«Lorsqu'il était question de chasser Mobutu, j'ai été consulté et j'avais pleinement adhéré à cette décision. De grands espoirs des leaders panafricains reposaient sur le grand Congo pour le décollage de toute l'Afrique, vu les potentialités immenses de ce pays situé au coeur du Continent, et son étendue géographique de 2.345.409 km', partageant ses frontières avec neuf pays africains qui l'entourent au nord, au nord-ouest, à l'est au sud, et bordé à l'ouest par l'Océan Atlantique. La prise de pouvoir par force et sa conservation durable par Mobutu avaient causé un énorme préjudice à l'essor que devait prendre l'Afrique. Nous avons conseillé à Laurent-Désiré Kabila collaborer avec la vraie Opposition représentative du peuple et patriotique pour réparer ce préjudice causé par Mobutu, afin de pouvoir assurer le salut de ce pays et de l'Afrique tout entière. Malheureusement contre toute attente, lui aussi semble s'ériger plus en imitateur aveugle et passionné de Mobutu qu'en véritable libérateur de son pays.» Ces propos sont attribués à un Chef de l'Etat d'un pays anglophone de l'Afrique orientale qui n'est plus de ce monde aujourd'hui. Il aurait tenu ces propos devant son interlocuteur en tête-à-tête au palace Memling où il était descendu quelques mois après que Laurent-Désiré Kabila s'était installé au pouvoir à Kinshasa. Ses tâtonnements et son cheminement insensiblement dans le sillage de Mobutu commençaient à inquiéter les survivants des leaders panafricains qui comptaient beaucoup sur lui. Cet ancien chef d'Etat, c'est Julius Nyerere de la Tanzanie, l'un des ténors et pères fondateurs de l'Unité africaine, l'ancêtre de l'actuelle Union Africaine. Il s'était déjà retiré, à propre gré, des délices du pouvoir dans son propre pays et vivait tranquillement dans son village sur sa ferme.
Le rapport scandaleux et révoltant de Robert Crem, l'ancien Pdg de la Gécamines, plein de révélations sur le pillage systématique, la liquidation et la destruction du rejeton de l'ex-Union Minière du Haut Katanga (UMHK), depuis Mobutu jusqu'au schéma 1+4 d'aujourd'hui, publié par Le Phare dans son édition n° 2736 du jeudi 8 décembre, reproduit dans la manchette à la Une du vendredi 9 décembre à la demande insistante et croissante d'une foule de lecteurs qui harcelaient son leadership rédactionnel de coups de téléphone toute la journée de jeudi, corrobore les propos attribués à Julius Nyerere. Le rapport démontre que le Zaire-Rdc est un pays trahi par des oligarchies autocratiques. Des requins de tous poils, nationaux et étrangers, se ruent sur les ressources du pays comme une nuée de sauterelles. Ils pillent impitoyablement le pays, détruisent toutes les assises économiques pour se remplir les poches.
Que de nombreux lecteurs demandent instamment au quotidien Le Phare de reprendre le lendemain, le rapport de Robert Crem publié la veille à l'intérieur du journal sur les pages 14 et 15, révèle combien ils sont bouleversés, révoltés et outrés de colère, quant au sort de leur pays devenu depuis des décennies comme une ferme abandonnée. Mais on ne doit pas s'arrêter là. A travers ce rapport de l'ancien Pdg de la Gécamines, ceux qui ne le savaient pas, peuvent maintenant comprendre le soubassement caché du processus électoral en cours dans notre pays. Le schéma 1+4 concocté à Sun city en Afrique du Sud, le soutien aveugle à ses animateurs en dépit de leurs manquements graves et faiblesses, la prolongation automatique de la transition à leur profit sans évaluation de leur rendement, la fabrication d'une Constitution trop individualisée et d'une loi électorale sciemment alambiquée, les opérations d'enrôlement des électeurs émaillées de monstrueuses irrégularités favorables aux fraudes et tricheries organisées, l'acharnement à organiser les élections de gré ou de force, l'invitation du peuple à s'enrôler massivement, la persuasion de voter «OUI» et jamais «NON», visent à perpétuer l'empire des oligarchies autocratiques qui pillent les richesses du pays.
