Les élections en République Démocratique du Congo: un challenge pour les femmes

Les défis majeurs sont bien entendu la stabilité politique, la sécurité du pays, des personnes et des biens. D’autres défis tels que l’éducation, l’enseignement, la santé, la réduction du chômage, la prise en charge des pensionnés et des personnes les plus démunies, la lutte pour l’égalité des chances entre femmes et hommes… guideront le vote des citoyens et principalement des citoyennes dans  le choix des candidats tant au niveau national que régional.

 

Etant impliquée dans la problématique des femmes depuis une dizaine d’années, je reste sensible aux questions relatives à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Les élections prochaines constituent une occasion importante pour propulser d’un cran les revendications des femmes. Un aperçu des défis liés à la situation des filles et des femmes en République Démocratique du Congo s’impose.

 

Petite et jeune fille d’ aujourd’hui, femme et espoir de demain

 

Avant de parler de la petite fille congolaise, je tiens à préciser que le sort du petit garçon n’est guère enviable et que toute politique visant à l’amélioration du sort des filles doit également se préoccuper de la situation des garçons car il s’agit de les former, filles comme garçons, pour en faire des responsables de demain. Néanmoins, mon propos se limitera à la problématique des filles.

 

Pour comprendre la situation de la femme congolaise, appelée dans quelques mois à accomplir son devoir de citoyenne responsable dans le choix des futurs dirigeants du pays, il convient d’effectuer un retour en arrière et de la replacer d’abord dans sa condition de petite fille. En effet dans le cadre du développement à long terme, pour préparer la relève des citoyennes électrices d’ aujourd’hui, il faut avoir une vue

d’ensemble des conditions d’ existence de la petite fille qui sera la citoyenne de demain.

 

Qui est cette citoyenne de demain, qui constitue le gage d’ un développement que nous souhaitons situer dans le long terme? Comment peut-on décrire son profil si l’on jette un regard sur l’ensemble du pays ?

 

          la petite fille congolaise d’aujourd’hui, c’est celle qui est privée de scolarité pour des raisons diverses dont la principale reste la pauvreté des parents. Plus de 60% des parents ne disposent pas de revenus réguliers ;

 

          la petite fille congolaise d’aujourd’hui, c’est celle qui est livrée au mariage précoce dès l’âge de 13 – 14 ans dès qu’on s’éloigne un peu des centres urbains, et très souvent alors, comme deuxième, troisième, voire quatrième épouse, du moins dans certains milieux. Dans la plupart des cas, dès l’âge de 20 ou 25 ans, elle est abandonnée, livrée à elle-même avec ses enfants, sans formation, sans opportunités ni moyens de se prendre en charge. Dans un réflexe de survie, elle est parfois poussée à abandonner ses propres enfants. Force est de constater ces dernières années la tendance qui consiste à abandonner les enfants aux aléas de la rue ;

 

          la petite fille congolaise d’aujourd’hui, c’est celle qui est livrée à la prostitution dès l’âge de 8 ans, sous le regard impuissant de la société et ce pour se payer un bout de pain. Les acteurs de terrain, spécialement ceux qui s’occupent du VIH, peuvent témoigner des dégâts causés de la sorte dans cette tranche d’âge de notre population. Cet extrait tiré du Bimensuel « Les Coulisses »[1] en dit long : «  …Sexe à crédit à payer à la fin du mois. Cela se passe à 3 Km du centre-ville de Beni, au quartier Boïkene. C’est une profession qui a refusé de se voiler la face : la prostitution. Les jeunes filles et femmes congolaises venues de partout (Bukavu, Goma, Lubero, Isiro, Bunia, Kisangani …) font la loi en vendant leur charme au contingent sud’africain de la Monuc. L’opération est baptisée « Nyoka Nyoka » (….) Madame Kavira Kapanga, chef du quartier Boïkene (commune de Ruwenzori en ville de Beni) a finalement réuni jeudi 11 août 2005 toutes les prostituées de son entité. Près de quarante (44) prostituées, jeunes filles et femmes dont l’âge varie entre 11 et 35 ans …. » ;

 

          la petite fille congolaise d’aujourd’hui, c’est celle qui se fait violer, au quotidien, et ce dans l’ impunité totale des auteurs de ces actes ;

 

          la petite fille congolaise d’aujourd’hui, c’est aussi celle qui, grâce à l’effort de ses parents, échappe aux dures réalités énoncées ci-haut et réussit à faire des études supérieures. Hélas, ces filles restent très minoritaires.

 

Ce profil peut s’étendre mais je me limiterai à ce constat.

 

Sans cette fierté et cette dignité auxquelles aspire tout être humain, sans une éducation à la base, sans un encadrement tant au niveau familial qu’au niveau de la société, comment peut-on espérer que la petite fille d’aujourd’hui participe au développement de la société congolaise ?

 

Les citoyennes de demain se préparent aujourd’hui. Aussi les femmes qui vont voter doivent prendre conscience des grandes responsabilités qui sont les leurs.

