La Libération et son échec dans lœuvre de Pius Ngandu Nkashama ( Le Potentiel)
La mort faite homme (Paris, LHarmattan, 1983)
Dentrée de jeu, le lecteur trouve ce dernier titre quelque peu insolite. Construit sur le même modèle syntaxique que lénoncé Dieu fait homme, ce titre se charge de connotations bibliques liées au passage de labstrait (Dieu, mort) au concret (homme), cest-à-dire de leffort de personnification dune réalité abstraite.
La mort, comme on le lira dans ce roman, est utilisée comme une arme suprême, de violence valorisée, pratiquée à outrance. De ce fait, elle est banalisée, mieux humanisée. Ainsi, dès les premières lignes, lauteur plonge le lecteur dans un monde dur, âpre et dégoûtant : « Ils (étudiants) passent en silence. Ecrasés par le silence. Ils forment une longue file. Une file douloureuse. Le regard hâve et terne. Leurs bras émaciés, leurs coudes en saillie, ‘humiliamment croisés par un cœur qui bat la résignation » (p.9).
Cest donc à partir de cet événement initial qui sera précisé par la suite –la répression sanglante par le pouvoir dune manifestation détudiants- que se développe le récit. Livré à lui-même, éloigné de lenfer des autres, lun des étudiants rescapés mais arrêté et emprisonné brise sa solitude par lévocation de son passé révolu : des souvenirs denfance, des souvenirs dadolescence, des souvenirs amers et damertume, etc. surgissent dans sa mémoire et il leur porte des jugements avec le recul du temps. Contre toute attente, lépopée de cet étudiant se termine par une trahison, comme cela arrive avec la plupart des opposants politiques. Libéré à la faveur dune amnistie générale, létudiant prisonnier reprend ses études à lUniversité et les achève grâce à lintervention du pouvoir. Hier, pourfendeur de celui-ci, il sy rallie non par conviction, mais par opportunisme comme il le déclare : « Je dois tavouer que je fais maintenant partie des services de sûreté de lEtat. Tu comprends ce que je veux dire ? Nen parle à personne. Ce nest pas que jaie le cœur à louvrage, mais il faut bien se faire une place, après tant de mois de frustration et de dépérissement » (p.248).
Les étoiles écrasées, Paris, Editions Publisud, 1988
Joachim Mboyo, le héros broyé et pantelant, est un jeune footballeur talentueux, qui a trouvé la gloire et la fortune en Belgique. Piégé par un responsable de lopposition politique, Sadiki. Celui-ci est lassassin dun taximan belge et qui sarrange pour faire porter les soupçons sur le jeune sportif. Joachim se retrouve embarqué dans une aventure rocambolesque qui le mènera jusquaux portes de la mort. Dabord, il suit une formation théorique et pratique dans un camp dentraînement installé en Europe, puis il se transforme en guérillero abruti dans les forêts chaudes et humides de ce que fut naguère le Zaïre. Equipée sanglante qui se termine par la mort de ses compagnons, sa séparation avec la douce et belle belge Paola, qui attendait un enfant de lui, et qui pratiquera une interruption volontaire de grossesse sous linstigation du sadique Sadiki. Sorti vidé de cette aventure qui ressemble à un parcours initiatique dans lunivers politique, Joachim apprendra la mort dans lâme que son commanditaire, Sadiki, sest rallié aux autorités du pays et quil vient dêtre nommé dans le parti politique quil combattait. Véritable bêtise humaine provoquée par la soif du pouvoir dun opposant sans foi ni loi.
A présent, quelle(s) leçon(s) pouvons-nous tirer de ces deux récits dont le fond commun demeure le même, à savoir la trahison en politique ?
Premièrement, la lutte acharnée de la libération entreprise par les protagonistes échoue. Pareille situation se retrouve dans bien dautres récits : On a échoué (1991) de Djungu Simba et Notre sang (1991) de Mikanza Mobyem. En effet, sur le terrain réel de la politique, on remarque que lopposant politique africain en général et congolais en particulier est versatile, non respectueux dun idéal quelconque. Le texte littéraire nen fait quun constant inspiré sans doute par des faits palpables et vérifiables.
Deuxièmement, les textes laissent voir au lecteur que lespoir de la renaissance dune nouvelle société cimentée par des valeurs nobles telles que lhonnêteté, lamour altruiste, lidéalisme, etc. est hypothéquée. Par contre, la société des anti-valeurs que sont entre autres la dépravation des mœurs, les tortures infra-humaines, la misère généralisée, etc., résiste et se maintient à souhait !
Troisièmement, le pouvoir qui est déjà en place se veut inamovible et éternel. Dès lors, il se bat becs et ongles pour que tout le monde converge vers lui. Priment ainsi avant tout le maintien et la sauvegarde de ses intérêts au détriment de ceux du peuple. Ainsi, ceux qui se déclarent opposants finissent dans la plupart des cas par être pris dans ses filets.
Que conclure ?
En tant quobservateur critique de la société -de sa société – et humaniste épris de justice sociale, de dignité et de liberté, Pius Ngandu Nkashama nous livre une fresque romanesque dont lossature sémantique repose sur la reconquête de la dignité humaine spoliée. Ainsi, assiste-t-on chez lui à une écriture de libération. Lœuvre littéraire devient, par conséquent, un instrument de lutte pour la redéfinition et lédification dune société juste, saine et équilibrement humaine.
Satire socio-politique, lœuvre de Pius Ngandu Nkashama charrie autant de stigmates qui la traversent et la cimentent. Elle dévoile, par une certaine homologie, les métaphores obsédantes qui traduisent piteusement les douloureuses réalités que vit un peuple aux espoirs éventrés, ainsi que la prophétie de la renaissance dune société fondée sur lamour, la justice, la liberté et la convivialité. Cest pourquoi toutes les âmes à la recherche du nouvel équilibre sociétal sont écrasées. Ainsi, létudiant prisonnier de La Mort faite homme et Joachim Mboyo de Les étoiles écrasées sont le symbole de la reconquête de la liberté confisquée.
PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO Université de Kinshasa
Le Potentiel 22.04.06