Des accords Léonins
Le rapport de Robert Crem a aussi le mérite d'amener les fils et filles éveillés de ce pays à comprendre pourquoi William Swing de la Monuc et du Ciat, certains ambassadeurs occidentaux basés à Kinshasa, des plénipotentiaires de l'Union européenne, des ministres Wallons du gouvernement belge, font du processus électoral en Rdc leur propre affaire, nous incitent à voter uniquement «OUI» au référendum, disant sans gêne ni vergogne que voter «NON» est antidémocratique. Il permet, en outre, de comprendre pourquoi on tient absolument à écarter la vraie Opposition du processus jusqu'à qualifier ses observations et propositions salutaires de «sautes d'humeur». Or, il s'agit d'un mémorandum musclé de l'Udps qui indique des voies à suivre pour sauver le pays du chaos vers lequel il s'achemine inéluctablement. Pas de patriotes éveillés et instruits au pouvoir en Rdc. Ils sont censés venir mettre fin définitivement à l'empire des oligarchies autocratiques manipulées par des vautours étrangers.
Selon Robert Crem, la nationalisation de l'Union Minière du Haut Katanga (UMdK) était programmée à Bruxelles. L'Etat (zaïrois) signa des accords de coopération technique et commerciale avec la Société générale des Minerais (Sgm) et la Métallurgie Hoboken Overpel (MHO), toutes les deux étant des filiales de l'Union Minière du Haut Katanga (UMHK). La société mère n'apparaîtra plus directement, mais elle agira par ses sociétés écrans. Ces accords et d'autres conventions connexes, notamment avec la Belgolaise, avaient un caractère léonin. Ils ont été reconduits en 1968 et en 1974. La concession de l'ex-Union Minière internationalement convoitée à cause des réserves estimées à 30 (trente) millions de tonnes de cuivre et à 3 (trois) millions de tonnes de cobalt, plus ces métaux rares associés comme l'argent, le cadmium, le sélénium, le germanium, le rhénium, le gallium. Les rétrocessions de la Gécamines, de 1967 à 1985, assuraient 70 à 85 % des ressources en devises fortes au Zaïre.
Les conditions de commercialisation, souligne Robert Crem, échappaient toujours à la Gécamines à cause des accords conclus par la Sozacom avec la Sgm et la Mho (la Société général des Minerais et la et la Métallurgie Hoboken Overpel), par les gouverneurs de la Société générale de Belgique, Corbiaux et Lamy. Tous les Premiers Commissaires d'Etat ont soutenu Robert Crem dans ses efforts de redressement de la Gécamines, à l'exception bien entendu de Kengo wa Dondo. C'est l'ancien Pdg de la Gécamines qui le dit et révèle qu'il était appuyé par Mobutu dans ses efforts pour redresser cette société. En 1982 et 1984, Robert Crem fut approché par le porte-parole et ambassadeur du gouverneur Lamy de la Société générale de Belgique, le ministre Simonet qui l'informa que le 31 janvier 1984 son mandat de Pdg prendrait fin endéans les trois mois s'il ne renonçait pas à ses mesures d'assainissement de la Gécamines. Il refusa et fut en conséquence déchargé de ses fonctions par le Premier commissaire d'Etat Kengo le 2 février 1984, sans en référer au Président Mobutu.
L'ancien Pdg de la Gécamines révèle que pendant cinq ans, plus particulièrement en 1983 et 1984, un puissant groupe de pression avait opéré, et souligne que le préjudice subi par la Gécamines, de 1967 à 1984, s'était chiffré entre 3 (trois) et 4 (quatre) milliards de dollars américains prélevés par le Pouvoir (de Kinshasa) par toutes sortes de ponctions et de commissions occultes. La Société générale de Belgique (Sgb) et le Pouvoir (de Kinshasa) s'étaient partagé la «bête», un terme utilisé par un administrateur belge. La politique actuelle de la Rdc, note Robert Crem, semble ne pas avoir retenu les séquelles de ce passé récent. Entre février et novembre 1984, soit en moins de 7 (sept) mois, la Gécamines a été prise en main par des non-ferreux belges qui tentèrent même une révision unilatérale des accords de 1983. Il en avait informé le Président Mobutu qui réagit en remerciant illico son «Président belge» Piet Demerre, qui avait succédé à Robert Crem et le remplaça par l'Ingénieur Mulenda Mbo.