 

 

La femme congolaise active dans les domaines politique, économique, culturel et social

 

Nous avons aujourd’hui des femmes qui sont très dynamiques dans le secteur des petites et moyennes entreprises mais aussi très engagées au niveau politique, économique et social. Elles sont minoritaires, certes, mais elles jouent un rôle qui mérite qu’on s’y arrête.

 

Au niveau politique et social, nous avons un nombre considérable de femmes engagées. Ce  qui est frappant toutefois, c’est que plus on se rapproche des niveaux de décision ou de responsabilité dans ces deux domaines, moins elles sont présentes. Pourquoi ?

 

Est-ce dû à une limite de compétence ? A un manque d’ambition ? Ou serait-ce plutôt le résultat d’un certain jeu d’équilibre à géométrie variable qui, en définitive, les évince du niveau décisionnel ?

 

Voici quelques données assez parlantes[2] :

 

Actuellement, au niveau du gouvernement central, nous avons 36 Ministres, dont 5 femmes. Au Sénat, sur 120 sénateurs, il n’y a que 3 femmes. A l’Assemblée Nationale, sur 500 parlementaires , il y a  59 femmes.

 

Au niveau régional, sur 11 gouverneurs, il n’y a aucune femme, par contre il y aurait 3 femmes vice-gouverneurs.

 

En dehors de la sphère politique, je me suis intéressée à la représentation des femmes dans d’autres secteurs où il était possible d’obtenir quelques données chiffrés. C’est le cas de la MIBA, de la Banque Centrale du Congo, de l’Université de Kinshasa et de l’Université de Mbuji-Mayi.

 

A la MIBA, société anciennement implantée dans le Kasaï, actuellement, aucune femme ne siège au Conseil d’administration, et il n’y en a pas non plus, ni au niveau des Directeurs ni au niveau des Départements. On les retrouve aux échelons inférieurs, où quelques- unes sont responsables de services.

 

A la Banque Centrale du Congo[3], sur 17 responsables de direction il n’y a aucune femme ; sur 27 responsables adjoints de direction, il y a 6 femmes ; sur 135 responsables de service, il y a 21 femmes. La répartition des effectifs par niveau de scolarité est assez parlante. Je ne citerai ici que le niveau supérieur : sur 324 titulaires de diplôme de licence, il y a 65 femmes et 259 hommes et au niveau du graduat, sur un total de 259, il y a 79 femmes et 180 hommes.

 

Je me suis également intéressée à la représentation des femmes au niveau académique[4] malheureusement, je n’ai pu recevoir que des données d’une seule université.

 

Concernant l’Université de Mbuji-Mayi, il y a une femme dans le collège des fondateurs et une femme au Conseil d’administration. Dans le corps enseignant, sachant qu’il y a 50% de professeurs visiteurs et 50% de professeurs permanents, on compte à peine une femme professeur et deux autres chargées de cours pour l’année 2004-2005. Quant à la proportion filles / garçons au sein de l’Université, le rapport est de 1/7 (une fille sur 7 garçons, soit environ 14 % de filles). Celles-ci se retrouvent principalement dans les facultés de médecine, de sciences économiques et de droit.

 

Au niveau économique, il y a des femmes qui sont très actives dans les petites et moyennes entreprises : elles tiennent des comptoirs de diamant, elles font le commerce au niveau national et international, elles sont cambistes, etc… Ces femmes sont peu nombreuses mais elles ont un pouvoir économique non négligeable, ce qui est important et primordial mais à la fois interpellant face à la situation actuelle.

 

Comment se fait-il que ces femmes qui détiennent un pouvoir économique indéniable n’arrivent pas à infléchir les politiques menées dans leur environnement dans le sens du développement et du bien-être des populations? Est-ce par désintérêt politique ? par peur ou par inconscience?

 

La femme congolaise face aux stéréotypes, aux préjugés et aux discriminations liées au sexe.

 

 

Etre femme, mère et engagée dans la société… La question que beaucoup de gens se posent est: est-ce conciliable? Peut-on à la fois jouer le rôle de mère (maternité, s’occuper des enfants, du ménage) et être engagée à l’extérieur? Je réponds que oui.

 

Aujourd’hui, dans cette situation de crise généralisée que connaît le pays, tout le monde s’accorde pour reconnaître le rôle économique joué par la femme pour la survie de la famille.

 

Cette situation inverse de fait les rapports dans le couple, car la femme devient un partenaire qui a un apport non négligeable. Elle passe ainsi de la situation communément admise où elle était prise en charge par le mari qui lui assurait ses besoins et ceux des enfants à celle où elle est actrice de premier plan.

 

Force est de constater, dans ce cas, que son activité économique au dehors et ses charges familiales à la maison ne sont pas  considérées comme dichotomiques.

Cela illustre le fait que la femme peut très bien concilier ces différents rôles.

 

Cependant, si les faits le démontrent très bien, l’on se heurte encore à nombre de préjugés et d’idées reçues tendant à l’enfermer dans un seul rôle qui lui serait dévolu, à savoir la maternité, l’éducation des enfants, le ménage.

