Les religions africaines (CADE)

Ces religions syncrétiques et prophétiques n'ont cessé de naître et de se développer dès la période coloniale comme des réponses apportées par les sociétés africaines aux agressions et aux défis de la colonisation et de la modernité. Elles jouent aujourd'hui un rôle important dans tous les secteurs de la vie privée et publique des Africains, en parallèle et en compétition avec les pouvoirs sorciers auxquels le numéro 79 de la revue Politique africaine d'octobre est consacré.
Trois chercheurs et universitaires ont bien voulu faire partager à la CADE leur connaissance des mouvements religieux auxquels ils ont consacré leurs travaux : le matswanisme, le harrisme et les religions afro-chrétiennes.
Pour la clarté du compte-rendu, nous avons regroupé les exposés ainsi que les questions et les réponses du débat correspondant à chacun de ces mouvements.

 

Le Matswanisme

Abel Kouvouama est maître de conférence associé à l'Université de Picardie et vient de soutenir sa thèse de doctorat d'Etat sur le Matswanisme du Congo-Brazza. Ce mouvement offre la particularité d'être né à Brazzaville en 1945, après la mort de son fondateur en 1942, à Paris où il avait été exilé par l'autorité coloniale.

D'abord mouvement associatif né pendant la fin de la période coloniale, le matswanisme est devenu un mouvement religieux après la mort de son fondateur.

Ce mouvement avait débuté en France, en 1926, dans la légalité, à partir d'une association amicale des originaires de l'Afrique équatoriale dont le but était de "secourir les Noirs libérés du service militaire en France". À l'origine, Matswa n'apportait pas de message religieux et ne prétendait pas avoir reçu une mission divine. Il fut néanmoins arrêté par les autorités coloniales lorsqu'il vint au Congo pour y récolter des fonds destinés à son amicale et exilé en France. C'est alors que le Matswanisme s'est installé dans la croyance de la non-mort de son fondateur- les circonstances de sa mort et de sa sépulture n'ont jamais été élucidées- et dans celle de son retour à Brazzaville avec le général de Gaulle. C'est alors que le mouvement s'est transformé en mouvement religieux. Ce fut le temps de l'attente.

Le récit et l'attente messianiques répondaient à une aspiration des Congolais à s'approprier leur identité, à construire leur propre univers social et politique, à vivre leur conscience historique, en réaction au régime colonial, l'accession du Congo-Brazza à l'indépendance aurait pu mettre fin à ce mouvement. Or il n'en a rien été.

La répression du mouvement par les pouvoirs nationaux a provoqué sa dispersion et sa diffusion en dehors du pays Lari où il était né. Il s'est alors organisé pour durer, dans l'opposition à tous les régimes.

Les rapports avec l'abbé Fulbert Youlou, le premier président de la république du Congo-Brazza ont marqué le début d'une nouvelle étape dans la vie du mouvement que M. Kouvouama l'appelle le temps du renouvellement.

Le passage ne s'est pas fait entre le matswanisme et le premier président du Congo indépendant et ses successeurs ont poussé le mouvement dans l'illégalité et ses membres dans l'exil. Persécutés, dispersés, sous les gouvernements Youlou, (1956-1963), Massembat Debat (1963-1968), N'gouabi, 1968-1977), Sassou N'guesso (1979-1992) les matswanistes se sont répandus dans tout le pays, y ont acheté des terres, y ont fait souche en apprenant la langue et en se mariant sur place, y ont fait des adeptes, apportant une réponse à la souffrance postcoloniale qui avait pris la suite de la souffrance coloniale. Le mouvement s'est alors organisé en créant un gouvernement central, en investissant des leaders, en pratiquant le traitement du corps et des "maladies sorcières".

En 1990, l'ouverture rendue possible par la Conférence nationale a permis aux mouvements religieux de réapparaître quelque temps sur la scène politique et d'y jouer un rôle mystico-politique.

