Un voyage dans la RDC de l’an 2003 et 2004 : les aspects sociaux

Les aspects sociaux de la vie en RDC ont une grande importance dans le projet et la démarche de CongoForum. Il s’agit d’accorder une attention toute particulière à certains des domaines de la vie dont de nombreuses conditions doivent impérativement être améliorées. Une très large majorité des Congolais appellent de tous leurs vœux cette amélioration, car ils en ont absolument besoin pour réaliser leur rêve d’une existence meilleure pour eux-mêmes et pour leur progéniture. Cette très large majorité s’accorde à dire qu’une des missions du gouvernement qui sera mis en place à la suite des élections consistera à entreprendre des réformes, à procéder aux reconstructions indispensables, à remédier aux nombreuses ruptures dans les domaines de la famille, de l’ éducation, de la santé, de certaines pratiques relatives aux croyances religieuses, du système judiciaire, des relations hommes-femmes, du rôle et de la place de la femme dans la société, de la solidarité sociale intra RDC, de la solidarité internationale.

Nous nous sommes rendu compte de l'importance de ‘ce rêve’ lors des voyages que nous avons effectués en 2003 et 2004 à Kinshasa, à Goma, à Bukavu et dans les villages environnants ainsi qu’à Lubumbashi.

Ce sont les conditions de vie des personnes rencontrées à ces occasions ainsi qu'un effort de bon sens qui nous guident dans le choix des événements retenus dans le cadre des réflexions formulées dans ce texte. Il s’agit, bien entendu, d'un choix personnel, que l’ on peut trouver arbitraire ou discutable. Il convient de noter que les situations retenues ne le sont qu’à titre d'illustration de l’importance que CongoForum attache aux aspects sociaux du développement en RDC.

De plus, si ces situations et les réflexions qu'elles peuvent engendrer pourraient mettre en route des processus susceptibles de provoquer un engagement dans l’action, à quelque niveau que l’ on se trouve, ou mener ou aboutir à des actions concrètes, ce texte aura apporté sa modeste pierre à la gigantesque tâche de reconstruction de la RDC.

Bruxelles/Kinshasa/Goma/Lubumbashi

Bien entendu, divers travaux ont déjà formulé les questions qui seront posées dans ce texte et l'on trouvera des rapprochements entre celles-ci et d’autres problématiques abordées dans ce site. Néanmoins, il nous semble que, ces questions étant restées sans réponse adéquate ni satisfaisante, il y a lieu de considérer qu'il importe de les répéter, de les reformuler éventuellement, et de continuer à les inscrire chaque fois à nouveau à l'ordre du jour de débats, colloques, forums, et ce à titre d'appel et de rappel à la mobilisation en faveur de l’action. L'une des manières, sans doute la plus simple et la plus efficace, de reprendre  chaque fois à nouveau la discussion sur les nombreux aspects sociaux de la vie des gens, n'est-ce pas de partir de témoignages sur les réalités telles qu'ils les vivent au quotidien? La question qui devrait revenir chaque fois et qui mérite d’être débattue inlassablement n’est-elle pas de savoir comment, et surtout pourquoi, avec toutes les possibilités qu’y offre la nature, les populations en RDC peuvent vivre durant 5 ans…10ans…20ans…25ans…, 40 ans même, dans la précarité et la pauvreté qu’elles subissent de manière continue, dans une situation qui ne cesse de s'aggraver au jour le jour et sans la moindre perspective d'un quelconque changement, d'une quelconque amélioration concrète dans l'avenir immédiat, voire à plus long temps ?

Nous ne relèverons que quelques aspects des réalités observées lors de notre voyage et ne soulignerons que ceux qui ont particulièrement retenu notre attention.

L’expérience de Kinshasa sera avant tout la confrontation entre les images stéréotypées relatives à la vie à Kin et certaines réalités concrètes.

La solidarité africaine légendaire. Une multitude d’enfants mendiants dormant dans la rue et se nourrissant de restants de nourriture (kamundele et autres) ramassés dans les poubelles des bars. L’amour légendaire des enfants. Les accusations à l'adresse des enfants dits 'sorciers’. L'indolence et le manque de conscience légendaires d’employés congolais et la manière plus qu’exemplaire dont on m'a aidée et servie dans les bureaux d’Hewa Bora lors des formalités à remplir pour le voyage Kinshasa-Goma.

Faire le point sur de telles contradictions, en identifier les causes et les effets, en repérer les points forts et les points faibles, est un exercice qui s’impose et auquel devrait procéder chaque Congolais,… sans la moindre complaisance. Utopique? Oui, sans doute, si on considère l’utopie comme l’ ‘espoir en connaissance de cause’, dont on peut difficilement se passer à défaut de tout autre élément d'encouragement. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une véritable politique de ‘formation continuée’ pourrait acquérir tout son sens dans un tel contexte utopique.

