La tradition africaine…toujours vivace dans la littérature congolaise écrite (Le Potentiel)

LA SORCELLERIE

C’est Paul Lomami Tshibamba qui, en 1948, dans son Ngando (le crocodile) aborde pour la première fois le thème de la sorcellerie. On peut ainsi lire ce passage : « Au détour de la seconde rue, se trouvait la clôture de Mama Ngulube, une vieille mégère de race topoke, aux lèvres pleines de gerçures en forme d’éruptions scabreuses. Mama Ngulube était une sorcière, et une des plus méchantes notoirement connues. Jadis, elle vivait avec son mari et ses trois enfants, deux filles et un garçon (…) Mama Ngulube ‘mangea’ successivement son mari, ses enfants, ses sœurs et son oncle maternel » (Ngambo, 1981, p.38).

L’envie, la jalousie et la haine apparaissent dans Ngambo comme les mobiles qui sont entre autres à la base de la sorcellerie. La sorcellerie constitue aussi un thème tragique chez d’autres écrivains congolais. C’est notamment le cas de Zamenga Batukezanga dans Bandoki (les sorciers), de Tshibanda Wamuela Bujitu dans Je ne suis pas sorcier et Londola ou le cercueil volant suivi de Le malade mental. Dans Bandoki, la peur de la sorcellerie pousse les habitants d’un village à tuer tous les animaux, même domestiques, parce qu’ils croient mordicus qu’ils sont sorciers car « comme expliquer que tous ceux de leur génération soient morts et qu’eux vivent encore ». Soumis à l’épreuve du poison truqué par un féticheur, tous les vieillards en meurent et le village se trouve ainsi décimé d’une bonne partie de sa population. Par contre, dans Je ne suis pas sorcier, Ngeleka est considéré comme un sorcier du fait qu’il est bossu, son entourage ne pouvant expliquer autrement la bosse qu’il porte sur son dos. Ngeleka et Ngandi, son père à qui le village reproche d’avoir mis au monde un enfant difforme, sont pris comme « la cause de tous les malheurs qui s’abattent sur le village » (pp.9-10). C’est à Ngandi que le devin du village impute le décès de l’enfant du chef : « Mon père était sorcier, moi aussi. C’est pour cette raison que j’était bossu. C’est ce qu’avait déclaré le devin, consulté pour chercher l’origine de la mort de l’enfant du chef ». (p.11). Présumée donc coupable de cette mort, la famille est bannie du village et obligée d’aller s’installer ailleurs : « notre famille était bannie de la tribu, on nous donnait une demi-journée pour quitter le village » (pp.11-13).

Dans Londola, le commandant de la gendarmerie est convaincu que si Muzembe est mort agressé par les bandits, c’est certainement que les sorciers aient conduit leur victime sur le chemin des malfaiteurs : « si les sorciers ne conduisent pas les tueurs, ils guident au moins les pas de leurs victimes, qui tombent ainsi dans des embuscades alors que tant d’autres citoyens se promènent paisiblement à la même heure » (pp 36-37). Or, la vraie raison de la mort de Muzembe est ailleurs : « son imprudence fut d’avoir reconnu, par ses bourreaux, un de ses voisins » (p.21).

Comme cela apparaît, trois sortes de personnes sont généralement traitées de sorciers et de surcroît elles sont toutes des personnes sans défense : d’abord le vieillard ou la vieille femme (Mama Ngulube dans Ngando, les vieillards du village dans Bandoki, vieux hommes et vieilles femmes dans Londola) ; ensuite toute personne qui, physiquement, a un aspect qui sort de l’ordinaire. C’est le cas du bossu dans Je ne suis pas sorcier. De plus, dans les cas de la sorcellerie et du sorcier ou de la sorcière évoqués dans les textes, l’accent semble être mis sur les effets produits par celui que l’on croit être sorcier ou sorcière, effets qui ne sont autres que le mal fait sur une autre personne.