Les matswanistes n'ont pas pris part à la première guerre civile de 1992-1993, mais en 1998, un autre prophète s'est levé, N'Toumi, qui, lui, a choisi la guerre, et qui a embrigadé les jeunes, les définissant comme des "nsilulu" (en kongo : "les sauveurs") d'abord aux cotés de Kolelas, puis en se démarquant de lui, et en leur promettant l'invincibilité. Le retour au pouvoir de Sassou N'guesso n'a pas mis fin à la dissidence des matswanistes qui, avec N'Toumi, ont refusé de suivre Kolélas et de rejoindre la conférence de réconciliation organisée par le président Sassou N'guesso, qui a lieu en ce moment (du 16 mars au 30 avril 2001 à Brazzaville).

Obscurantisme ou créativité moderne ?

À cette question posée par un intervenant, Abel Kouvouama a répondu que l'adhésion au matswanisme était une démarche d'affirmation de la liberté de l'individu, qu'elle était par elle-même un refus des clivages ethniques et l'émergence de l'individu citoyen, ce que JP Dozon confirme avoir constaté dans l'enquête à laquelle il a participé en 1975. Aujourd'hui, les cérémonies cultuelles comportent des expressions chorales de grande ampleur et de très belle tenue. Sans doute sous l'influence des églises de réveil, le mouvement pratique également des thérapies, glossolalies et ordalies, destinées à soigner l'individu et le corps social.

Abel Kouvouama rappelle que Matswa a été catéchiste, douanier, puis qu'il est parti à l'aventure en France où il a créé l'amicale des originaires d'Afrique Equatoriale Française (du Congo, de Fort-Lamy, de Bangui). Il a fait la guerre du Rif, dont il est revenu blessé et avec le statut d'ancien combattant. JP Dozon insiste sur le fait que Matswa était partisan de l'assimilation avec les Européens et qu'il demandait un statut d'égalité.

Le Matswanisme qui a joué un rôle important pendant les années 1990 de la transition démocratique est devenu un acteur de la société civile congolaise, mais il est toujours dans la dissidence.

En 1990, les matswanistes ont été très actifs lors de la conférence nationale dont la présidence a été confiée à Mgr Kombo, dont la sensibilité et les comportement étaient proches du "renouveau charismatique". Chaque participant avait sa Bible. Pendant quatre mois, ils ont prié, nettoyé les cimetières invoqué les morts. Aujourd'hui, poursuit Abel Kouvouama, les Matswanistes sont nombreux et puissants. Ils ont des lieux de culte avec des autels décorés de statues de Matswa, de de Gaulle. Ils ont créé des associations très actives qui travaillent avec les ONG , qui reçoivent des fonds provenant de la solidarité publique et privée internationale, qui gèrent des centres de soins et tentent d'offrir à la population, et en particulier aux réfugiés, les services que l'État congolais n'est plus en mesure de leur apporter du fait de la guerre civile.

Une congolaise qui s'est présentée comme étant la petite fille d'un matswaniste est intervenue pour dire que Matswa avait fait sienne la devise républicaine de liberté, d'égalité et de fraternité, et qu'en 1941, il était porteur d'un message libérateur. Mais le nouveau pouvoir mis en place à l'indépendance a décidé, avec la complicité de la France, de tenir le mouvement à l'écart. L'intervenante témoigne des persécutions subies par le matswanisme de la part des autorités coloniales puis nationales. Son grand-père a été exilé pendant 20 ans au Tchad, le mouvement a été tenu à l'écart du pouvoir dès l'accession du pays à l'indépendance et il s'est replié sur ses activités religieuses. Le matswanisme a été pour ses adeptes un mouvement de retour sur soi, d'affirmation et d'expression de son humanité niée par le colonisateur et par les pouvoirs qui lui ont succédé. Il est aujourd'hui un mouvement de défense des congolais persécutés par le pouvoir en place et qui se battent pour le respect des droits de l'homme et l'avènement d'un État de droit au Congo-Brazza..

 

Le Harrisme

Jean-Pierre Dozon, directeur de recherche de l'IRD, enseignant à l'EHESS, auteur de La cause des prophètes paru au Seuil en 1995 est un spécialiste du Harrisme de Côte d'Ivoire. Il précise d'abord que le prophétisme, le messianisme, est un phénomène social et politique ancien en Afrique, ce qui ne l'empêche pas d'être moderne et contemporain. Le Kibanguisme, qui est apparu au Congo belge en 1921, a diffusé en Afrique du sud, s'est exporté en en Europe, a pris sa place sur le marché international des religions actuellement en plein essor.

