SÃO TOMÉ ET PRINCIPE . ENTRE TRADITIONS BANTU ANGOLAISES ET PARTICULARITÉS INSULAIRES
Ces deux bornes culturelles ressortent assez clairement á la lecture de l´Enciclopédia Fundamental de São Tomé et Principe,l´une des derniéres œuvres du prolifique Carlos Espírito Santos, et publiée par la coopération portugaise ( Ministére des Affaires Etrangéres, Institut Camões et Centre Culturel Portugais de la capitale de l´archipel ).
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Véritable pavé de 603 pages, agencé, tout simplement, en ordre alphabétique, cet ouvrage présente diverses réalités de cet ensemble ilien du Golfe de Guinée, dans le sillage de travaux similaires, publiés ces derniéres années, – la taille du pays facilitant cet type d´inventaire plus ou moins détaillée.
L´auteur qui est Professeur á l´Université Moderne de Lisbonne, propose , utilement, de courtes biographies de personnalités saotoméennes, qui ont marqué , dans une certaine mesure, la vie politique, économique, administrative, scientifique, littéraire et religieuse de cet Etat diptyque. Il y inclut , concomitamment, des informations , illustrées par des iconographies d´assez bonne qualité, portant sur les réalités géographiques, l´habitat, la production cacaoyére, les expressions folkoriques, les habitudes alimentaires, les croyances religieuses, la médecine traditionnelle, la créativité littéraire, etc.
Le néo-encyclopédiste dresse aussi, entre autres éléments, un répertoire des termes d´origine africaine, et essentiellement bantu, – dont il n´établit pas, malheureusement, les attaches étymologiques continentales. Ceux-ci se sont particularisés ou non , et sont en usage dans les trois créoles des îles jumelles : le forro, dans la capitale et dans une grande partie de São Tomé , l´angolar, dans la partie méridionale de l´île sainte et le minu iê, dans l´autonome Principe.
L´examen du cadre terminologique restitué, refléte bien l´histoire du peuplement de l´archipel , marquée , par l´installation , quelques années aprés sa découverte par des marins portugais , en 1470, jusqu´au XX éme , plus précisément á la fin des années 50, d´une main d´oeuvre agricole, majoritairenent , venue – proximité géographique oblige- du Golfe de Guinée, des régions bantoides du Delta du Niger, en passant par les côtes de l´actuel Gabon , la « Loango Coast », le Ngoyo , le Kakongo, le Royaume du Kongo et la Colonie d´Angola .
L´évolution des rapports de force sur les côtes et l´hinterland de l´Afrique occidentale et le partage par les puissances européennes des territoires africains, au XIX éme siécle, limitera l´approvisionnement en main-d´oeuvre de São Tomé, aux seules possessions portugaises du Cap Vert, mais surtout, et, pour l´essentiel , et comme toujours , depuis le XVI éme siécle, á l´Angola.
L´ouverture de la filiére mozambicaine , depuis la « contre-côte » portugaise
que Espirito Santos met , naturellement , en relief, n´aura d´autre effet que de renforcer la composante bantu de São Tomé et Principe.
Ce substrat de caractére linguistique et anthropologique se perpétuera donc, ou presque intégralement , ou des formes dérivés , ou enfin, sous des aspects composés. Et, l´Encyclopédie renferme, á ce sujet et á divers niveaux , de nombreux exemples.
La cristallisation de certains termes est révélatrice de l´importance de l´Angola dans le peuplement de l´archipel. C´est ainsi que l´adjectif angolar est défini, dans l´ouvrage, comme caractérisant une entité ethnique constituée, pour l´essentiel, de groupes qui sont venus, á partir du milieu du XVI éme siécle, du nord de l´Angola .
Quant au substantif cabinda, il est employé , surtout dans la lungua santomé ( forro ) , pour désigner la main-d´œuvre angolaise travaillant , comme contratados , dans les immenses exploitations cacaoyéres du pays.
Expliquant le terme puita , Espirito Santo, soutient que c´est une danse introduite dans l´ensemble insulaire par les « serviçais contratados » d´Angola .