LE FETICHISME

Une autre caractéristique de la tradition africaine qui est aussi fréquemment mise en exergue, c’est le fétichisme et singulièrement le personnage du féticheur. Souvent, celui-ci est présenté sous les couleurs d’un charlatan. Il abuse de la naïveté de ceux qui recourent à ses services. Ainsi de l’homme sacré qu’il était dans la société traditionnelle africaine, il devient sous la plume des écrivains homme et homme vil. C’est tout simplement en tricheur, patenté, comme le lecteur le découvre dans Bandoki au sujet de la dénonciation des sorciers dans un village frappé par une série de malheurs. L’épreuve de poison, à base de l’arbre appelé nkasa, à laquelle sont soumis tous les vieillards, hommes et femmes présumés sorciers est truquée. Le nganga nkisi (le féticheur) prépare la solution de nkasa en faisant dépasser largement la dose normale. Puis, à cette occasion, il ajoute de la sève de cactus qui est mortelle et oblige que l’épreuve se passe à jeun. Le résultat en est fatal. Les vieillards sont tous intoxiqués et ils en meurent. Le nganga nkisi se déclare ainsi trompé la vigilance et la bonne foi de l’assistance, il s’enfuit : « en apprenant que le ‘nganga’ nkisi’ s’est enfui, certains se demandent s’il n’a pas joué là une farce » (p.80). Le féticheur qui, dans Je ne suis pas sorcier, prétend communiquer avec les esprits de l’au-delà et, avec leur aide, dénicher les sorciers, est démystifié et ravalé au rang de farceur et de charlatan. En effet, on apprend qu’une femme accuse le féticheur d’avoir brisé son foyer à la faveur d’un faux diagnostic.

Elle soutient qu’il y a la supercherie de la part du devin et exige l’épreuve de poison qui, dans l’imaginaire populaire, tue le coupable et sauve l’innocent. Le chef du village, en juge impartial, demande au féticheur d’accepter la proposition de la femme et de prouver ainsi devant tout le monde que son diagnostic n’est pas une supercherie. Le féticheur, la mort dans l’âme, accepte cette proposition, conscient qu’il connaissait sa tricherie. La cérémonie du féticheur se solde par un échec : « L’assistance ainsi que le chef ne peuvent s’empêcher de rire. Le féticheur humilié voulait sauver la face en inventant des sonnettes. Farceur ! charlatan ! criaient les gens », (p.50).

Le féticheur, tel qu’il est présenté, jouit d’abord d’une certaine respectabilité au sein de la société africaine : Mobokoki, par exemple, dans Ngando est un « féticheur réputé pour son likembé, sort de chambre noire où le consultant et sa suite voient nettement se refléter dans un bac d’eau, comme dans un miroir, l’image du malfaiteur que l’on cherche à connaître » (p.77) ; le féticheur dans Bandoki l’est aussi : « On fit appel à un célèbre ‘nganga’ très réputé dans la région » (p.74). Souvent, il est d’un âge avancé, laid et sale comme dans Je ne suis pas sorcier : « le féticheur, un homme d’un certain âge, laid autant qu’il était sale, disposa d’un arsenal et commença à chantonner avant d’entrer en transe » (p.19). Le portrait d’un autre féticheur qui apparaît aussi dans ce texte identique : « sa face blanche à la chaux, faisait penser à un masque plutôt qu’à un vrai visage » (p.43).

Si physiquement ils sont souvent laids et sales, moralement, ils sont méchants et vindicatifs. Le féticheur Mobokoli dans Ngambo en veut à mort à Koso qui l’avait refusé comme époux. Il se venge sur Munsevula, le mari de Koso. Le narrateur révèle que (…) « dans son for intérieur, Mobokoli savait que Koso ne reverrait plus son mari vivant » (p.91). Enfin, les instruments que les féticheurs utilisent pour leurs opérations sont pratiquement les mêmes : un bassin rempli d’eau, un miroir baignant dans l’eau, des gris-gris, des herbes et des incantations.

QUE CONCLURE ?

Parmi les croyances les plus marquantes de la tradition africaine, la sorcellerie semble être la plus répandue. Elle est à la base de toute explication de l’insuccès, de la souffrance et surtout de la mort. Les Africains recherchent l’auteur de la mort, non pas dans la maladie, dans la négligence, ni l’assassin, moins encore Dieu, mais celui-là même qui, dans le monde des ténèbres, tire les ficelles et provoque l’irréparable, le sorcier.

La même image se retrouve aussi chez le marabout dans les textes de la littérature francophone de l’Ouest africain, le Sénégal, en particulier. Gagnés par le capitalisme, certains marabouts sont consultés par les grands des régimes politiques de romans et se font payer cher les services. Le profit devient la raison principale du maraboutage et de la sorcellerie. Le maraboutage, en pays musulman, joue le même rôle que la sorcellerie en pays animiste. Au demeurant, par le biais de la remise en question de la sorcellerie, en particulier du sorcier ou de la sorcière, du fétichisme et du féticheur, les écrivains congolais profitent de ces cas pour faire une critique sévère et dénonciatrice de certaines coutumes traditionnelles africaines jugées comme rétrogrades et incompatibles avec l’évolution de la société africaine moderne. Ces coutumes, qui sont souvent le frein du progrès, doivent être corrigées ou simplement abandonnées. Les écrivains procèdent donc à une remise en question du tout un ordre de valeurs.

PROFESSEUR ALPHONSE MBUYAMBA KANKOLONGO UNIVERSITE DE KINSHASA

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