Le Harrisme est né en Côte d'Ivoire en 1913, vingt ans après la création de la colonie, alors que s'achève la "pacification" militaire que le gouverneur général Angoulvent a dû mener pour briser les résistances indigènes.

Les sociétés locales, marquées par la répression militaire, (désarmement, morts arrestations), et par la coercition administrative, traversent une crise profonde, aggravée par des disettes et des épidémies de rougeole et de variole. C'est alors qu'arrive du Libéria voisin, William Wade Harris, formé par les méthodistes américains, qui se compare à Élie et Daniel et se proclame "prophète des temps modernes". Il prêche l'unique foi en Dieu et en Jésus-Christ. Il s'attaque très vivement au fétichisme et à la sorcellerie de "ses frères noirs" et il exige d'eux la destruction des objets de culte traditionnels. Après des débuts qui lui valent d'être expulsé de Grand Bassam, puis de Gold Coast, il revient en Côte d'ivoire où il est accueilli triomphalement. Le gouverneur voit alors en sa prédication un allié pour la modernisation de la colonie. Il le convoque et le reçoit en personne pour lui notifier qu'il l'autorise à poursuivre son entreprise de conversion. La victoire spectaculaire d'Harris contre un grand fétiche vénéré de la Basse Côte en font alors un formidable allié des autorités coloniales et des missions européennes déchirées par des rivalités "ethniques" entre Bretons, Auvergnats et Alsaciens. Mais la ferveur religieuse est vite ressentie par les autorités comme une nouvelle forme de résistance, voire de rébellion. Harris est arrêté, incarcéré, reconduit à la frontière du Libéria en 1915. Mais ces quelques mois ont suffi pour créer une religion qui sera durable, car en dépit de l'expulsion de son fondateur et de la répression administrative, le "mouvement" qui compte alors 100.000 baptisés ne va pas cesser de rebondir. Harris mourra au Libéria en 1929, mais ses successeurs, Do, Yesu, puis Aké en 1926, Jonas Haui en 1928 vont "ivoiriser" et acculturer le mouvement. L'ivoirisation du prophétisme se poursuivra jusqu'à nos jours avec l'apparition de nouvelles figures, Marie Lalou, Papa nouveau et Albert Atcho, Kokangba qui évangéliseront d'autres régions, d'autres ethnies.

Le phénomène prophétique, c'est à dire le harrisme, ses émules et ses successeurs, ne va pas cesser de hanter l'histoire de la Côte d'ivoire en accompagnant la formation de la société ivoirienne moderne, celle des plantations individuelles de café et de cacao, celle de l'économie monétaire, celle du RDA, puis du PDCI d'Houphouet-Boigny.

Ce phénomène sera ambivalent, à la fois zélateur du pouvoir en place et du progrès qui permet d'égaler les Blancs, mais aussi force de critique et de contestation à la disposition des petits et des pauvres.

Pour JP Dozon, le prophétisme a créé un espace public autonome, d'où le pouvoir colonial a été exclu. Dans le Harrisme, cette église d'abord souterraine, clandestine, qui essaie de déjouer la surveillance coloniale et qui ruse avec les églises chrétiennes, puis dans cette même église officiellement reconnue en 1945, les Africains ont repris l'initiative et ainsi s'est constituée et l'identité ivoirirenne. Houphouet-Boigny, personnalité charismatique et religieuse, s'est inscrit dans cette lignée prophétique. Il est le sauveur et le rédempteur, celui qui est doté d'une puissance extrahumaine, qui s'est égalé aux Blancs en s'enrichissant et en construisant une ville-cathédrale. Depuis sa mort en 1993, la Côte d'Ivoire se cherche, le peuple ne sait plus de qui il procède. Les discours identitaires sont apparus et, avec eux, la menace de la guerre civile. Fort heureusement, les Ivoiriens ont trouvé un recours dans les discours religieux et les prières individuelles et collectives. Pendant les événements de ces derniers mois, "on priait", disent-ils….

 

Les religions afro-chrétiennes

Il revenait ensuite à Albert de Surgy, anthropologue, chercheur au CNRS (URA Systèmes de pensée en Afrique noire) de nous parler de la Permanence et de la créativité des religions africaines.

