Réponse d’un Congolais à Madame Hillary Clinton, secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique (Roger Puah)

 

 

Madame
la secrétaire d’Etat, permettez-moi de prendre l’exemple de votre
propre pays pour dire que vous vous référez beaucoup aux événements
tragiques que vous avez connus, et le grand peuple américain a raison
de le faire. Car le moyen le plus sûr de revivre les souffrances du
passé c’est justement de ne plus s’y référer. Ne plus se référer à son
histoire c’est inviter l’oubli. Et certaines administrations de votre
pays ont eu une telle conscience du passé et de la mémoire qu’elles
sont allées jusqu’à élaborer le principe de guerres préventives.

 

Il
y a des Congolais qui reçoivent ce que vous dites comme le début d’une
nouvelle ère dans les relations entre la République Démocratique du
Congo, mon pays, et les Etats-Unis d’Amérique. Certains vont même
jusqu’à y lire un aveu de l’administration du président Barack Obama
reconnaissant diplomatiquement que par le passé les Etats-Unis
d’Amérique ont fait des choix hasardeux dans la région des Grands-Lacs
africains. Des choix très lourds de conséquences, puisqu’ils ont coûté
près de 7 millions de vies humaines dans cette partie du continent et
dont le Congo est de loin le plus durement frappé.

 

Beaucoup
d’autres Congolais sont attristés voire choqués d’entendre de tels
propos de la bouche d’un haut responsable d’un pays qui est le
concepteur, l’orchestrateur et le soutien numéro 1 des régimes des
présidents ougandais Museveni et le Rwandais Kagame qui ont endeuillés
le Congo près de six millions de fois, permis la déstabilisation de la
partie orientale du pays, le viol massif de femmes et l’exploitation
anarchique des ressources naturelles et minières appartenant aux
futures générations congolaises. Votre malheureuse phrase affiche la
volonté de votre pays de ne pas regarder l’une des pages les plus
sombres de la politique des Etats-Unis dans le monde. Si cela arrange
les Etats-Unis d’Amérique et ceux qui sont impliqués dans la tragédie
congolaise, concédez que l’oubli dans ce dossier n’est pas dans
l’intérêt des Congolais.

Madame
la secrétaire d'Etat, le Congo a connu des périodes douloureuses tout
au long de son histoire. Notre terre peut même être appelée une terre
de sang de par les violences venues de l’extérieur. Beaucoup de
massacres ont été commis à huis clos, mais ceux de ce siècle
commençant, œuvre de Museveni et Kagame, parrainés par les Etats-Unis
dès 1996, sont les plus atroces. Un silence glacial a accompagné cette
barbarie d’un autre âge, et cela malgré la présence des troupes
onusiennes et les caméras de télévision sur place. Il a fallu toutes
ces années pour qu’enfin votre pays se rende compte qu’il était temps
d’arrêter cette boucherie initiée sous ses auspices ? Mieux vaut tard
que jamais.

Il
est plus que troublant, Madame la secrétaire d’Etat, que vous demandiez
au peuple agressé de ne pas se référer à son passé sans nommer une
seule fois les agresseurs que sont le Rwanda de Paul Kagame et
l’Ouganda de Yoweri Museveni. Nous, la plus grande part de Congolais,
attendons que ces deux criminels soient traduits devant une cour
internationale pour répondre de leurs actes.

Dans
la configuration actuelle, notons que les Etats-Unis d’Amérique souffre
d’une perte criante de crédibilité et de légitimité dans la région des
Grands-Lacs, et nous étions en droit d’attendre un discours, certes
tourné vers l’avenir, mais qui dans lequel les Etats-Unis d’Amérique
assument ses erreurs et prennent en compte son rôle majeur dans les
malheurs actuels de notre peuple. En lieu et place de cela, vous avez
préféré nous demander l’impossible, ne pas nous référer à ce passé dont
les bourreaux ne sont ni nommés, ni menacés, ni inquiétés. Permettez
que nous appelions cette attitude l’arrogance de la toute puissance
américaine. Nous construirons notre avenir en tenant absolument compte
de notre passé, riche en enseignements.

 

Dorénavant,
il y aura deux camps dans la société congolaise : l’un, amnésique avec
lequel votre gouvernement va travailler, et l’autre, outrecuidant, ne
voulant rien laisser de l’histoire du Congo et qui, de ce fait, sera
écarté d’office de votre vision politique au Congo. Le Congo est
divisé : les progressistes et les ruminants.

 

Madame
la secrétaire d’Etat, le Congo, notre pays, a beaucoup donné aux
Etats-Unis d’Amérique depuis les années 1930. Or le Congo a souvent été
payé en monnaie de singe par votre pays. Si pour vous, Lumumba était un
dangereux communiste qu’il fallait assassiner, pour nous, c’était un
homme audacieux qui aurait pu beaucoup apporté au Congo, en vue d’une
éclosion véritable en développement. Si pour vous, Kasa-Vubu n’était
qu’un homme faible et effacé qu’il fallait éliminer, pour nous, c’était
un sage visionnaire, d’une probité morale irréprochable qui a posé des
jalons de bonne gouvernance bafoués par la suite. Si pour vous, Mobutu
était un bon serviteur à promouvoir, pour nous il fut l’incarnation du
malheur de notre peuple dont les conséquences sont parmi les
ingrédients de la crise actuelle que connaît le Congo. Si pour vous, la
Conférence Nationale Souveraine ne fut qu’une distraction des Congolais
au point que l’administration Clinton l’a ignorée et saboté les
institutions démocratiques qui en étaient issues, pour nous, ce fut
enfin la chance que notre peuple a acquise en versant son sang et qu’il
attendait depuis longtemps, et ce forum reste à ce jour le plus
important de notre histoire après l’indépendance du pays en 1960. Si
pour vous, Laurent-Désiré Kabila était un bon pantin, puis un filleul
ingrat à abattre, pour beaucoup d’entre nous, il fut celui par qui
l’horreur est entrée dans le pays. Si pour vous, Joseph Kabila est un
loyal vassal, pour nous c’est un inconnu, sans réelle formation pour
conduire un grand pays comme le nôtre, un usurpateur à la biographie
déficitaire et qui fait perdre au Congo un temps précieux pour son
développement.

 

Si
le Congo, en tant que nation moderne, n’a jamais été dirigé par un
universitaire, ce n’est pas faute de candidats valables, ni faute de
volonté de la part du peuple congolais. C’est votre pays, Madame la
secrétaire d’Etat, qui s’est arrogé le droit d’assassiner ceux des
prétendants qui ne lui plaisent pas et soutenir ceux qui sont à sa
solde. Les Etats-Unis ont depuis près de cinquante ans usurpé le droit
des Congolais de se choisir librement leurs dirigeants, surtout le
premier d’entre eux. Cela n’est tout simplement pas acceptable du point
de vue juridique et moral.

 

Vous
n’auriez pas eu besoin « d’aider le Congo » avec 17 milliards de
dollars. Depuis des décennies, le Congo se serait construit tout seul
sans les milliards de qui que ce soit, car il en a les moyens. Voilà la
vérité. Tant que nous, Congolais, n’aurons pas la liberté de choisir
notre propre destin et les animateurs de celui-ci, nous n’aurons aucune
porte de sortie de crise. Toutefois, puissiez-vous enfin, en tant que
première puissance mondiale, changer de politique en République
Démocratique du Congo ? Il en va de l’honneur et du prestige de la
grande démocratie que sont les Etats-Unis d’Amérique. Au regard de
l’histoire, j’ai des doutes mais je me permets de rêver. Yes ! Let’s
show us that you can !

 

Roger Puati, théologien

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