Autre contraste: Goma, la ville des cendres volcaniques

Bien que l’éruption volcanique en janvier 2002 ait démontré sa puissance destructrice, des endroits fertiles continuent à être cultivés et sont habités et exploités courageusement par des populations animées par la volonté de vivre, et de "bien" vivre.

Goma, c’est comme si c’était la ville des mobylettes – en provenance de l’ Arabie Saoudite, à en croire d'aucuns – assumant les fonctions normalement dévolues aux autobus ou aux taxis.

Dans l’orphelinat où des prêtres salésiens accueillent et soigent des jeunes, c’est la rencontre d'enfants d’âges différents, aux caractères différents, d’origine différente (RDC, Rwanda, Burundi), ayant des problématiques différentes (santé physique, santé mentale…), des histoires et des expériences différentes, qui, concentrés en une seule et même maison, déplacent les limites que constituent les barrières sociales actuelles.

Voyage par bateau de Goma à Bukavu ….

L’ eau, les plantes, les poissons… Une oasis pour les amoureux de la vie, de la nature et des activités commerciales. Malheureusement, dans l’état actuel du manque de bateaux, du laisser-aller au niveau organisationnel, avec des hommes et des femmes disposant de peu de moyens financiers, il est difficile d'exploiter au maximum les richesses qu’ offre cet environnement naturel et d'en profiter.

L’objectif du voyage à Bukavu était d'entendre directement ce que les coopérants ONG avaient à dire sur leur travail et sur la collaboration avec les nationaux. Pour ce qui était des nationaux, l’objectif était le même, fût-ce sous d’autres formes: les entendre sur leurs besoins en matière de formation continuée dans les méthodologies appropriées, tenter d'analyser et de comprendre leurs points de vue sur ce que l’on est convenu d’appeler le ‘partenariat Nord-Sud’. Exercice qui s’avère plus difficile qu’il n’y paraît à première vue, en raison de divergences des points de vue sur les enjeux, la concrétisation dans des pratiques, la mise en place des procédures, etc. A partir de ces éléments se révèlent d’autres contradictions encore, notamment entre le discours de la solidarité internationale entre les peuples, d’ une part, et la crise de confiance et l'impossibilité d’ optimiser le potentiel de solidarité, d’autre part.

Si la ‘sécurité alimentaire’ en tant que concept figure généralement en bonne place au menu des colloques et meetings qui se penchent sur la lutte contre la pauvreté, les enfants du village de Kalehe (à 60 km de Bukavu), quant à eux, n’en perçoivent guère la signification exacte et concrète…, même si grâce à toutes sortes de projets, des efforts considérables sont déployés à cet égard. En effet, à l’insécurité générale, conséquence des conflits armés dans la région des Grands Lacs, il convient d’ajouter la précarité financière des parents, et notamment des enseignants, l’insécurité alimentaire, dont les victimes les plus touchées qu'il nous a été donné de voir étaient précisément ces enfants de Kalehe.

Lubumbashi, autre région, autre défi

Un groupe des mamans de la commune de la Ruashi provenant des milieux de la GECAMINES et ayant compris la nécessité d’une reconversion au niveau de l ‘emploi’, s’est engagé résolument dans les activités d’ agriculture et d’élevage. En effet, cette reconversion leur a semblé la solution la plus réaliste et efficace au problème de chômage qui frappe la plupart des anciens de la GECAMINES. En attendant des jours meilleurs, elles ont opté pour l'exploitation d'un champ communautaire et pour l’ élevage de poules organisé dans la cuisine d’un des membres du groupe. L'action se structure autour de la production de légumes, d'œufs et de viande et se fait en collaboration avec un ingénieur agronome. Ceci constitue un grand défi pour toutes ces femmes, en premier lieu en raison même de cette reconversion par rapport au secteur d’ activité, puis parce que cette reconversion signifie pour elles génération des revenus, sécurité alimentaire et, à terme, lutte contre la pauvreté .

En matière de lutte contre la pauvreté, précisément, le travail, dans certains domaines, a bel et bien été poursuivi par les Congolais et Congolaises eux-mêmes. 'action d'instances internationales – la Belgique, l‘Union européenne, le PNUD – est  connue et se maintient.Toutefois, pour ce qui est de domaines tels que la santé, l’éducation, le système judiciaire, la culture, les relations hommes femmes, la solidarité intra RDC, la solidarité internationale, le vécu de la démocratie et de la citoyenneté responsable, les réalités sont et restent assez déconcertantes et appellent de grands élans pour pouvoir engager des processus visant à y accomplir de très nombreuses et complexes réformes. C'est là le terrain par excellence dont auront à ce préoccuper prioritairement les nouveaux décideurs. Il faudra profiter de ce tournant et de ce moment privilégié pour favoriser, promouvoir et concrétiser des transformations approfondies qui s’imposent dans les différents domaines précités.
 
Suzanne Monkasa, présidente de l’asbl CongoForum

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