Pour mieux résister à la poussée de l'islam et du christianisme, ainsi qu'à la transformation des structures socio-économiques qui remet en cause son enracinement, la religion traditionnelle évolue et se réorganise.

Une telle évolution apparaît aussi normale aux intéressés que le lent renouvellement de la société des ancêtres. Eléments essentiels du patrimoine culturel, les divinités traditionnelles n'ont jamais cessé de changer de visage, de céder partiellement leur place à de plus jeunes, de modifier les relations qu'elles entretiennent et d'inspirer à leurs adeptes des innovations liturgiques.

De nouveaux cultes continuent donc d'apparaître et d'en supplanter d'autres, en intégrant des conceptions, des comportements et des objets signifiants empruntés aux populations voisines, y compris aux musulmans et aux chrétiens.

Mais le phénomène le plus important consiste en une réorganisation et une réforme des cultes anciens.

Des regroupements en associations plus ou moins concurrentes voient le jour avec pour objectifs : revaloriser le patrimoine culturel (chants, danses, costumes, fêtes…), propager et approfondir la connaissance des vertus magico-médicinales des plantes, contrôler l'orthodoxie des pratiques, moderniser les règles anciennes en matière de scarifications, d'interdits, de durée des réclusions initiatiques, etc., reprogrammer les cérémonies en fonction du calendrier européen, se doter de moyens modernes de communication, notamment d'un secrétariat permanent, et tenir des assemblées générales, organiser des séminaires, des semaines culturelles, des festivals régionaux, nationaux ou internationaux, défendre enfin les intérêts des adeptes auprès des pouvoirs publics (institution d'une journée nationale chômée en l'honneur des cultes vaudous, projet d'un grand temple où rendre à l'ensemble des vaudous un culte global hebdomadaire, etc.)

Une mention particulière mérite d'être faite de l'Église du Fa (Fa-Church) au Nigeria, animée par un clergé de géomanciens traditionnels initiés au culte de Fa-Orunmila. Elle organise chaque dimanche, dans une sorte de temple, une cérémonie collective en l'honneur exclusif de cette grande divinité yorouba. Les officiants s'y rassemblent, en soutane blanche, dans une sorte de chœur où est installé un autel recouvert d'une nappe blanche. Deux bougies y sont allumées. Le crucifix y est remplacé par une plaquette de bois, montée sur piédestal, sur laquelle figure le symbole du palmier et la première des figures géomantiques. La Bible y est remplacée par les principaux écrits (en yorouba) du fondateur. On y entend réciter un analogue du Notre-Père et un analogue du Credo. La prédication y est remplacée par un commentaire d'un des contes divinatoires de Fa associés à la figure trouvée le matin même en consultation. La communion y est remplacée par une bénédiction administrée, à l'aide d'un chasse-mouches rituel, à des groupes successifs de fidèles venant se prosterner devant le chœur.

La créativité religieuse africaine se manifeste également dans la fondation d'une multitude d'Églises que l'on qualifie d'afro-chrétiennes en raison de leur enracinement dans la culture africaine.

Amorcé dès la fin du 19ème siècle, le phénomène s'est considérablement amplifié à l'issue de la seconde guerre mondiale, mais surtout à partir de 1980. Il existe actuellement plus de deux cents Églises nouvelles au Bénin, et beaucoup plus d'un millier au Nigéria. Elles se répartissent, pour la plupart, en deux grandes catégories :

Premièrement, des Églises fondées par des prophètes régionaux. Elles abritent en leur sein un corps de visionnaires qui remplissent auprès de la population une fonction comparable à celle des devins et qui prescrivent, en remplacement des rites de protection traditionnels, une grande variété de prières. Elles affectionnent les beaux vêtements, les ornements et les objets liturgiques, estimant qu'ils font honneur à Dieu.

Deuxièmement, des Églises évangéliques charismatiques dérivées d'Églises missionnaires, en particulier d'Églises pentecôtistes. Empreintes de rigueur protestante, elles prohibent toute consultation de visionnaires, tout recours à des rites efficaces spécialisés, ainsi que l'usage d'objets et de vêtements liturgiques. En supplément au culte du dimanche, elles organisent en revanche de nombreux offices d'intercession, de guérison et de délivrance censés ne produire de résultat qu'à proportion de la foi attisée chez les participants.

