LAwalé, une mathématique, une philosophie, une cosmogonie
LAwalé, dans son appellation courante, connu aussi comme Songo, Ngola, Ayo-ayo, Adi, Wori, Bawo, etc. à travers lAfrique est un des plus anciens jeux stratégiques au monde, attesté au moins depuis lEgypte pharaonique. Il sest propagé dans le monde au gré des migrations, déportations, rayonnements, échanges culturels, économiques, politiques, entre lAfrique et le reste du monde avec une remarquable faculté dadaptation et de signification du vivant au-delà de son bassin dorigine africain.
Cette adaptabilité et résistance au temps et à lespace en font un jeu en pleine redécouverte en Occident, en Europe plus particulièrement. La réflexion consacrée par Afrikara.com sur ce pur produit de la culture africaine a dailleurs incité le magazine français naissant «Albert, réveillez vos neurones» à le présenter à ses lecteurs parmi les objets ludiques entretenant les facultés intellectuelles.*
LAwalé, comme le principe générique des produits culturels africains est taillé dans lenchevêtrement de plusieurs dimensions de lexistence, la première étant un discours sur lorigine des choses, de lunivers, la dimension cosmogonique. Cet artéfact en tant quémanation du génie créateur dun peuple en traduit donc la vison du monde, la ou les philosophies, intensif en loccurrence, en exigence mathématique.
LAwalé se donne comme jeu stratégique, dont le but est de remporter plus de graines que son vis-à-vis jusquà ce quil ny ai plus de graines dans le jeu selon des règles particulières. Dans une situation de face à face, les joueurs font appel à la logique, à la cohérence de leurs choix de déplacements des graines, et à un sens stratégique leur permettant denvisager une capture maximale de graines de ladversaire. Une grande capacité spéculative, danalyse combinatoire est donc requise, les spécialistes parlent de spécularité dailleurs, puisque le joueur doit anticiper les actions de son vis-à-vis, en supposant lesquelles il jouerait lui en fonction des réactions adverses. Il sagit donc dune répétition des effets, des causes, des interactions stratégiques, avec pour chaque joueur un objectif, une façon dy parvenir -stratégie- et une séquence de coups à jouer -actions. Le calcul est toujours à lœuvre, celui du nombre de graines, de trous dans lesquels elles sont déposées ou capturées, celui des forces de ladversaire … Pas étonnant que dans le Ghana précolonial, les souverains y aient exercé leurs généraux avant les grandes batailles afin déprouver leur sens tactique et leur acuité martiale.
Cette mathématique qui sexprime dans le cadre dun jeu déveil intellectuel et dun loisir captivant sinsère dans une écologie culturelle qui lui donne un sens, une philosophie sen dégage donc, au sens dune réponse à des questionnements fondamentaux de lhumain. Les règles de lAwalé décrivent en creux une vision du monde, une philosophie que nous résumions dans notre article cité par «Albert, réveillez vos neurones» : «La règle interdit daffamer ladversaire, pas de coup fatal donc, il sagit de vie et pas de mort. Tout humain-joueur a le droit de vivre, même celui qui serait trop faible pour tenir tête à son adversaire. Le jeu, de plus, senroule de telle sorte que les graines sont de fait davantage partagées entre joueurs que monopolisées, lespace est marqué en territoires distincts pour chaque vis-à-vis, mais il est aussi en usufruit, telle une propriété collective avec un possesseur qui ne peut enfreindre la règle de céder le passage à son concurrent et vice versa. Chaque joueur parcourt le territoire de son rival à la recherche de graines à manger, traduisant une image de la liberté de circulation et de droit inaliénable de salimenter. Ceci sapparente à une méta-coopération dans un jeu non-coopératif à somme nulle, ou ce que lun gagne est égal à ce que lautre perd. La compétition est faite déchanges mutuels permanents et de transactions, de rencontres, de stratégie. La vie, un jeu…peut-être, dune certaine façon.».
Il est à noter quun joueur qui naurait pas de graines en reçoit au moins une de son adversaire, comme par solidarité. Ici lindividualisme, la solitude sont des dangers car plus une graine est isolée dans sa case plus elle a des chances dêtre capturées. Elle a donc intérêt à être … dans le groupe. Pour autant le destin individuel existe bien puisque les graines sont semées une à une dans les cases du jeu quelles remplissent. Un équilibre entre lindividu et le groupe est suggéré dans la philosophie de ce jeu.
En renvoyant lorigine de l Awalé à laction du fils du premier humain, Sindillo fils de Maitoumbe, les Masaï y voient davantage quun objet, un témoin en son tout signifiant, de la création de lunivers, de sa dualité fondatrice, du jeu primordial qui accouche des sociétés, de linédit, de la nouveauté, de lexistence. LAwalé est gestion du temps social en tant que jeu, loisir, lutte contre le vide, il est plaisir de vivre, et symbolise les dyades de lexistence, amitié et haine, amour et désamour, coopération et concurrence, mari et femme, partage de lair de jeu, extraction du «Je» enfuit du solipsisme carcéral de la stricte et exclusive connaissance de soi. LAwalé projette cette ontologique nécessité de la différence, de laltérité lui donnant sens non plus comme un objet ludique mais comme son contraire. Dans lancien Kongo, les Kuba ont développé une cosmogonie très raffinée de ce jeu où les cases sont de véritables maisons, univers primordiaux et les variantes de Ngola -Awalé- pour initiés se jouent sans temps darrêt ni de réflexion, favorisant lintuition, la divination, la mémorisation des stratégies et leur opérabilité.
*Afrikara «Le Come-back de lAwalé» cité par le magazine «Albert, réveillez vos neurones», N°1, mars 2006 qui se veut le « coach » de ceux qui sengagent dans la voie de lentretien de leur facultés intellectuelles.
Lire : Pâris Baletula Diambanza, Les Mystères du Ngola. Jeu de la vie, Tamery / Limon Fertile 2002
Lire : Serge Mbarga Owona, LAwalé, LHarmattan, 2005