Lépopée du cinéma congolais (Mirko Popovitch)
Des livres, des textes, des objets de musée ? Des restes de monuments, des ruines envahies par la végétation ? Des photos, souvent œuvres de blancs et puis, magie immortelle : les images du cinéma, qui comme des songes entretiendront les mythes, nostalgies et scandales du passé.
Le cinéma a cela de magique quil peut reproduire des bribes de réalités, interpréter lhistoire, rappeler les hommes au devoir du souvenir. Sans cette invention diabolique, le rêve humain reste flou, les drames demeurent vagues et les vérités fuient comme des bruits dans la nuit.
Ce que le livre de Convents sauve, cest un bout de mémoire. Il a mis de lordre dans des archives dispersées de lhumanité, il a ramassé, classé, recherché ce qui traînaient dans les cinémathèques et autres cimetières culturels et surtout il a interrogé les survivants. Cette histoire du cinéma au Congo, ce sont autant de coups de cœurs pour des œuvres de cinéastes dont les interprétations de la vie restent fantasques, paternalistes, passionnées, mythiques, orientées, manipulatrices, etc. Ceux qui ont tenus les caméras furent pendant trop longtemps des blancs, surtout des missionnaires, pour qui lévangélisation devait passer par un projecteur et un écran. Ensuite, avec lindépendance, par delà les agitations de lhistoire, des cinéastes-héros noirs se sont peu à peu réapproprié limagerie de leur peuple et ont ainsi créé et emmagasiné à leur manière et avec plus ou moins de bonheur un demi siècle de vie congolaise.
Cest ce que raconte ce livre, une épopée !
Quest ce qui est bon à montrer à un colonisé, quest ce qui fait peur au colon ? Comment gérer lindispensable éducation des peuples noirs et en même temps leur offrir des loisirs qui les tiennent au calme ?
Dans une mise en contexte courageuse réalisée au départ dune recherche documentaire digne dun historien-détective, Convents remonte le fil du temps à la recherche des héros cinéastes. Laventure débute à laube du XXIème siècle, sépanouit presque religieusement jusqu'à lindépendance, vit les soubresauts dramatiques de la dictature mobutiene et la plongée de fin de règne du tyran. Lépopée souvre ensuite sur une note despoir, car sous la lumière indéfectiblement entretenue par la diaspora restée fidèle, se cache la puissance des jeunes générations restées au pays, qui armées de caméras numériques légères et de bancs de montage informatique sattaquent directement aux dures réalités de la vie des congolais daujourdhui.
La première partie de louvrage sintéresse surtout aux problèmes provoqués par la diffusion du cinéma au Congo. Si aujourdhui on ose sourire des tergiversations de nos grands parents qui se disputaient autour du dilemme éducation et cinéma ; on se sent plus mal à laise à lire la teneur des débats dépoque qui visaient à définir ce que lon pouvait ou devait montrer aux…..colonisés !
Il décrit aussi la lente et difficile structuration du réseau de diffusion des films dans ce pays grand comme 78 ou tout est à inventer, y compris léducation à limage.
Vient ensuite laventure du cinéma évangéliste. Convents décrit la machination de lAbbé Cornil et des autres missionnaires cinéastes, tous chantres de léglise catholique qui furent copieusement subventionnés par lEtat belges afin éduquer les congolais par limage. Le dossier épaissit de multiples commentaires des administrations, de textes de journalistes, de commentaires des intéressés décrit le règne de ces réalisateurs en soutane et leur emprise sur la production et la diffusion du cinéma au Congo. Ce moment dhistoire culturel est un véritable chef dœuvre du burlesque colonial, il donne envie de visionner les réalisations des pères et dy rechercher les clefs de ce trouble qui chatouille subrepticement la conscience des enfants et petits enfants de colons.
Après un hommage aux artistes et comédiens congolais inconnus ou presque, parmi lesquels il nous faut mentionner lattachant Albert Mongita, mais aussi les personnages populaires de Matamata et Pilipilli, de Mbumbulu, Convents décrit la ruine des structures ex-coloniales et la douloureuse Zaïrisation qui laisseront un Congo fragilisé au niveau de toute identité cinématographique.
Il dépeint aussi le Billisme, sorte de mode qui regroupait les jeunes des cités et dont lorigine fut généré par la diffusion des western américains. A la même époque, les blousons noirs défrayaient les chroniques en Europe. Si les cow-boys ont marqués toutes les jeunesses du monde, cest peut-être au Congo que les figures des héros et anti-héros de la conquête de lOuest (cela rappelle la colonisation) ont marqués le plus la jeunesse désabusée des villes.
Les péripéties du cinéma dactualité (Congovox entre autre), la naissance de la télévision nationale, linvasion des soapmovies nigérians et enfin les premières véritables réussites des réalisateurs congolais sur la scène internationale font lobjet dune précieuse attention. On y retrouve bien entendu les noms de Dieudonné Mweze Ngangura, de Victor Matondo, de Roger Kwami Mambu Nzinga, de Balufu Bakuba-Kanyanda, de Jean-Michel Kibushi, tous auréolés de Prix et médailles dans les festivals internationaux. Les comédiens ne sont pas en reste pour peu que lon sintéresse à lorigine congolaise de ces artistes souvent expatriés qui oeuvrent sur les plateaux de la production cinématographique mondiale ; ainsi les génériques de grandes productions nous rappellent les noms de : Joseph Mopila, Joseph Lifela, Pétronille Abattaki, Joseph Kumbela, Kensika Monshengwo, Mukuna Kashala, Zeka Laplaine, Deudonné Kabongo, etc.…
Enfin, cette anthologie commencée sous la forme dun constat quaujourdhui on pourrait qualifier amère se termine sur une véritable note despoir. Lavenir revêt la forme dune liste à peine ébauchée de jeunes vidéastes inventifs et dynamiques qui dans les soubresauts de la démocratie congolaise en devenir, souvent éparpillés dans les villes de provinces, sacharnent en dépit des conditions économiques difficiles à réinventer une écriture audiovisuelle qui leur est propre.
Ceux là, terminent lanthologie du passé et débutent lanthologie du futur.
Mirko Popovitch
Directeur Africalia Belgique