Au Bénin, où près des trois quarts des chrétiens sont des catholiques, les nouvelles Églises, en particulier les Pentecôtistes, regroupent à peine 18 % des chrétiens. Elles n'en remettent pas moins les autres en question, à tel point que l'Église catholique n'est parvenue à leur résister qu'en cautionnant en son sein le mouvement du Renouveau Charismatique.

Les nouvelles Églises répondent principalement à trois sortes de demandes :

Tout d'abord, une forte demande de secours spirituels.
Les trois quarts des individus qui ont rejoint une nouvelle Église s'y sont décidés dans l'espoir d'obtenir une solution miraculeuse à leurs problèmes, dans les deux tiers des cas de problèmes de santé, mais aussi des problèmes affectifs, relationnels, professionnels ou financiers. Alors que les puissances traditionnelles défendent les intérêts de familles, de lignages, de corporations ou de classes d'individus, le grand faiseur de miracles qu'est Jésus-Christ offre sur elles l'avantage de prendre parti pour l'humanité en général sans privilégier tel ou tel groupe, race ou nation aux dépens d'un autre. La religion qui s'y réfère se présente ainsi comme plus moderne.

En second lieu un désir de plus en plus répandu d'échapper aux contraintes des coutumes locales.
La perpétuation de ces coutumes exige beaucoup de temps, d'argent et de tractations au point d'être jugée contraire au progrès par de nombreux jeunes et citadins qui veulent être indépendants, ne plus rester soumis à la gérontocratie villageoise, se faire une place dans la société urbaine. Bien souvent, avant de se convertir, ils étaient déjà en conflit avec leurs familles. Ils trouvent refuge dans des Églises où leur crainte d'être victimes de sanctions occultes est apaisée par des prières d'intercession, de guérison et de délivrance des mauvais esprits, ainsi que par une sorte de fusion émotionnelle avec le groupe à travers les chants et les danses de louange, l'écoute de sermons tonitruants, le cri de slogans et le puissant brouhaha des prières collectives.

Aux grandes paroisses catholiques ou méthodistes, au sein desquelles ils se sentent négligés et abandonnés à eux-mêmes, ils préfèrent les communautés plus restreintes, plus chaleureuses et plus solidaires..

Ces Églises remplissent de surcroît, un certain nombre de fonctions que l'Etat, dépourvu de moyens, n'est plus capable d'assumer correctement, en matière d'aide sociale, d'assistance médicale et psychologique, d'enseignement général, de formation professionnelle, artisanale, agricole. Elles assurent enfin une certaine animation culturelle des quartiers en organisant des fêtes et des spectacles. Les Églises afro-chrétiennes demeurent assez mal étudiées et mal comprises, et elles sont souvent vues comme un christianisme dénaturé, infesté par des croyances "païennes".

D'après M. de Surgy, leur représentation traditionnelle du monde, de la personne humaine, de l'existence terrestre, de l'au-delà et du devenir après la mort, est parfaitement conciliable avec le christianisme. Les Églises afro-chrétiennes ont été fondées par des chrétiens pour mieux vivre le christianisme en Africains, dans le milieu africain. Elles se veulent strictement fidèles à la Bible. Aucune d'elles n'a institué le moindre compromis avec les cultes traditionnels. Elles se montrent même beaucoup plus intolérantes que les anciennes Églises missionnaires à l'égard de ces derniers. Elles ont incorporé dans leur liturgie et dans leur mode de fonctionnement des manières d'être africaines : fanfare et danse dans le temple, vigoureuse expression corporelle, tournures de langage imagées, etc. Néanmoins, l'incorporation de traits culturels africains n'affecte en rien l'essentiel du message qu'elles véhiculent.

M. de Surgy répond aux reproches qui sont habituellement faits aux Églises prophétiques.

Les consultations de visionnaires, le recours à des rites impliquant des manipulations d'objets, ont le mérite de dissuader les gens d'aller consulter des prêtres traditionnels qui les orienteraient vers des rites "païens" et les maintiennent dans un cadre chrétien.

