. Dans l'éducation et dans les soins de santé, les besoins sont gigantesques. La relance de l'agriculture, pêche, élevage afin de produire pour les besoins locaux mais aussi exporter, et ainsi ne plus dépendre d’importations onéreuses et souvent de qualité inférieure.

Le climat, pluviométrie élevée et la fertilité du sol à travers tout le Congo constituent des atouts majeurs pour l’agriculture. Le secteur de l’exploitation minière quant à lui est plutôt complexe car les enjeux y sont énormes et les industriels qui s’y lancent sont parfois très audacieux. L'industriel belge Georges Forrest a au fil des années créé un groupe dont la gestion est moderne et où les aspirations du personnel sont prises en compte.

L’assemblage des petites voitures économiques au Congo demeure un marché ouvert. "Auparavant, des constructeurs comme Ford et Peugeot exploitaient des usines d'assemblage à Kinshasa. Le parc automobile de la ville de Lubumbashi actuellement provient en grande partie de Dubaï."

La construction de logements conformes et rationnels, l’urbanisation, la distribution de l’eau, de l’électricité, tant de secteurs encore ouverts et qui à moyen terme seront porteurs.

Lubumbashi dispose déjà d'un grand nombre d'hôtels, de restaurants et de cafés. "Mais dans d'autres villes congolaises, la couverture « horeca » reste très pauvre. Le tourisme est un secteur d'avenir aussi, mais devrait rester « VIP » et ce afin de ne pas tomber dans les méfaits causés à travers le monde par un tourisme de masse, souvent très peu soucieux de l’environnement et de la culture du pays hôte.

Tracasseries

Les tracasseries dont souffrent les entrepreneurs diminueront graduellement au fur et à mesure que les investissements croîtront.

"Si les Belges ou autres européens ne se décident pas plus rapidement pour investir au Congo, nous risquons de voir déferler plus d’aventuriers.

Un homme d'affaires belges a plus d’égard pour la législation et autres normes sociales; nombre d’Asiatiques au Congo se montrent moins scrupuleux. »

Le secteur bancaire à Lubumbashi s’est fort amélioré grâce à l’arrivée de nouvelles institutions bancaires. Les opérations de change, de transfert etcetera sont devenues plus aisées mais restent toutefois excessivement coûteuses. De grands efforts ont été accomplis mais

"il reste beaucoup à faire dans le domaine bancaire, qui parfois demeure encore très conservateur." La femme d'affaires déconseille aux nouveaux « venus » d’élaborer un vrai « business plan » calqué sur un modèle européen. Un tel modèle est très difficile à respecter car les surprises ne manquent pas. La flexibilité doit rester de mise lors du lancement d’une nouvelle activité.Les grandes entreprises doivent être prêtes à investir également dans le bien-être social de leurs employés (logement), dans une école, dans un hôpital ou mieux encore dans la formation et recyclage. "De cette façon, elles prouveront leur engagement sur du long terme. Il ne s’agit pas de colonialisme ou de retour au paternalisme. » Il faut tout simplement que l'entreprise se positionne comme un partenaire de son personnel et investisse dans ce personnel. Les petites et moyennes entreprises disposent de l'atout qu'elles sont flexibles et qu'elles réagissent très vite."

Le fait de participer à une mission économique n'est pas nécessairement le meilleur moyen pour faire la «reconnaissance du terrain». "Il faut être sur le terrain 3 ou 4 fois par an pour s’imprégner des réalités congolaises. Ceux qui font appel à un consultant, doivent effectuer une sélection très stricte. Très malheureusement des investisseurs belges se limitent à des contacts avec des congolais à l’étranger, ce manque d’ouverture mène souvent à la prise de décisions biaisées ou qui ne correspondent pas à la réalité du pays. Les diplomates, les services consulaires, les entreprises congolaises avec une vision moderne, les diverses congrégations religieuses constituent une source fiable d’informations."

Une question très actuelle : le problème de la corruption au Congo. "Il est tout à fait possible de ne pas entrer dans ce jeu. Payer les taxes, éviter l’informel, les tricheries de tout genre. Oui, le niveau des taxes est souvent très élevé, et mériterait un assouplissement. Le choix fondamental de la voie choisie pour travailler réside dans le fait si oui ou non vous souhaitez exercer votre activité selon l’éthique. En tant que rotarienne, ce souci demeure fondamental dans chaque acte posé. Cet état de fait est extrêmement important pour l’investisseur qui vise le long terme. Choisir la corruption comme moyen de travail soumet l’entrepreneur aux chantages les plus divers et à nombre de surcoûts et finalement son découragement".

© Denis Bouwen, rédacteur en chef de www.congoforum.be et l’un des vice-présidents de l’asbl CongoForum.

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.