Peuples esclaves sur son sol
Mais un climat délétère s'installe, enchaîne-t-il, accentué de tribalisme et de corruption érigés en système. En 1988, les fuites sur les recettes avaient atteint 500 (cinq cents) millions de dollars. La Gécamines agonisait. La production tomba de 470.000 (quatre cent soixante dix mille) à 20.000 (vingt mille) tonnes. Informé, Mobutu ne réagissait plus. La première opération illégale, fait ressortir le rapport, eut lieu dans le secteur de Kipushi à Kasombo. Elle fut menée par l'association Forrest Union Minière. Ces activités se sont développées. La concession de la Gécamines est livrée au pillage. En 2003, l'Exécutif (de la transition de 1+4 a lancé un appel d'offres international pour une gestion de la société qui devait être confiée pour 18 (dix-huit) mois à une firme et à des experts internationaux, par le biais de la Gécamines Holding. Cette gestion devait débuter en juillet 2003 pour se terminer fin 2004 avec une production de 100.000 (cent mille) tonnes et un chiffre d'affaires de 250 (deux cents cinquante) millions de dollars. Mais cette démarche rationnelle dérange certains.
D'après le rapport de Robert Crem, les termes de référence ne sont pas respectés, et l'on assiste à un «remake» des expériences de 1974 à 1984. En juillet 2005, l'exécutif de la Rdc a, en contradiction avec le plan de redressement de la société et du pays même, procédé au démantèlement accéléré de la concession de la Gécamines. Il a octroyé des polygones miniers au mépris des critères de compétences, au profit d'opérateurs non qualifiés et d'aventuriers aux méthodes douteuses.
Tels sont quelques larges extraits du rapport de l'ancien Pdg de la Gécamines que j'ai cru utile d'exploiter pour préparer et alimenter ma présente réflexion. Mais le rapport en questionne se limite qu'au pillage et à la liquidation de la Gécamines.
Qu'en est-il des autres sociétés et entreprises publiques comme la Miba, l'Onatra, la Snel, la Regideso, la RVA, l'Air-Congo ou Lac, la RVM, la Sominki, le Pétrole de Muanda, les Mines de Kilomoto etc.? On n'en parle pas, mais elles ne sont pas moins pillées et bradées que la Gécamines. Les pilleurs et les destructeurs sont tous des requins nationaux et étrangers qui s'opposent à la restauration de la démocratie et l'Etat de droit en RDC, c'est-à-dire le retour à l'ordre qui les empêcherait de continuer à faire main basse sur les ressources nationales. Il y a de quoi tomber à la renverse et se sentir ridiculisé quand on nous parle des millions d'euros et de dollars investis dans le processus de paix en RDC.
Comme Julius Nyerere en était convaincu, si tant de potentialités de ce pays étaient rationnellement exploitées et les entreprises publiques gérées en bons pères de famille, ce pays n'aurait pas besoin d'aides extérieures intéressées et empoisonnées, lesquelles ne sont que des miettes des profits plantureux et illicites réalisés sur son propre sol par des aigrefins de tous les horizons de la planète. Au contraire, ce pays se suffirait amplement et porterait secours à d'autres pays africains. Sinon l'ancien Président tanzanien n'aurait pas affirmé que tous les espoirs des leaders panafricains reposaient sur le grand Congo. Voilà pourquoi le processus de paix et électoral en Rdc est mené avec hypocrisie et arrière-pensées afin que la finalité soit le maintien du pays dans son état de ferme sans maître, et son peuple rendu esclave sur son propre sol. Toutes les sociétés et entreprises publiques sont soumises au même sort que la Gécamines.
Robert Crem n'a pas sorti son rapport fortuitement. Bien qu'étranger et européen, il ressent dans sa conscience que le destin qu'on inflige au Zaire-Rdc et à son peuple est si abominable encore qu'il ne peut garder le silence pendant longtemps. Surtout que le processus en cours ne vise qu'à empirer ce destin. Son rapport, autant que celui de l'International crisis group (ICG), – toutes proportions gardées – est un cri de détresse lancé aux décideurs du monde plus au moins honnêtes, et un appel à la vigilance de plus en plus accrue de la part des fils et filles de ce pays. S'ils se laissent faire, devraient-ils demain élever un mur des lamentations et dire qu'ils n'étaient pas suffisamment avertis? Ils ont le choix entre se délivrer de leurs chaînes et rester éternellement sous le joug de l'exploitation et de l'oppression.
© Jean N'saka Wa N'saka (journaliste Indépendant)