L´on notera parmi les centaines de bantouismes répertoriés, dont la grande particularisation est l´accentuation finale généralisée, ceux liés aux activités économiques, á la vie sociale et aux croyances traditionnelles. Et, l´on y retrouve makukú ( foyer de cuisine ) , calulú ( plat á base de poissons et de légumes, typique de la région de Luanda ) , guembú ( chauve-souris ) , anka ( crabe), gandú ( tubarão ) , micondó ( baobac), npavu ( abri ), fundá ( oferta ) , canga ( prisão ) , fulú ( vouloir ), ngungu ( bouder), bambi ( jurement de malheur ), canzá ( bois á friction ) , bula uê ( danse ) , sacaia ( maracas ) , Djambi ( Deus ) , etc.
L´un des faits majeurs mis en relief par l´Encyclopédie est la perpétuation, presque exclusivement bantu, des termes liés á la faune et á la flore. C´est ainsi que, par exemple, bungá désigne l´arbre Sterculina sp , cundú muala vé , la plante Argemone mexicana , cangá , le poisson Pontinus accraesis et enjolo, l´oiseau Neospiza concolor.
L´un des domaines dans lequel la continuité bantu est aussi , immédiatement perceptible, est celui de la littérature écrite .
Francisco de Jesus Bonfim , plus sous son pseudonyme littéraire de Faxicu Bebê Zaua , publiera en 1923 , Fála Sétu . Et, il restituera divers dictons, maximes et proverbes en usage dans les îles , dans la rubrique Tênde cuá du journal A Liberdade .
L´ancien séminariste Horácio do Sacramento Neto, publiera , pour sa part, á Lisbonne, Tonga Sofia, et Milongo, respectivement en 1982 et 1985 .
Quant á l´écrivain angolar Fernando de Macedo, il choisira, tout naturellement, Anguené comme titre de son anthologie de poésie, qu´il publiera á Lisbonne, en 1989. Et, c´est lui, l´auteur de la fameuse étude O povo angolar de São Tomé e Principe, qui a été , plusieurs fois, reéditée depuis 1996 .
L´un des écrivains saotoméens contemporains très ancré dans les cultures de la zone bantu est Francisco Costa Alegre . Celui-ci donnera, sans hésiter, en 1991, á un ensemble de ces poémes , le titre de Madala .Puis, il publiera, dans le même genre, Cinzas ( do Madala ), en 1992 .
Il optera, en 1994, d´attribuer á deux de ses recueils de contes , les titres de Mussanda et Mutété .
La collection de cet écrivain, qui publie, courageusement, sur place, á compte d´auteur , a pour appellation Gibela.
En 2001, Jerónimo Salvaterra publie Mangungo ,un essai sur les traditions orales et le folklore de l´archipel.
Et, ne voulant pas être en reste, le diplomate Joaquim Rafael Branco publiera son conte Makuta, antigamente lá na roça .
Obligé de coller aux réalités culturelles des îles jumelles, le Pére Horacio de Sacramento Neto a titré sa nouvelle, sur les péripéties d´un couple mixte , luso-saotoméen , Milongo.
L´option identitaire bantu est aussi visible dans les noms des ensembles musicaux du pays géminé.
Carlos Espirito Santo répertorie les Quibanzas ( les Nostalgiques ) , les Untués ( les Intelligents ) et Sangazuza ( Ensemble de Sousa ? ). Cette derniére appelation semble être le résultat d´une composition luso-bantu, phénoméne d´hybridation assez fréquent dans les parlers créoles.
L´ouvrage indique aussi d´autres décisions éponymes , enregistrées au sein de la société civile, qui révélent un besoin d´ancrage aux traditions bantu.
L´inévitable poétesse Alda do Espirito Santo est l´une des dirigeantes de l´Association Gingubuê ( autosuffisance ) alors qu´Alda Bandeira, l´ancienne Ministre des Affaires Etrangéres de l´archipel gére la structure caritative Mutendê ( espérance ).
La publication de cet instrument de connaissance de São Tomé et Principe, cette Afrique occidentale, cette Angola délocalisée et insularisée, est importante car il fournit un ensemble de répéres historiques qui sont susceptibles de contribuer á l´intégration régionale d´une zone présentant une géographie politique et économique des plus complexes ,et qui se révélera, dans les prochaines années, de plus en plus, stratégique.
Recension de : Simão SOUINDOULA