Ces nouvelles Églises paraissent plus soucieuses de lutter contre le Diable, cause directe ou indirecte de tous les maux, que d'adorer Dieu. Elles font appel, en effet, à la puissance divine pour remédier aux malheurs, aux souffrances, et aux misères de ce pauvre monde. Mais en agissant contre le Diable, elles répandent sur terre l'Esprit divin, non pas celui d'un Dieu éthéré, inconsistant, mais celui d'un Dieu vivant pénétrant de son Esprit l'ensemble des croyants et le transformant en corps mystique du Christ.

Du point de vue africain, le croyant doit absolument s'engager dans le combat contre les forces du mal, car telle est la condition de son salut, de sa sanctification et du parachèvement par lui d'une création destinée à faire honneur à son auteur.

Il lui est demandé de formuler avec un maximum de précision ses demandes à Dieu, en faisant, avec l'assistance d'un visionnaire ou d'un conseiller spirituel, un patient travail de clarification du désir puis de purification de l'égoïsme, qui l'amènera peu à peu à rechercher avant tout le bonheur d'autrui et de l'humanité.

Sa demande précisée, il la formulera avec vigueur, avec insistance et avec foi, à l'aide de la parole, du cri, du geste et de divers supports symboliques. D'où, par exemple, dans le Christianisme Céleste, des rites de détachement de liens magiques ou de transfert du mal dans un objet ensuite brûlé ou enterré, rites qui n'ont rien de commun avec les pratiques sacrificielles des féticheurs. D'où aussi, dans les Églises pentecôtistes, divers procédés de mise en condition des esprits pour qu'ils soient persuadés à l'avance de bénéficier de miracles et finissent ainsi par les induire en eux.

En conclusion, M. de Surgy estime que les Églises fondées par des Africains méritent d'être prises au sérieux en tant qu'Églises chrétiennes.

Il estime qu'elles sont susceptibles d'enrichir le christianisme dans les domaines de la liturgie, par leurs cultes joyeux, colorés, attractifs, impressionnants, de la théologie, en défendant l'idée d'un Dieu actif, chaleureux, proche des hommes, utile à leur existence, tout en redonnant sa place, dans l'économie du salut, au personnage un peu oublié de Satan, de l'ecclésiologie, en mettant en valeur la communauté paroissiale comme lieu de rencontre d'individus aux intérêts divergents, néanmoins désireux de partager un même cadre de vie, de la démocratie, enfin, en rappelant à l'ordre, par la prophétie, des autorités insuffisamment respectueuses de la dignité et du bonheur de leurs administrés.

 

Les conclusions de la CADE

"Qui sont-ils, ces prophètes africains en soutane et turban blanc, enrubannés de bandelettes rouges, arborant un crucifix noir et une bible imposante, quelquefois aussi flanqués d'une queue de panthère chassant diables et esprits malfaisants ? ". Nous n'avons pas la prétention de répondre à cette question posée par J.P. Dozon, les historiens, les anthropologues et les analystes politiques. Nous pensons cependant pouvoir retenir les idées suivantes :

1. Ces "productions religieuses de la modernité" sont des constructions culturelles syncrétiques : elles empruntent aussi bien au vieux fonds "animiste", "païen" qu'aux religions révélées venues de l'extérieur avec la colonisation et les techniques du monde moderne. Millénaristes et passéistes, elles procèdent à la fois des mythes de l'âge d'or et de ceux d'un futur imaginaire. Elles sont une des plus authentiques manifestations de la modernité des sociétés africaines, de leur vitalité, de leur capacité à réagir aux agressions de leur temps et de l'extérieur.

2. Ces religions qui furent les premières formes de résistance à la colonisation et les premières expressions de sentiments nationalistes et indépendantistes, n'ont pas disparu avec les indépendances. Elles sont la preuve que les sociétés africaines qui sont des "sociétés en train de se faire" n'ont rien d'exotique : comme nos sociétés occidentales qui se veulent post-modernes, et peut-être avec quelques longueurs d'avance, elles cherchent et trouvent des réponses aux questions d'un monde qui change trop vite et trop brutalement.

Michel Levallois

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