 

Cette vue réductionniste du rôle que peut jouer la femme se traduit par des préjugés véhiculés tant par des hommes que par des femmes qui reproduisent consciemment ou inconsciemment les modèles ou les schémas reçus. Certains arguments remontent à la nuit des temps, et le Congo n’en a certes pas le monopole.

 

L’histoire de Marie Popelin[5], première femme belge diplômée docteur en droit en 1888 et fondatrice de la Ligue des femmes belges, l’illustre à merveille. Lorsque Marie Popelin obtint son diplôme de docteur en droit, elle était âgée de 42 ans et rêvait de devenir avocate mais sa déception fut plus que grande lorsqu’elle se vit refuser l’accès au Barreau de Bruxelles par la Cour d’Appel et la Cour de Cassation, non pour un motif légal mais du fait de son statut de femme. Les arguments de la Cour d’Appel furent : « Attendu que la nature particulière de la femme, la faiblesse relative de sa constitution, la réserve inhérente à son sexe, la protection qui lui est nécessaire, sa mission spéciale dans l’humanité, les exigences et les sujétions de la maternité, l’éducation qu’elle doit à ses enfants, la direction du ménage et du foyer domestique confiée à ses soins, la placent dans des conditions peu conciliables avec les devoirs de la profession d’avocat et ne lui donnent ni les loisirs, ni la force, ni les aptitudes nécessaires aux luttes et aux fatigues du barreau.»

 

Cette discrimination offensante et révoltante l’amena à créer la Ligue belge du droit de femmes et plus tard, en 1905, le Conseil National des Femmes Belges, qui a fêté cette année ses 100 ans d’existence.

 

Les arguments du même genre restent d’actualité à travers le monde et en l’occurrence au Congo pour empêcher les femmes d’accéder à certaines fonctions. Je ne peux que féliciter la persévérance des femmes et principalement des Sénatrices congolaises, qui se sont battues pour que la parité soit consignée dans la Constitution. C’est une étape de franchi mais tout le travail reste à faire.

 

Les associations de femmes ont un rôle important à jouer notamment dans la sensibilisation et doivent bénéficier d’un soutien structurel pour relever quelques défis permettant d’atteindre l’objectif de la parité. Il faut notamment :

 

1.      donner aux filles comme aux garçons une chance égale dans l’éducation et la formation pour en faire les responsables de demain ;

 

2.      combattre les mentalités qui tendent à figer le potentiel d’une partie de la population en l’enfermant dans des stéréotypes de tous ordres ;

 

3.      initier et soutenir des politiques qui favorisent l’égalité des chances entre  femmes et  hommes ;

 

4.      mener des campagnes de sensibilisation afin que les filles et les femmes s’impliquent davantage dans le projet global de construction de notre société ;

 

5.      lutter contre les mariages précoces et encourager la scolarité des filles.

 

Les élections prochaines constituent une occasion tout à fait appropriée pour les femmes,  de formuler des  exigences à l’ intention des futurs dirigeants du pays en vue des actions concrètes à mener. Il s’agit entre autre de :

 

          Rendre la scolarité obligatoire et de mener une campagne de sensibilisation auprès des parents. Mettre l’enseignement dans les priorités politiques ;

 

          Mener une politique de développement efficace qui combat la pauvreté et le chômage ;

 

          Lutter contre les mariages précoces en menant des politiques de discrimination positives pour promouvoir la scolarité des filles ;

 

          Soutenir les ONG locales qui travaillent sur le terrain tant pour la récupération et l’accompagnement des filles tirées des milieux de la prostitution en vue de leur réinsertion dans la société ;

 

          Soutenir et développer les actions qui sont menées sur le terrain en matière de santé et de prévention ainsi que la lutte contre la propagation du VIH Sida ;

 

          Pour les victimes de viol et autres violences ou mutilations, lutter contre l’impunité des auteurs de ces actes afin qu’ils soient poursuivis et jugés.

 

La cause des femmes congolaises qu’elles soient à l’extérieur ou à l’intérieur du pays, c’est notre cause à tous !

 

© CongoForum – Louise Ngandu Lukusa, Bruxelles, 30.09.05

 

Madame Ngandu Lukusa est politologue, DES en Management Public et cofondatrice et présidente honoraire de l’Union des Femmes Africaines.

 

[1] Deo Kalwila, « Prostitution au Quartie Boïkene », in Les Coulisses, Bimensuel de du 1er  septembre 2005

[2] Ces données chiffrées ont été obtenues non sans difficulté. La plupart des institutions ne tiennent pas à jour ce gendre de statistiques. Que le lecteur ne m’en tienne pas rigueur si entre temps, elles ont changé.

[3] Source : Banque centrale du Congo, 2005

[4] Je me suis intéressé à la représentation féminine dans les universités tant au niveau professoral qu’au niveau des étudiants malheureusement, je ‘ai pu obtenir que quelques données relatives à l’Université de Mbuki-Mayi. L’Unikin n’a pu me fournir ces données.

[5] In Objectif Femmes, trimestriel  juin- juillet- août 2005. Périodique du Conseil des Femmes Francophones de Belgique

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